Pourriez-vous présenter votre parcours (origine, éducation, étude, parcours diplomatique) ?
H. A. H. : Je suis née en octobre 1976 en Palestine, dans le quartier Al-Rimal à Gaza, ville et terre d’origine de mes parents et de mes ancêtres avant eux. J’ai étudié la langue et la littérature anglaises à l’université Al-Azhar de Gaza entre 1994 et 1998. Parallèlement à mes études universitaires, j’ai étudié la langue et la civilisation françaises au Centre culturel français de Gaza. J’ai ensuite étudié à l’université de Malte entre 2002 et 2003 où j’ai obtenu un master en diplomatie. En 2015, tout en étant en poste à Paris, j’ai obtenu mon diplôme de l’ENA, déléguée de la promotion Winston Churchill.
J’ai rejoint la diplomatie palestinienne en 1999. J’ai été deuxième puis première secrétaire à l’Ambassade de Palestine au Gabon, entre 1999 et 2005. J’ai ensuite rejoint la direction des réfugiés au ministère des Affaires étrangères de l’État de Palestine à Ramallah jusqu’en 2007, avant d’être nommée la même année première secrétaire à la Mission de Palestine en France (Délégation générale de la Palestine en France jusqu’au rehaussement au statut de Mission de Palestine en France en 2010), où je fus conseillère politique puis première conseillère de 2007 à 2018.
En 2018, j’ai eu l’honneur d’être nommée ambassadeur en charge de l’Union européenne à la Mission de l’État de Palestine auprès de l’Union européenne, et en mars 2020, j’ai été nommée ambassadeur au Canada, avant de revenir en France en août 2021 en qualité d’ambassadeur, chef de la Mission de Palestine en France.
Quel est le rôle d’une ambassadrice de la Palestine en France ?
H. A. H. : Comme tous les ambassadeurs des pays du monde en poste à l’étranger, ma mission est évidemment de représenter mon pays et ses intérêts auprès du pays accréditaire et travailler pour établir et maintenir les meilleures relations possibles entre les deux peuples et les deux pays à différents niveaux culturels, économiques, touristiques, politiques… La particularité est que mon pays est sous occupation coloniale. Ma mission est donc le prolongement des efforts du leadership palestinien et du mouvement de Libération nationale, pour l’obtention des droits inaliénables du peuple Palestinien à la liberté, à l’indépendance, à la souveraineté et au retour sur notre terre.
Ces efforts politiques et diplomatiques pour arriver à ces objectifs nationaux sont basés sur le droit international. Mon rôle en tant qu’ambassadeur de Palestine en France est de porter ces efforts auprès des hautes instances françaises, et de travailler avec les centres de décision pour faire avancer notre cause palestinienne juste, dans le sens de la paix, du respect du droit et de clarifier la réalité de l’occupation israélienne et de ses violations auprès de l’opinion publique française, car la question de la Palestine n’est pas seulement une question de peuple sous occupation, mais une question qui résume les enjeux de liberté dans le monde entier, et touche à la paix et à la sécurité dans la région et dans le monde.
Quels objectifs vous êtes-vous fixés ? Et avec quels moyens ?
H. A. H. : Je prends mes fonctions dans un contexte de mutations rapides et complexes du système international, et combien décisif pour l’avenir du monde, sans exception pour la Palestine et la région. Et en même temps, alors que la situation de la Palestine sur le terrain ne cesse de se dégrader devant l’obstruction des horizons politiques et le blocage du processus de paix par des négociations ; blocage qu’Israël a œuvré sans cesse à installer depuis plus de 70 ans.
Mon objectif premier est de maintenir la place de la cause palestinienne parmi les préoccupations de la politique française et d’oeuvrer avec la France amie en tant que partenaire de paix et de sécurité, notamment cette année à travers sa présidence du Conseil de l’Union européenne, pour agir avec ses partenaires de l’Union européenne afin d’unifier les positions sur la question de Palestine, avec l’objectif de débloquer cette situation, de relancer des négociations sérieuses, et d’enclencher les mécanismes d’une solution définitive qui mette fin à l’occupation militaire et à l’expansion d’Israël sur le Territoire palestinien occupé, qui se sont transformés à force d’inaction de la Communauté internationale et d’absence de sanctions à l’égard de la puissance occupante, en véritable apartheid, comme le documente entre autres, le rapport d’Amnesty International publié le 1er février.
Comment, percevez-vous les fortes critiques qui émanent de la jeunesse palestinienne à l’encontre de la représentation officielle type OLP ou Autorité palestinienne ?
H. A. H. : Je suis née 28 ans après la Nakba de 1948 (la catastrophe). J’ai vu le jour sous le ciel de l’occupation militaire de mon pays. Ma ville, Gaza, est sous blocus depuis mes 31 ans, et j’ai aujourd’hui 45 ans. Comme la jeunesse palestinienne, je n’ai connu que l’occupation de mon pays, et les agressions militaires contre la Cisjordanie et Gaza. Ma génération et la plus jeune n’ont jamais connu la liberté : que nous vivions en Palestine ou ailleurs, nous n’avons jamais été libres.
