Comment vous est venue l’intérêt pour Gaza ?
J’ai eu beaucoup de patient·es à mon cabinet de Rennes, réfugié·es de tous pays du proche et moyen orient ; en 2019 je me suis mise à l’apprentissage de l’arabe. J’ai deux fils arabophones dont un qui a vécu au Caire, et en Jordanie qui écrit pour Orient XXI.
D’où est venue l’idée de la marche vers Gaza ?
Je suis médecin généraliste, de retour de Gaza, en relation avec Hicham Elghaoui, médecin urgentiste suisse qui y a fait trois missions. Samuel Crettenand, un autre citoyen suisse a fait pour Gaza une grève de la faim. Ces deux hommes ont participé avec Saif Abuheshek, un Palestinien espagnol à organiser cette marche citoyenne internationale.
Vous communiquiez avec eux ?
Oui, je suis allée avec Hicham et le Dr Pascal André à la Cour des droits de l’Homme à Bruxelles. C’est Hicham qui a parlé d’une action à mener d’urgence et de marche. C’est alors que j’ai été sollicitée pour être porte-parole de la délégation française. J’ai redemandé à partir à Gaza, mais ne voyant pas de réponse pour une prochaine mission, j’ai accepté « de marcher ».
Quelle était selon vous la spécificité de cette marche ?
Il fallait qu’elle soit citoyenne et apolitique, non clivante pour un soutien entier à la Palestine et à son peuple.
De fait sont partis des participant·es de plus de 55 pays. Du Canada au Mexique sans oublier l’Afrique du Sud et le petit fils de Nelson Mandela, qui a été arrêté d’ailleurs et dont nous sommes sans nouvelles.
Que s’est-il passé après le 12 juin, date officielle de la Marche à partir du Caire ?
La logistique était au point. Le 13 au matin un bus attendrait les participant·es à l ’entrée de chaque hôtel, étant tous complets, d’autres points de rendez-vous étaient fixés pour converger sur El Arish ; mais dès les 10 et 11 juin, des arrestations et des expulsions ont eu lieu aux hôtels, comme à l’aéroport ; d’où la décision de partir en taxis vers Ismaïlia par petits groupes de 3 ou 4, le 13 juin à midi. En pleine confusion certain·es sont arrivé·es à Ismaïlia, d’autres parti·es se cacher ; certain·es sont partis pour Port Saïd ; d’autres dont mon groupe ont été stoppé·es dès le premier péage de l’autoroute, certain·es au deuxième ; bloqué·es de 13h à 17h avec confiscation des passeports. C’est donc paradoxalement l’Egypte elle-même qui a créé des rassemblements de plusieurs centaines de marcheur-euses !
Que voulaient les autorités égyptiennes ?
Nous ramener dans les avions. C’est alors que nous avons connu des moments riches de solidarité et de fraternité entre délégations… Nous avons parlé et chanté ensemble ! Mais en fin d’après-midi des tensions sont apparues, les policiers voulaient nous nasser derrière des barrières ; des marcheur-euses se sont mis à hurler car une personne était croyaient-iels victime, d’une crise cardiaque ; m’étant approchée j’ai diagnostiqué un malaise vagal. J’ai aussi tenté de calmer les choses. Une ambulance est arrivée et les soldats m’ont laissé repartir vers ma voiture ; des négociations ont été alors menées par les chauffeurs pour que les passeports nous soient restitués, à condition de revenir au Caire.
Le risque n’existait-il pas alors d’oublier Gaza ?
Oui et une vidéo de Saif Abuheshek le montre bien ; « N’oublions pas Gaza » ! Des reproches pour mauvaise organisation et des menaces ont été alors proférées contre la coordinatrice française qui a préféré partir et quitter l’Egypte. C’est, je pense, le résultat d’un manque de recul, de distance entre la situation de la marche et celle des Gazaouis.
Quel bilan feriez-vous à chaud ?
Ce n’est sûrement pas un échec car nous avons essayé ! Nous voulions une autorisation ou une interdiction officielle des autorités égyptiennes (l’ambassade d’Egypte à Paris) ou française. Malgré des contacts répétés avec le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (M. Barrot), nous n’avons reçu aucune réponse.
Qu’attendez-vous de la suite ?
Nous gardons espoir ! Nous souhaitons toujours une vraie communication avec le gouvernement : or M. Macron est inaccessible, le MEAE ne nous répond jamais : depuis des mois, nous avons prouvé que nous manifestons pacifiquement en France, mais nous n’avons toujours pas de rendez-vous. Notre message reste le même : que les médias et les journalistes n’oublient pas le but de cette marche réprimée : la volonté inébranlable de l’ouverture d’un corridor humanitaire massif et sans conditions vers Gaza.
Une anecdote terrible ; récemment sur 5 camions qui ont obtenu un laisser-passer des Israéliens, 2 étaient chargés de linceuls mortuaires.
Propos recueillis par Jacques Fröchen
Photo : Dr Catherine Le Scolan-Quéré à son retour d’Egypte à l’aéroport d’Orly, le 18 juin 2025