... avec le groupe d’action directe non violente Les Anarchistes contre le Mur, et l’International Solidarity Movement (ISM).
Le 3 avril 2005, un soldat israélien lui a tiré une grenade lacrymogène dans la tête avec un M 16, d’une distance d’approximativement 30 mètres, lors d’une manifestation pacifique contre le mur dans le village de Bil’in, en Cisjordanie. Bil’in est un des dizaines de villages palestiniens de Cisjordanie qui perdent leurs terres à cause de la construction du Mur. Pat O’Connor a interviewé Jonathan Pollak par téléphone le 7 avril 2005.
Pat O’Connor [1] : Pourquoi les gens protestent-ils à Bil’in et dans d’autres villages ?
Jonathan Pollak : Les palestiniens protestent, et d’autres avec eux, contre le vol de leur terre, contre les mesures que le gouvernement israélien et l’armée israélienne prennent pour leur rendre la vie impossible - globalement, pour commettre un nettoyage ethnique silencieux. Ils rendent la vie tellement impossible que les gens doivent s’en aller et que les zones qui bordent la Ligne Verte sont vidées des Palestiniens. Le gouvernement israélien construit le Mur de telle manière qu’il fait des enclaves en Cisjordanie et rend l’existence d’un Etat palestinien impossible.
Pat O’Connor : Qu’est ce qui se passe en général dans le village de Bil’in, et pourquoi y êtes vous allé ?
Jonathan Pollak : Depuis deux ou trois mois il y a eu une résistance à Bil’in contre la construction du Mur, qui confisque beaucoup de terres. Je ne sais pas combien exactement, mais le Mur ici est prévu selon le plan de construction d’une nouvelle colonie, et il est construit très près des dernières maisons du village. Si bien que ces deux derniers mois à peu près, il y a eu des manifestations ici presque tous les jours, au moins trois fois par semaine. Nous essayons de les soutenir avec une présence israélienne et une présence internationale, et c’est pourquoi je suis venu souvent.
Pat O’Connor : Que s’est-il passé le 3 avril 2005, le jour où vous avez été touché ?
Jonathan Pollak : C’était une manifestation très calme. Les gens enflammaient des pneus à l’entrée du village pour manifester. Nous sommes ensuite descendus, un petit groupe, une dizaine d’entre nous, et nous avons regardé les bulldozers mais sans nous en approcher.
Après un moment nous avons commencé à revenir vers le village, et à un moment j’ai entendu une détonation. J’ai regardé en arrière et j’ai vu que c’était les soldats qui tiraient à environ 30 mètres de là, et j’ai vu la grenade qui volait directement sur moi. J’ai eu le temps de tourner la tête, si bien qu’elle ne m’a pas atteint au visage. Elle m’a touché à quelques centimètres au dessus de la tempe droite. Je l’ai vu rebondir et ensuite je me suis évanoui. Je suis resté inconscient pendant 30 secondes ou une minute, et ensuite je me suis réveillé dans une ambulance du Croissant Rouge.
A un moment, les soldats sont venus vers l’ambulance et ont demandé que j’en sorte pour m’évacuer. Ce n’était pas une ambulance israélienne, mais ils l’ont tout de même demandé. J’ai refusé, et l’ambulance s’est dirigée vers un check point voisin, j’ai était transféré dans une ambulance israélienne qui m’a amené à l’hôpital. On a diagnostiqué que je souffrais d’hémorragie interne au cerveau en deux endroits, et j’ai eu vingt-trois points de suture.
Pat O’Connor : Selon vous, y avait-il une raison pour laquelle les soldats israéliens ont tiré des grenades lacrymogènes ?
Jonathan Pollak : Pas que je sache. Comme je l’ai dit, c’était très calme ce jour là. Nous retournions simplement au village. Il ne se passait rien.
Je ne pense pas que le tir était dirigé spécialement contre moi. Généralement, la tactique des soldats est de tirer des grenades lacrymogènes directement sur le groupe. C’est une de leurs méthodes pour disperser la foule. Bien sûr c’est complètement contre leurs propres règlements, qui disent qu’ils doivent tirer les grenades en l’air en non directement sur le groupe, mais en réalité cela arrive tout le temps, qu’ils tirent les grenades sur le groupe. De nombreux Palestiniens ont été blessés par elles, et des Israéliens aussi dans le passé.
Pat O’Connor : Aujourd’hui, comment vous sentez vous ?
Jonathan Pollak : J’ai très mal à la tête et j’ai beaucoup de vertiges. J’ai encore des difficultés à marcher. J’ai besoin d’un déambulateur. Le médecin dit que je dois rester à la maison un mois et me reposer.
