Je suis née à Gaza, mes parents y sont
encore. J’ai donc connu la vie et
l’encerclement de Gaza. Jusqu’en
2002, je n’imaginais pas pouvoir parler
à un Israélien. La souffrance était
trop forte. J’étais engagée dans la gauche
démocratique et laïque sans être dans
un parti politique. Je ne croyais pas à la
paix dont parlaient les Israéliens. Ils se
fichaient de la justice, et une paix sans
justice n’est pas une vraie paix. J’ai suivi
attentivement le projet « People to
people » [1] et j’étais renforcée dans l’idée
qu’il n’y avait aucune possibilité de dialogue.
Puis j’ai travaillé pour Miftah,
avec Hanan Ashrawi. J’ai commencé à
mûrir, à devenir plus rationnelle, à
m’impliquer dans la « realpolitik » et je
suis parvenue à approuver la solution
de deux Etats, tout en critiquant les négociateurs
des accords d’Oslo et de Taba.
Je me suis dit que si je voulais que mon
point de vue soit considéré, il était temps
d’intervenir. Nous avons besoin de tous,
Palestiniens et Israéliens, pour trouver
une solution à ce conflit, donner une
chance à la paix et être partie prenante
de ce processus. Et je me suis engagée.
Je ne peux pas dire que j’ai des liens
d’amitié avec les Israéliens. Je préfère
en rester au plan politique. Nous voulons
la fin de ce conflit. Peut-être ensuite
pourrons-nous parler de réconciliation...
Je fais une recherche pour évaluer ce
projet de « People to People ». Je crois
que les bases étaient fausses car il privilégiait
le dialogue. Les Palestiniens
n’ont pas besoin de s’asseoir ensemble
et de parler, pour se rendre compte qu’un
Israélien est un être humain ou que le
Palestinien mange et s’habille comme un
Israélien. Nous avons gaspillé tout ce
temps sans que les Israéliens comprennent
que l’occupation fait du mal à leur
société autant qu’elle nous fait du mal.
Nous ne sommes pas seulement des voisins.
Chaque société est forcée de tenir
compte de l’autre parce qu’elles sont
liées. Je ne crois pas qu’un Israélien qui
est assis à une terrasse de café à Tel-
Aviv en regardant la mer ait quelque
chose à faire de ce qui se passe à Beit
Hanoun. Pourquoi devrait-il s’en soucier,
puisque cela n’affecte pas sa vie quotidienne
? Pour qu’il se sente concerné,
il faut qu’il ressente qu’il y va de son
propre intérêt de faire cesser les souffrances
des Palestiniens. Tant que nous
ne travaillons pas cela, seule l’élite politique
israélienne se sentira impliquée.
Voilà mon histoire. Je reste critique,
mais je crois qu’il n’y a pas d’autre voie
que la négociation pour trouver une issue
à ce conflit.
Une nouvelle approche
C’est pourquoi je me suis engagée au
sein de la Commission internationale
des femmes (IWC) qui a été créée en
juillet 2005. Il s’agit d’une nouvelle
approche pour unir des voix israéliennes,
palestiniennes et internationales dans
une commission politique. Ce n’est pas
un projet, ce n’est pas une coalition
d’organisations, nous ne parlons pas
comme un groupe d’Israéliennes ou de
Palestiniennes. Nous sommes des individus
qui partageons la même vision et
parlons d’une seule voix, ce qui nous
rend plus fortes sur la scène internationale.
L’IWC est composée de vingt
Palestiniennes, vingt Israéliennes et vingt
leaders de la communauté internationale
qui se sont rassemblées autour d’une
charte dont les objectifs politiques sont
la fin de l’occupation, l’établissement
d’un Etat palestinien sur les territoires
de 1967, le respect du droit international
et des droits humains, en finir avec
les asymétries et combattre les mesures
qui empêchent l’établissement de l’Etat
palestinien : les colonies, la situation
de Jérusalem, le mur.
Nous inscrivons notre agenda dans le
cadre de l’application de la résolution
1325 de l’ONU qui demande d’intégrer
les femmes dans les négociations en vue
de la résolution des conflits. La commission
a reçu l’aval de Mahmoud Abbas,
un soutien de la Knesset. Sur le plan
international, nous avons la reconnaissance
de Naomi Neither qui est la directrice
exécutive de l’UNIFEM (Fonds de
développement des Nations unies pour
la femme).
Parmi les vingt Palestiniennes, on retrouve
les leaders historiques des femmes
comme Hanan Ashrawi, Samia Bamya,
Zahira Kamal et des leaders de la jeune
génération. C’est très important
d’apprendre de leur expérience, mais il est essentiel de donner un souffle nouveau,
d’apporter des idées et des perspectives
neuves.
Si nous avons réussi à obtenir le soutien
des officiels parce que nous avons
agi à un haut niveau, nous devons maintenant
plus travailler vers la base de notre
société pour avoir un large soutien des
femmes. Il nous manque ce lien.