Mais même si nous vivons sous occupation et que notre pays n’est pas indépendant, la jeunesse palestinienne, qui représente plus que la moitié de la société, est extrêmement vibrante, dynamique et créative. C’est pour cela qu’il est impératif de lui offrir une perspective et un espace pour vivre dignement et librement. C’est l’objectif ultime de la Direction palestinienne qui, malgré l’occupation, s’est investie dans la construction des institutions de l’État de Palestine, a mené des réformes adaptées à notre réalité, et tente de promouvoir l’égalité femme-homme. Notre jeunesse est notre richesse, elle représente le levier le plus important pour notre libération nationale et l’avance¬ment de notre société.
De manière plus large, quel regard portez-vous sur la situation du peuple palestinien ?
H. A. H. : Mon peuple est un peuple digne, résilient, fort, créatif, amoureux de la vie et épris de liberté. Il est chaque jour encore plus admirable. Mon peuple résiste chaque jour au nettoyage ethnique. Il ne lutte pas uniquement pour la liberté et l’indépendance, mais pour son existence même sur sa terre et parmi l’humanité. Et malgré son histoire tragique qui se poursuit depuis 74 ans, le peuple Palestinien est résolument tourné vers l’avenir, il vit et aspire à vivre avec le monde d’aujourd’hui, à l’ère d’avancées technologiques majeures.
Depuis le début du XXe siècle, le peuple palestinien a lutté pour obtenir ses droits et pour sauvegarder son identité sur la terre sur laquelle il a vécu pendant des milliers d’années, et tout au long de son histoire, mon peuple est sorti de toutes les épreuves digne et fort.
Aujourd’hui, le peuple palestinien lutte pour sa liberté, son indépendance et son existence en tant que peuple sur sa terre et défend sa place parmi les peuples de la Terre. Il ne renoncera pas à ses droits humains, historiques et politiques de bâtir un État indépendant, libre et souverain, avec Jérusalem-Est pour capitale.
L’occupation israélienne pratique les types de violations les plus odieuses contre mon peuple, vole sa terre, sa richesse nationale, emprisonne et assassine des jeunes femmes et hommes, même des enfants et des personnes âgées, pratique le meurtre sans procès, déporte de force des Palestiniens et détruit leurs maisons, les prive de leurs droits humains, exerce une domination sur eux pour les affaiblir et les effacer de la carte du monde. Mais l’histoire nous enseigne que l’occupation ne dure pas, que l’injustice ne dure pas et que la lutte d’un peuple lui obtiendra la liberté et l’indépendance. Et le peuple palestinien y arrivera aussi.
Qu’attendez-vous du mouvement de solidarité pour la Palestine en France ?
H. A. H. : Tout d’abord, je salue toutes les composantes du mouvement français de solidarité avec la Palestine et les assure que cette solidarité est primordiale pour le peuple palestinien dans sa lutte pour la liberté.
La solidarité assure aux Palestiniens qu’ils ne sont pas seuls dans leur lutte contre l’occupation et contre l’apartheid pratiqué sur eux par l’occupation israélienne.
Le mouvement français de solidarité avec la Palestine est influent dans le cours des événements en France à l’égard de la cause palestinienne, mais il est également affecté par les événements en Palestine même. J’attends qu’il continue à présenter la réalité de la cause palestinienne, non seulement comme une cause humaine, mais comme la cause d’un peuple luttant pour ses droits nationaux légitimes, et qu’il continue à s’adresser aux centres de décision en France pour les pousser à jouer un rôle digne de la position, de l’histoire et des principes de la France pour parvenir à une solution pacifique de la question de Palestine qui garantisse les droits du peuple palestinien.
Je suis heureuse, comme tout Palestinien, que ma cause soit toujours vivante dans tous les pays du monde, notamment en France et que la solidarité avec la Palestine ne se limite pas à un groupe, mais inclut toutes les sensibilités sociales, politiques, économiques et autres du peuple français ami. J’espère que le mouvement français de solidarité avec la Palestine poursuivra son action et oeuvrera à son développement jusqu’à l’obtention des droits du peuple palestinien.
Un message particulier à faire passer aux militantes françaises de la cause palestinienne ?
H. A. H. : La Palestine n’est pas seulement la cause du peuple palestinien, c’est la cause des peuples libres partout dans le monde.
Dans votre solidarité avec le peuple palestinien, vous incarnez le sens le plus élevé de la liberté et de la solidarité humaine, ainsi que la défense de la dignité, de la liberté et des droits humains.
En mon nom propre et au nom de chaque Palestinien, je salue votre cou¬rage moral, votre combat et vos actions, vos prises de position libres et nobles, qui prouvent que la Palestine n’est pas seule, et que le peuple palestinien, grâce à votre solidarité, est encore en mesure de pour¬suivre sa lutte jusqu’à la liberté, l’établissement de son État indépendant et la concrétisation de ses droits nationaux légitimes, au premier rang desquels le droit à l’autodétermination dans son État indépendant.
Propos recueillis par Mireille Sève et Thomas Vescovi
>> Cet article fait partie du n°80 de notre revue trimestrielle Palestine-Solidarité ou "PalSol".
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