Pat O’Connor : Les premiers reportages que j’ai vus disent que la grenade lacrymogène a été tirée par les soldats, qu’elle a ensuite touché le sol et qu’elle a touché la roche qui vous a atteint, que vous avez été touché par des pierres.
Jonathan Pollak : C’est juste un mensonge du porte parole de l’armée israélienne. Comme je l’ai dit, j’ai vu la grenade lacrymogène tirée directement sur moi de l’endroit où se trouvaient les soldats, et je l’ai vue me toucher. Ce ne sont absolument pas des pierres qui m’ont touché. Deuxièmement, si cela avait été une roche, elle n’aurait pas causé tant de dégâts. Et troisièmement, cela n’a pas vraiment d’importance même si elle a atteint une roche. Parce que selon leurs propres règlements ils ne sont pas supposés tirer les grenades en direction des manifestants.
Pour que la grenade heurte une roche, et crée un tel impact que celle-ci m’atteigne à la tête, cause une hémorragie interne et une blessure qui a nécessité 23 points de suture, cela n’a pas de sens. C’est impossible.
Pat O’Connor : Le porte parole de l’armée a menti sur ce qui s’est passé. Es-ce que cela arrive souvent ?
Jonathan Pollak : Ils le font toujours. Cela arrive tout le temps. Lire ce qu’a dit un porte parole de l’IDF (forces de défense israéliennes), est le meilleur moyen, au fond, de savoir ce qui ne n’est pas arrivé. Leurs déclarations n’ont absolument aucun lien avec la réalité ou la vérité.
Pat’O Connor : Pourquoi pensez-vous alors que leurs déclarations sont si souvent reprises par la presse ?
Jonathan Pollock : Je pense que les gens comme la presse choisissent de les croire plutôt que les manifestants, en particulier la presse israélienne officielle, parce que c’est plus facile pour eux de communiquer avec le porte-parole. Une autre raison, je pense, est que le courant dominant des médias ici préfère de beaucoup suivre le récit israélien, parce que le porte parole de l’armée est un bien meilleur représentant que nous.
Pat O’Connor : Vous avez été atteint à la tête cette fois là. Est-il courant que les manifestants, israéliens, palestiniens ou internationaux soient blessés ou harcelés de cette manière ?
Jonathan Pollak : Il est très fréquent que les Palestiniens soient blessés ainsi, ou pire. C’est moins courant pour les Israéliens. Il n’y a eu que trois blessés de cette manière ou plus gravement parmi les Israéliens en un an et demi de manifestations. Il y a eu des centaines de blessés graves chez les Palestiniens et six morts.
Il y a eu une manifestation en février 2004, dans le village de Biddu, ou il y a eu beaucoup de manifestations. Ce jour-là nous avons vu trois Palestiniens mourir de blessures à balles réelles. Au moins un d’entre eux a été atteint à la tête par des snipers postés sur un toit voisin.
C’est arrivé devant mes yeux, si bien que je peux l’attester.
Une personne a aussi reçu une balle dans la tête au village de Beitunia. A Biddu, un autre homme a été atteint dans la partie supérieure de l’estomac. Il est mort. Une autre personne est morte à l’intérieur de sa maison, apparemment à cause de l’inhalation de gaz lacrymogènes, à Biddu, le jour où les trois ont été tués par balle.
Pat O’Connor : Est-ce que cette violence empêche les gens d’aller manifester ? Est-ce que cela vous dissuaderait ?
Jonathan Pollack : Je suis sûr que le degré de violence que l’armée déploie illégalement dissuade certains de manifester. Je ne pense pas que cela me dissuadera dans l’avenir, mais je dois me souvenir que je cours beaucoup moins de risque parce que je suis israélien et que c’est un état d’apartheid. Lorsque je suis blessé à la tête, et blessé relativement légèrement - je n’ai aucune séquelle - il y a des articles dans les journaux et Internet. Quand, il y a quelques jours, un Palestinien, un jeune du village de Saffa, près de Bil’in où j’ai été blessé, a été atteint à l’œil par une balle en caoutchouc et a perdu son œil, il n’y a pas eu d’articles du tout.
Si bien que oui, je pense que la violence dissuade les gens, mais ne les dissuadera pas toujours. Je pense que les gens sont de plus en plus mécontents et plus au fait de la situation. Je pense qu’il vaut mieux qu’Israël comprenne que s’il brise la résistance populaire et essentiellement non violente, cela ne fera qu’encourager une résistance plus violente et brutale, parce qu’on ne peut pas espérer que les gens acceptent tranquillement qu’on les prive de leur existence.