Promouvoir des jeunes leaders
Tous les mouvements de femmes sont
un peu élitistes et spécialisés. Je suis
personnellement spécialisée dans les
médias, puisque je suis directrice d’une
ONG, Filastiniyat, qui s’attache à sensibiliser
les médias palestiniens aux problématiques
du genre. C’est ce que je sais
faire. Je ne serais pas efficace si je devais
travailler à la base dans des organisations
de masse. Il existe des ONG qui font
très bien ce travail. Je préfère avoir,
d’un côté, des organisations d’« élites »
formées à la politique qui travaillent à
un haut niveau et des organisations de
terrain, de l’autre. Ce qui manque, c’est
d’établir le lien et une coordination entre
les deux approches afin d’épanouir toutes
nos capacités et de mettre chaque ressource
à disposition des femmes pour se
compléter les unes les autres. Cet échange
ne fait pas encore partie de notre culture.
Je vous donne un exemple. Dans les
médias, Filastinyat est en train de promouvoir
des jeunes femmes leaders.
Pour nous, une leader est une femme
qui excelle dans une spécialité classiquement
dominée par les hommes -
comme la technologie de l’information
ou la maîtrise de l’eau, par exemple.
C’est une définition différente de celle
du leader populaire ; mais il n’est pas
obligatoire de prendre la tête des manifestations
pour être une dirigeante. En
même temps il faut permettre la montée
des leaders des communautés ; ces
femmes qui organisent les manifestations
contre le mur, qui cherchent à créer
des alternatives économiques pour les
femmes, à permettre l’accès à leurs terres
de l’autre côté du mur. L’important est
de réunir tous ces talents dans différents
domaines. Quand j’ai démarré ce projet,
j’ai contacté toutes les organisations
de femmes qui travaillent sur le terrain
depuis dix ans, sur des projets de formation
des femmes. Chaque organisation
se vante d’avoir formé des dirigeantes
à Jénine, Tulkarem, Naplouse,
et elles annoncent des chiffres. Je souhaitais
connaître la liste des noms de
ces femmes pour qu’elles puissent intervenir
dans les médias. La réponse de
ces organisations a été : « Nos listes
sont confidentielles. » J’ai argumenté
que ces leaders devaient être connues,
qu’elles pouvaient avoir accès aux
médias. Réponse : « Nous avons nos
propres formations sur les médias. » Le
résultat c’est que les ONG veulent garder
leurs prérogatives en ne permettant
pas la promotion de jeunes leaders de la
base. Je crois qu’il est temps de faire
une évaluation de nos succès, de les
mettre en commun, d’échanger les expériences
et d’exiger la transparence. Sinon,
nous nous condamnons à l’isolement.
Question d’identités
La victoire du Hamas a été comme une
gifle en plein visage parce qu’il représente
tout ce que je ne veux pas. Mais
c’est ce que le peuple a voulu. Je pense
que les femmes seront les premières
victimes. Croyez-moi, les partis seront
prêts à sacrifier les droits des femmes
pour maintenir l’unité. Dans l’histoire
des pays arabes, chaque fois qu’il y a eu
un compromis avec les islamistes, cela
s’est toujours fait aux dépens des droits
des femmes. Vous ne pouvez pas non
plus compter sur le mouvement laïque.
Mustapha Barghouti est le premier à
soutenir Hamas. Sur cette question, on
ne peut pas faire confiance aux politiciens.
Comme Palestinienne, mon identité de
femme est aussi importante que mon
identité nationale. Si la Palestine devait
devenir un pays où règne la charia, comme
l’Arabie saoudite, honnêtement je ne
crois pas que je resterais ici. Historiquement,
les Palestiniens respectent les
femmes et nous avons une très riche culture
où les femmes dominaient dans les
villages. Nous avons une liberté spécifique
d’expression par rapport aux pays arabes,
parce que la situation révolutionnaire
nous a donné plus de droits pour participer
à la sphère publique. Personnellement
je ne veux pas que nous reculions
au prétexte de conserver la paix sociale.
Pour l’instant on ne sait pas dans quel
sens la situation va évoluer, mais je ne
suis pas sûre que le mouvement des
femmes soit préparé à une offensive.
Durant l’initiative de dialogue national,
nous avons eu une rencontre avec les
femmes islamiques. Mais sans pouvoir
discuter sur un véritable agenda, cela ne
menait pas loin. Le mouvement laïque
n’est pas unifié. Il y a un débat sur la
charia et les approches sont différentes.
Mes rêves sont de voir la fin de l’occupation
et de la souffrance et de vivre
dans un Etat démocratique et laïque où
les femmes sont respectées, où les minorités
et les différences sont reconnues. Je
ne sais pas si je verrai jamais l’avènement
de l’un des deux, mais il faut continuer
d’avancer.
Dès janvier, je vais présenter une émission
à la TV palestinienne qui va permettre
à des jeunes femmes de parler politique.
Jusqu’à présent, les débats politiques
sur les chaînes étaient toujours réservés
aux hommes. Aux femmes, les questions
sociales qui concernent les femmes
ou les enfants. Je veux qu’il y ait deux
femmes et un homme et que les gens et
les médias voient que les femmes sont
aussi capables que les hommes, et qu’elles
proposent des perspectives différentes.
Propos recueillis à Ramallah par Monique Etienne, le 10 novembre 2006.