Au-delà de l’aspect purement ponctuel de ces dernières, un fait est sûr : l’archéologie, notamment biblique a eu pour vocation de se servir de l’Histoire pour justifier une entreprise que l’on pourrait qualifier de coloniale. Principal but : consacrer l’occupation sioniste de la Palestine et oblitérer la présence arabo-palestinienne dans ce pays. Des chercheurs objectifs juifs le reconnaissent. « Dans sa quête d’archéologie biblique, Israël a essayé de ressusciter les fragments souterrains d’une civilisation ancienne pour faire valoir ses droits présents sur le sol », écrit Eyal Weizman, architecte israélien, dans Open Democracy. C’est faire l’impasse sur la Palestine, son identité et son existence.
D’ailleurs, selon une conférence du penseur juif Pierre Stambouli donnée à Orléans en janvier 2007 sous la houlette de l’Union juive pour la paix, les sionistes qui arrivent en Palestine dès le début du XXe siècle méprisent ou ignorent le peuple autochtone. C’est le fameux mythe meurtrier de la « terre sans peuple pour le peuple sans terre ». Une anecdote que raconte Eitan Bronstein, fondateur d’un mouvement israélien qui recherche la mémoire des villages palestiniens rayés de la carte : au musée de Hadera, une grande ville entre Tel-Aviv et Haïfa, « il y a la photo des fondateurs de la ville. Quand on regarde la photo, autour des fondateurs, il y a plein de Palestiniens. Ils ne sont pas sur la légende. Les sionistes ne les ont pas vus. Ou alors ils les ont vus avec les yeux de tous les colonialistes : comme une population destinée à être soumise ou dominée et à qui on peut voler la terre sans problème ».
Ces premiers colons croyaient retrouver une patrie biblique, mais se sont trouvés dans une terre qui leur est quasiment étrangère et habitée par d’autres : les Arabes dont les traces d’existence culturelles sont évidentes. Il fallait donc, pour justifier cette quête, creuser le sol et partir à la recherche d’un passé qui justifierait l’acte colonial. Et l’aventure s’est poursuivie, voire s’est accélérée après la création de l’Etat d’Israël par le biais de « l’archéologie biblique ». Comme le souligne Weizman, « l’Israël moderne a essayé de se poser en successeur de l’ancien Israël, et de se construire une nouvelle identité enracinée dans les profondeurs du sol ».
La preuve de cet amalgame entre l’archéologie et la conquête est que c’est un ancien chef d’état-major militaire, Yigal Yadin, qui a été dans les années 1960 l’un des principaux initiateurs de ce genre de fouilles. Tout compte fait, en voulant faire revivre le passé, l’archéologie israélienne fait table rase d’un autre passé, celui des Palestiniens. Et comme les musées sont le réceptacle de la mémoire, un activiste des droits de l’homme, John Petrovato, raconte : « Je me demandais comment la culture visuelle interagissait avec les récits nationaux israéliens et palestiniens. J’étais curieux de voir comment les Palestiniens étaient représentés dans les musées israéliens. Mes visites sur des dizaines de sites archéologiques et dans des musées historiques m’ont surpris par le manque total de représentation des Palestiniens. Ils étaient, en effet, invisibles dans la présentation du passé, et en termes de leur importance pour la région géographique de la Palestine ». II relève aussi que « les villageois palestiniens dans tous les territoires occupés ont peur à chaque fois que des archéologues israéliens montrent un intérêt particulier pour des sites sur leurs communautés ». Il cite l’exemple du village de Yusuf. « Des militants religieux et des colons qui croient que Dieu leur a donné toute la terre d’Israël envahissent le village pour pique-niquer sur les jardins sur lesquels ils croient avoir un droit ».
C’est dire que quels que soient ces travaux d’Al-Aqsa, ils font partie d’une mentalité israélienne faite d’une dénégation de l’autre, le Palestinien ou l’Arabe, au niveau du passé et du présent.
« On espère un rôle arabe plus influent ». Entretien avec le Mufti de Palestine
Mohamad Hussein, mufti de Palestine et imam de la mosquée d’Al-Aqsa, affirme que l’agression israélienne s’inscrit dans le cadre de la politique sioniste de judaïsation de la ville sainte.
Al-Ahram Hebdo : Vous étiez à la mosquée d’Al-Aqsa ce dernier vendredi, que s’est-il vraiment passé ?