Pat O’Connor : En dehors des blessures physiques infligées, quelles sont les autres sortes de pressions militaires ? Dans des villages comme Bil’in et Budrus les militaires pénètrent régulièrement dans les maisons des Palestiniens.
Jonathan Pollak : Je pense que cela fait partie de la même stratégie. L’armée israélienne utilise la punition collective, qui est interdite par la loi internationale, pour dissuader les gens de manifester, et je pense que c’est une vision à très court terme du conflit. Encore une fois, ils arrêtent des gens et pénètrent dans les villages de manière régulière. A Budrus et Bil’in l’armée est venue la nuit dans le village, faisant sortir de leur maison les hommes entre 10 et 50 ans, les photographiant sous trois angles et arrêtant des gens qu’ils suspectent de participer à des manifestations ou de jeter des pierres. Généralement c’est juste du harcèlement. Ils pensent briser les gens de cette manière.
Pat O’Connor : Qu’est ce qui se passe généralement le jour d’une manifestation ?
Jonathan Pollak : Eh bien, nous nous rassemblons en général au centre du village et nous descendons vers la zone, plusieurs centaines de personnes. La plupart sont palestiniens, certains sont israéliens ou pacifiste internationaux. Nous allons vers la zone dans le but de bloquer les bulldozers qui détruisent les terres des gens, et les séparent de leurs autres terres, leur source principale de revenu après quatre années de bouclage.
A ce moment là, généralement bien avant que nous n’atteignions les bulldozers, l’armée réagit avec beaucoup de violence, utilisant des grenades lacrymogènes, des grenades assourdissantes et des balles enrobées de caoutchouc. Et parfois l’affrontement commence, avec des jets de pierre. Parfois nous arrivons à atteindre les bulldozers.
Pat O’Connor : En fait, qui appelle aux manifestations et les organise ?
Jonathan Pollack : Les villageois, les gens qui sont directement affectés par le Mur. Les gens qui ne pourront plus manger si le Mur est construit.
Pat O’Connor : Quelle est aujourd’hui la fréquence des manifestations, et quelles en sont les raisons ?
Jonathan Pollak : Il y a eu presque une manifestation par jour le mois dernier. Et pour la première fois depuis longtemps, ce ne sont pas seulement des manifestations autour du Mur. Récemment, il y a eu des manifestations contre des check-ponts, des routes militaires et des bases militaires.
A travers l’écran de fumée du plan de désengagement, Israël accroit sa pression et l’occupation de la Cisjordanie, son emprise sur celle-ci, et cela affecte la vie des gens, et ils voient de plus en plus clairement que le discours sur la paix n’est qu’un discours, et que le gouvernement Sharon n’a aucune intention de le mettre en œuvre et de donner plus de liberté aux Palestiniens.
Pat O’Connor : Pourquoi, en tant qu’Israélien, choisissez-vous de faire cela, et comment les Palestiniens réagissent-ils ?
Jonathan Pollack : Je choisis de le faire parce que pour moi c’est une obligation morale. L’occupation en général, et ce Mur en particulier sont fait en mon nom, sans que je le veuille. Il est construit en mon nom même si je pense que c’est un crime horrible, et je pense que c’est de mon devoir d’essayer de l’arrêter, de faire tout ce que je peux pour l’arrêter, et de dire que la lutte pour la liberté, où qu’elle soit, est aussi la mienne, et tant qu’il n’y aura pas de liberté pour les Palestiniens il n’y aura de liberté pour personne.
J’ai toujours été bien reçu et chaleureusement par les Palestiniens. Cela n’a jamais été un problème pour eux que je sois Israélien. Bien au contraire.
Pat O’Connor : Comment évaluez-vous l’efficacité de cette résistance non violente et populaire ?
Jonathan Pollak : Je pense qu’en partie à cause de la tactique et de la stratégie de l’Autorité palestinienne, les gens ont ces derniers temps été dissuadés de s’engager dans un mouvement populaire ou de résistance populaire. Je pense que la seule chose qui peut le rendre encore plus efficace est qu’il devienne encore plus massif, que davantage de gens y participent. Ces derniers mois, nous avons vu des gens revenir à la résistance populaire à l’occupation, mais je pense qu’ils ne sont pas encore assez nombreux. J’espère que les gens sont capables de voir à travers l’écran de fumée du plan de Sharon et du gouvernement et qu’ils essaient d’y résister.
