Des élections transparentes et
démocratiques. Au moins la
communauté internationale, de
Washington à Bruxelles ou Paris, aurat-
elle dû reconnaître ce mérite au scrutin
législatif palestinien de ce 25 janvier
2006 pourtant tenu sous occupation.
Les entraves n’ont pas manqué, entre
les arrestations de nombre de candidats,
singulièrement ceux du Hamas - ce qui a alimenté sa popularité en tant
qu’ennemi désigné par Israël - aux multiples
interdictions imposées par l’armée
à Jérusalem ou aux difficultés d’une
campagne barrée par les centaines de
checkpoints qui enferment la multiplicité
des enclaves du territoire palestinien.
Plusieurs centaines d’observateurs
internationaux, cependant, ont insisté
sur le bon déroulement d’un scrutin tenu
à la date annoncée. Mieux : fait unique
dans la région, des centaines de Palestiniens
eux-mêmes ont tenu leur rôle
d’observateurs, ce qui souligne la détermination
démocratique d’une société
pourtant épuisée et laisse présager de
ses possibles exigences pour les scrutins
à venir où l’alternance pourrait, de
nouveau, être au rendez-vous.
Une exigence de changement
Probablement le Hamas lui-même ne
s’attendait-il pas à un tel raz-de-marée
aux élections législatives, les secondes
de l’histoire du territoire palestinien
occupé, les premières auxquelles il participait.
Leur victoire et, partant, la défaite
du Fatah, sont de ce point de vue historiques.
Mahmoud Abbas avait fait le
pari de l’intégration au système politique
palestinien du mouvement de la
résistance islamiste. Celui-ci, déjà, l’avait
emporté sur le Fatah lors de la dernière
phase des élections municipales en Cisjordanie,
en décembre 2005. Et s’il a
respecté la trêve unilatérale, il a aussi
accepté les règles du jeu électoral, et
notamment la participation des femmes
sur ses listes [1] Il a obtenu la majorité
absolue, et 76 sièges sur 132.
Probablement aussi se serait-il contenté
d’être un brillant perdant, laissant au
Fatah la gestion du pouvoir et d’improbables
négociations, s’appuyant sur un
score confortable pour formuler ses exigences
en particulier sur le terrain social
et se réserver la carte de la critique sur
le terrain politique. Désormais confronté
à la gestion du pouvoir, il est en quelque
sorte à l’heure des choix. A la fois quant
à son projet de société et quant à son
programme politique.
C’est sous la bannière « Réforme et changement
» que le Hamas a fait campagne.
L’axant principalement sur le thème de
l’assainissement de la vie politique palestinienne,
il a également, sinon d’abord,
récolté les fruits de l’affaiblissement de
la stratégie du président de l’Autorité
palestinienne, Mahmoud Abbas, pourtant
élu un an plus tôt, mais miné par le
choix fondamental d’unilatéralisme des
dirigeants israéliens au profit d’une colonisation
à outrance de la Cisjordanie.
Un choix qui a de facto rendu caduc, au
moins dans la période, tout projet de
négociations. Le Fatah, qui a fait des
négociations sa stratégie et qui les a portées
quasiment seul depuis quinze ans paie
le prix de cet échec qui se traduit par
l’impasse politique et diplomatique, par
le déchaînement de la colonisation et
par une dégradation sans précédent des
conditions de vie ou de survie et de sécurité
de la population. Nombre d’éditorialistes
palestiniens soulignaient, au
lendemain du scrutin, combien le Hamas
est apparu comme le seul susceptible de
répondre par l’intransigeance à l’intransigeance
israélienne.
Mais c’est aussi sur le terrain de la gestion
des institutions, de la vie économique
et sociale, que le Hamas, qui a
su développer un réel réseau d’entraide,
a fait le plein des voix. Soumise à l’étranglement
économique, à l’appauvrissement
absolu, la population a d’autant
plus sanctionné le népotisme, le clientélisme
ou la corruption, comme l’indécent
enrichissement de certains des cadres
du parti au pouvoir. A l’inverse, les candidats
du Hamas ont su développer une
image de probité et de compétence au
point d’attirer sur leurs listes des candidats
sans affiliation, éloignés des préoccupations islamistes, ou de conquérir des
voix chrétiennes. 60% des électeurs du
Hamas ne se définissent pas comme islamistes.
Le nouveau
Premier ministre,
Ismail Hanyieh, qui
vit dans le camp de
réfugiés de Chatti dans
la bande de Gaza,
incarne cette image
de proximité avec la
population et ses difficultés
quotidiennes.
- © Nihad Awartani
- Le plan d’Abou Mazen (les négociations), celui du Hamas (la lutte armée) et celui d’Israël (les bombardements).
Mais cette victoire historique
interroge aussi
la stratégie des forces
qui, dans la société
palestinienne, se réclament
de la gauche
nationaliste et de la
démocratie. Si Mustapha
Barghouti, fondateur
de « Moubadara
» et connu comme
l’un des pères de
l’Union des comités de secours médical
palestinien, avait recueilli un score honorable
à la présidentielle, sa liste n’obtient
cette fois que deux élus, de même que
la « troisième voie » de Salam Fayyad
et Hanan Achrawi, tandis que les organisations
de la gauche traditionnelle de
l’OLP sont de fait marginalisées. La
bipolarisation que semble révéler ce
scrutin témoigne aussi de la distance
des dirigeants de ces organisations avec
la population et les besoins qu’elle
exprime. Les ONG elles-mêmes, pourtant
efficaces, comblant le déficit de services
publics et de services d’urgences,
pâtissent d’une professionnalisation de
leurs cadres dès lors moins perçus qu’à
leurs débuts comme militants de terrain.
