« Quand les territoires et les prisonniers seront libérés, le rôle de la résistance sera terminée »
Tout d’abord,nous voudrions vous poser trois
premières questions : sur la capacité du
Hezbollah de dialoguer avec les autres forces
politiques libanaises, sur sa position concernant les
fermes de Shebaa et sur celle concernant les relations
avec la Syrie, sur l’application de la résolution
1559.
Ali Fayad : Nous sommes prêts à dialoguer avec
tous les partis libanais. Nous avons même élaboré
un document commun avec le général Michel
Aoun [1].
Les fermes de Chebaa sont un territoire libanais. Nous
avons dit dès la première minute après le retrait
israélien de mai 2000 que c’est le gouvernement
libanais qui détermine ce qui appartient au territoire
libanais. Tous les gouvernements libanais successifs
ont dit que les fermes de Chebaa appartiennent
au territoire libanais. Nous sommes donc
tenus de les libérer.
Nous sommes pour l’établissement de relations
diplomatiques avec la Syrie, y compris l’ouverture
d’ambassades. La frontière avec la Syrie est ouverte.
Mais le Liban est la patrie définitive des Libanais
et nous sommes des Libanais.
On parle aujourd’hui de la résolution 1559. Mais
citez-moi une seule résolution de l’Onu appliquée
par Israël, sans compter toutes les résolutions de
l’Onu sur la Palestine. La résolution 425 de mars
1978 sur le Liban demandait le retrait inconditionnel
du Liban sud et un déploiement de la Finul
après le retrait. L’armée israélienne est restée 22
ans après l’adoption de la résolution !
Le gouvernement libanais a élaboré un plan en
sept points. Le Hezbollah fait partie du gouvernement
libanais et a approuvé ce plan malgré quelques
réserves. Pouvez-vous préciser ?
A.F. : Dans ce plan, il y avait le champ d’action
de ses forces au Liban sud. Les forces de la Finul
présentes au Liban sud en cas de retrait israélien
des fermes de Shebaa pourraient être renforcées
et leur mission élargie. Cependant, ce que les Etats-
Unis exigent, ce n’est pas une force de l’Onu mais
une force multinationale (chapitre VII de la Charte)
ayant le droit d’utiliser la force. Et, évidemment,
quand les Etats-Unis et Israël parlent d’usage de la
force, ils veulent dire contre les Libanais. Et ils exigent
que cette force se déploie sur une profondeur
de 20 km uniquement en territoire libanais et non
pas des deux côtés de la frontière. Les Israéliens voudraient
se reposer et charger une force internationale
de faire leur travail contre le Hezbollah.
Pourquoi cette force ne se déploierait-elle pas aussi
en territoire israélien ? Dans le document en sept
points, le gouvernement libanais n’a pas parlé
d’une force multinationale mais de la Finul avec
déploiement proportionnel des deux côtés de la
frontière. Sinon, avec l’approche voulue par les
Américains, nous apparaissons comme l’agresseur
et Israël l’agressé. Alors que nous avons des territoires
occupés, que nous sommes le seul pays au
monde dont l’espace aérien et maritime est violé
chaque jour depuis 1980 sans que cela provoque
une crise internationale. Parce que l’auteur en est
Israël. N’importe quel autre pays ferait cela, il y aurait
une crise internationale. Sur ce point, vous pouvez
consulter le rapport de la Finul sur le site de l’onu.
Dans le plan en sept points proposé par le gouvernement
libanais, il apparaît que les trois premiers
points, non négociables, conditionnent les autres :
– un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel ;
– le retrait israélien des territoires réoccupés et le
retrait des fermes de Chebaa ;
– un échange de prisonniers.
Comme résultat de l’application de ces trois premiers
points, nous pourrons négocier les autres. Une autre
condition a été ajoutée après le massacre de Cana :
une commission d’enquête internationale sur ce
massacre.
Le Hezbollah estime que tant qu’il y a un territoire
occupé et des prisonniers libanais, la résistance a
le droit de se battre. Quand les territoires et les
prisonniers seront libérés, le rôle de la résistance
sera terminé.
Reste la question de la souveraineté, si la partie
israélienne ne viole plus l’espace libanais. Le gouvernement
devrait élaborer une stratégie de défense
dans laquelle chaque acteur aura un rôle à jouer.
Comment pouvez-vous parler de souveraineté de
l’Etat alors qu’il y a des milices à l’intérieur de
l’Etat ? [2]
A.F. : La question touche à la définition que
l’on donne de la souveraineté. Nous ne sommes
pas partisans de la conception « étato-centrée ». Il
faut défendre à la fois l’Etat et la société. Lorsque
l’Etat est incapable de remplir certaines de ses fonctions,
la société a le droit de les remplir. Il ne s’agit
pas de déposséder l’Etat mais de l’aider. Notre mot
d’ordre est : vers un Etat capable et efficace.
Les armes de la résistance sont des armes provisoires.
Elles sont exclusivement destinées à lutter contre
l’occupation et les agressions d’Israël à l’exclusion
de tout autre objectif. Ces armes sont au service d’une
stratégie de défense libanaise.
La nature du pouvoir au Liban est assez singulière.
La formule libanaise se résume à : partenariat et
consensus. Celui qui gouverne ne détient pas le
pouvoir à lui seul ; il a toujours des partenaires, visibles
ou invisibles. Les décisions sont concertées.
Il peut paraître étrange qu’un parti ayant une inspiration
religieuse (en plus de sa dimension nationale
et arabe) ait le souci de respecter cette démocratie
consensuelle [3]
. Le Hezbollah s’inscrit sur le
plan intérieur dans une logique réformiste et moderniste
de l’Etat libanais.
Y a-t-il une solution séparée de la question libanaise
avec la question régionale ? Quelle articulation
avec la question palestinienne et avec les forces
palestiniennes ? Quelles sont vos relations avec le
mouvement national palestinien ?
A.F. : Le Hezbollah a évolué par rapport au
passé. Durant les années 80, l’articulation que nous
faisions avec le problème palestinien était beaucoup plus étroite. Dans une certaine mesure, nous allions
jusqu’à confondre notre stratégie et la stratégie
palestinienne. Aujourd’hui, c’est différent. Nous
considérons que pour la conquête des droits des
Palestiniens, nous n’avons pas à nous substituer à
eux, mais nous pouvons les soutenir. Ce qui nous
concerne, ce sont les préoccupations nationales libanaises.
Il faut faire la distinction entre nos motivations
et les résultats. Nos motivations sont libanaises.
Nous donnons la priorité à nos intérêts nationaux,
mais cela ne signifie pas que c’est au détriment des
Palestiniens, contrairement à d’autres.
Il y a une articulation objective entre le combat
palestinien et le combat libanais. D’abord la proximité
: nous avons tous deux des problèmes de frontières
avec Israël ; il y a des réfugiés palestiniens au
Liban. Par ailleurs, le Hezbollah est allié à toutes les
forces de résistance.
Pourquoi le gouvernement libanais n’envoie-t-il pas
l’armée libanaise rejoindre le Hezbollah dans le
sud ?
A.F. : Pour des raisons purement militaires.
L’armée conventionnelle ne tiendrait pas un jour
devant l’armée israélienne. Pour nous défendre
nous ne pouvons qu’avoir recours à une guerre asymétrique,
c’est-à-dire à la guerilla. Et il se trouve que
c’est le Hezbollah qui a les moyens de la mener
actuellement.
Beyrouth, le 31 juillet 2006.
Compte-rendu par Bernard Ravenel et Sylviane de Wangen