Pat O’Connor : La presse américaine parle du plan de désengagement de Gaza et du plan du gouvernement israélien d’expansion de la colonie de Maaleh Adumin, tout en parlant beaucoup des perspectives de paix. Comment voyez-vous les choses sur le terrain ?
Jonathan Pollak : Ils construisent une nouvelle colonie dans la zone entre Maaleh Adumim et Jérusalem, comme ils le font en beaucoup d’autres endroits. Je pense que cela devrait être considéré comme une nouvelle colonie. C’est une façon d’étouffer l’affaire pour les Israéliens de l’appeler une extension de la colonie.
Je ne vois pas dans le plan de désengagement un plan de retrait, ni un plan avec des perspectives de paix. J’y vois un plan pour accroître le contrôle du gouvernement israélien sur les Territoires occupés. Il n’offrira aucune réelle liberté aux Palestiniens, même à Gaza. L’économie palestinienne est complètement contrôlée par Israël, et le désengagement n’inclut, à la base, aucune réelle souveraineté pour Gaza. Les frontières seront complètement fermées, et Israël contrôlera tous les passages de Gaza vers le monde extérieur.
De plus, il est clair pour quiconque a des yeux que le gouvernement israélien ne met en œuvre le désengagement que pour faire diversion sur toutes ses activités en Cisjordanie. Pendant qu’il parle de paix et de comment les Palestiniens ne tiennent pas leurs engagements, Israël continue de construire le Mur sur un tracé qui prendra 7 % de la Cisjordanie, qui laissera 7 % de la Cisjordanie du côté israélien. Et ces 7 % sont un chiffre trompeur. Ils n’incluent pas le tracé du Mur prévu qui fait une entaille pour Ariel et Qedumim, ce qui annexerait 1 à 2 % de plus de la Cisjordanie. De plus, c’est un chiffre brut qui ne traduit pas la création de sévères restrictions de mouvement, les tracés prévus coupant profondément à l’intérieur de la Cisjordanie. En dehors de cela, aux endroits ou le Mur a été déplacé, Israël prévoit maintenant de construire de nouveaux murs pour « protéger » les routes des colons. C’est le cas à Hébron et avec la route 443 de Jérusalem à Modi’in. Globalement, les sections du Mur qui ont été annulées ou exclues par la Cour Suprême sont maintenant construites comme des murs séparés ou des « moyens de protection » pour les routes. Si bien qu’elles accroissent le rôle de ces routes comme restriction de mouvement des Palestiniens.
Les colonies s’agrandissent. La présence militaire en Cisjordanie continue et les check points sont toujours là. Il n’y a aucune liberté réelle pour les Palestiniens. C’est simplement un outil pour Israël pour maintenir sa présence et contrôler la Cisjordanie tout en réduisant la pression internationale.
Le plus risible est que cela a même été admis par le consultant de Sharon, Dov Weissglass, dans un interview à Haaretz
Pat O’Connor : Certains disent que, avec toutes ces constructions de colonies, la construction du Mur et le nouveau plan pour Ma’aleh Adummim, c’est vraiment la fin de tout espoir pour la solution de deux états, et que ce qui se passe crée une situation d’apartheid pour les Palestiniens. Que pensez-vous de cette analyse ? Comment voyez-vous l’avenir ?
Jonathan Pollak : Je n’ai jamais été un supporter fervent de la solution de deux états. Je n’ai jamais pensé, pour commencer, qu’elle avait de grandes chances, à cause des relations de pouvoir entre Israël et son économie, et l’entité palestinienne. Après quarante ans d’occupation, l’économie palestinienne est complètement dépendante de celle d’Israël. Et nous avons vu avec Oslo que la solution de deux états est exploitée par Israël pour utiliser l’Autorité palestinienne comme voisin chargé de faire le sale boulot - maintenir une occupation tranquille et cachée, tout en desserrant la pression de la communauté internationale, et en contrôlant encore tout ce qui se passe, sans offrir aucune option réelle de souveraineté ou de liberté aux Palestiniens. Et nous avons vu avec Oslo et nous le voyons aujourd’hui, l’Autorité palestinienne coopère entièrement. Leur stratégie n’est pas de libération, elle est basée sur un Etat qui n’existe pas.
Il semble que maintenant nous allons vers une continuation de la situation actuelle - qui est l’apartheid, les Palestiniens vivant sous apartheid . Je pense que les gens doivent comprendre que rien n’a vraiment changé. C’est juste la continuation de la même situation que ces quarante dernières années. Cela la construit. La maintient. La renforce.