Mohamad Hussein : Ce qui s’est passé ce jour du fait des forces israéliennes constitue un véritable crime contre la mosquée d’Al-Aqsa et contre tous les musulmans. C’est une agression flagrante qui a dépassé toutes les lignes rouges. Les Israéliens ont transformé l’enceinte de la mosquée en une véritable caserne militaire. Ils ont pénétré, d’une façon agressive, dans la mosquée durant la prière du vendredi et lancé des grenades assourdissantes et lacrymogènes sur les fidèles déjà en colère à cause des travaux sur la route de la porte des Maghrébins. Ils ont même cadenassé les portes de la mosquée et y ont enfermé les fidèles pendant plus de deux heures.
Qu’y a-t-il derrière ces travaux israéliens ?
M H : Les Israéliens veulent essentiellement mener des fouilles sous la mosquée et pour ce, ils ont commencé à démolir la route de la porte des Maghrébins, qui est attenante au mur occidental de la mosquée d’Al-Aqsa. C’est un terrain historique qui représente la civilisation islamique à toutes ses époques, à savoir omeyyade, abbasside et ottomane. C’est la seule partie encore présente de la ruelle des Maghrébins qui a été détruite par les Israéliens il y a une dizaine d’années. Aujourd’hui, ils veulent nous faire croire qu’ils effectuent uniquement des travaux de restauration qui ne toucheront pas à l’Esplanade. De quelle restauration parlent-ils ? La restauration se mène-t-elle avec des bulldozers et des machines lourdes ? C’est une opération inacceptable qui vise à détruire une civilisation de plus de 2 000 ans.
Les Israéliens cherchent-ils donc à nuire à la mosquée d’Al-Aqsa ?
MH : En fait, ces travaux à la mosquée d’Al-Aqsa s’inscrivent dans le cadre d’une politique sioniste, tout à fait évidente, une politique de judaïsation de la ville de Jérusalem. Les Israéliens veulent effacer tout ce qui est en relation avec la civilisation islamique. La majorité du patrimoine islamique de la ville de Jérusalem a aujourd’hui disparu, sous prétexte de fouilles archéologiques. La planification sioniste pour judaïser la vieille ville consiste aussi à construire une synagogue à l’intérieur de Jérusalem, à moins de 10 mètres d’Al-Aqsa. Une fois la synagogue achevée, les Israéliens vont dire qu’elle est étroite et qu’il faudrait l’agrandir. Ce qui signifie qu’ils grignoteront sur l’Esplanade de la mosquée. Les Israéliens veulent vider Jérusalem de toute présence palestinienne et éliminer tous ses monuments islamiques. Ceux-ci seront remplacés par d’autres tout à fait mystifiés, pour faire croire que Jérusalem est la capitale éternelle d’Israël. Nous ne permettrons jamais une telle action, les habitants de Jérusalem vont lutter contre cette agression. Jérusalem doit rester pour toujours un musée à ciel ouvert pour la civilisation islamique.
Mais pourquoi les Israéliens ont-ils décidé de lancer ces travaux maintenant ?
MH : C’est l’arrogance sioniste et la haine que portent toujours les Israéliens pour le peuple palestinien. Aujourd’hui, ils ont été encouragés par le conflit, et la préoccupation palestinienne, arabe et internationale à régler ce conflit. Les Israéliens ont cherché alors à exploiter la situation. Mais grâce à Dieu, on a pu régler nos différends lors de la réunion de La Mecque. Et nous voilà de nouveau unis, peuple et dirigeants. Cette union s’est manifestée lors des protestations contre l’agression israélienne contre la mosquée d’Al-Aqsa, et aussi lors des rassemblements pour célébrer l’accord de La Mecque.
Mais si la communauté internationale a réagi à l’accord de La Mecque, elle est restée silencieuse sur l’agression contre Al-Aqsa ...
MH : La communauté internationale ne va pas bouger tant que les personnes concernées n’agissent pas et ne prennent pas elles-mêmes l’initiative. Les concernés ici ne sont que la nation arabe et islamique qui doit se mobiliser et utiliser tous les moyens de pression pour stopper les travaux israéliens dans la mosquée d’Al-Aqsa.
Même les Arabes n’ont presque pas réagi ...
MH : Il y a certainement une mouvance au sein des milieux arabes, que ce soit au niveau officiel ou populaire, afin de freiner cette agression sioniste. Mais on espère un rôle arabe encore plus influent. Les réunions des responsables, par exemple, de la Ligue arabe doivent se transformer en une action pratique [1]. Je crois que les Arabes détiennent beaucoup de cartes de pression et qui sont logiques mais aussi juridiques. Il faudrait pousser les Nations-Unies à voter une résolution obligeant Israël à conserver la mosquée d’Al-Aqsa qui fait partie du patrimoine mondial, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité, de l’Assemblée générale des Nations-Unies et de l’Unesco, qui interdisent toute activité de fouille sous la mosquée d’Al-Aqsa.