En tout état de cause, la question sociale
a émergé comme centrale.
Des défis nouveaux
La nouveauté de la période ouvre dès lors
sur plusieurs interrogations qui renvoient
au projet de société du mouvement islamiste,
aux relations entre l’Autorité
palestinienne et l’OLP -question marginalisée
ces dernières années -, aux
modalités de la résistance et au projet
diplomatique, comme à la réorganisation
de la scène politique palestinienne, tant
à l’intérieur du territoire occupé que
dans les camps de l’exil.
« Nous avons un programme clair. Nos
deux préoccupations essentielles sont
l’économie et la sécurité. (...) Il y a
beaucoup trop d’armes dans la rue qui
sont entre les mains des familles ou de
certains organes de sécurité. (...) La
restauration de l’ordre et de la discipline
est l’une de nos priorités. Nous
n’accepterons ni corruption, ni favoritisme.
Nous allons désarmer les gangs
et les mafias qui provoquent le chaos »,
assure Mahmoud al-Zahar, nommé depuis
ministre de l’Intérieur [2].
Islamisation de la
société ? Sans
doute est-ce l’un des
objectifs des Frères
musulmans. La
Palestine, quelles
que soient ses spécificités,
inscrites
dans l’histoire de sa
r é s i s t a n c e ,
n’échappe pas pour
autant aux tendances,
diversifiées,
qui se manifestent
dans la région.
Mais, comme le fait
remarquer Camille
Mansour [3], ce sont
aussi les conditions
mêmes de l’occupation,
la réorganisation
de l’espace que bouclages et checkpoints
imposent en limitant l’horizon de chacun
qui ont, d’ores et déjà, contribué à
un repli sur la famille, le clan... Ou sur
ce qui apparaît comme tradition, perçue
comme devant être préservée. Le
Hamas, lui, dont l’orientation économique
s’inspire plus volontiers du libéralisme,
si tant est que cela ait un sens
dans une situation de total étouffement
imposé par l’occupation, conjugue islamisme
et nationalisme. Comme le souligne
Leila Shahid, c’est probablement
de cette double composante qu’il tire sa
légitimité auprès de la population dont
la majorité affirme qu’elle refusera,
notamment, toute tentative d’imposer
une législation islamique ou de réviser
les programmes scolaires.
Bouleversements politiques sur la scène palestinienne
C’est peu dire que la défaite du Fatah,
première organisation de l’OLP, qui
tenait les rênes de l’organisation comme
du pouvoir au sein du territoire palestinien, bouleverse la donne. Accusé de
corruption et de l’impasse actuelle, il
fait aussi les frais de ses carences de
démocratie interne. Son dernier congrès
remonte à 1989. L’absence de débat
stratégique s’est conjuguée à celle du
renouvellement de ses cadres, malgré
l’apparition, à côté des grandes familles
traditionnelles, non pas seulement d’une
mais de deux générations nouvelles.
Celle de la première Intifada, dont les
cadres sont soit en prison, tel Marwan
Barghouti, soit en quête de pouvoirs,
tel Mohammed Dahlan ; celle de la
seconde Intifada, celle des enfants souvent
emprisonnés et en mal de scolarité
durant la première, et qui croit en grande
partie pouvoir tirer sa légitimité de cinq
ans d’engagement armé dont elle a payé
le prix fort. La difficile constitution
d’une seule liste, unie, pour les élections,
en a témoigné, un an après la mort
de Yasser Arafat qui faisait figure de
ciment de l’unité nationale. Que va faire
le mouvement de sa défaite ? Sera-telle
l’occasion du débat et d’une refonte
de ses liens avec la population, ou au
contraire la frustration et les concurrences
risquent-elles de dégénérer en
crise plus profonde ?
Le Hamas, lui, aurait préféré un gouvernement
d’union nationale dont le
programme serait nécessairement différent
de celui du mouvement, comme
l’avait indiqué sa tête de liste, Ismail
Hanyieh [4]. Durant la première Intifada,
le mouvement alors naissant, principalement
dans la bande de Gaza, se singularisait
par ses attaques violentes
contre les forces de la résistance nationale -après celle, quelques années plus
tôt, des locaux du Croissant Rouge,
dirigé par le populaire Dr Haïder Abdel
Shafi, considéré comme proche des communistes.
Le cheikh Ahmad Yassine -
revenu d’Egypte à Gaza en 1971- avait
jeté les bases du mouvement, dans la
lignée des Frères musulmans, dès les
années soixante-dix, limitant alors ses
activités à l’aide sociale et aux études religieuses,
avec des fonds venus principalement
des pays du Golfe ou de Jordanie.
Tandis que la jeunesse
palestinienne voulait « donner vie aux
rêves des aînés et à leur aspiration à
l’indépendance », comme l’exprimait
alors le Dr Ahmed Hamzeh, les associations
islamistes s’inscrivaient dans
la première Intifada comme mouvement
dont les organisations nationalistes apparaissaient
comme l’une des cibles, avec
l’assentiment de dirigeants israéliens en
quête d’une alternative à l’OLP [5]. Près
de vingt ans plus tard, forts d’une nouvelle
image de l’échec du processus de
négociations et d’une forte résistance
armée, populaire, les dirigeants du Hamas
affichent au contraire une volonté de
coopérer avec toutes les composantes
de la scène politique nationale palestinienne.
Ce qui lui aurait aussi permis
de partager la responsabilité des difficultés
de gestion du pouvoir.
Certains militants nationalistes et certains
intellectuels étaient favorables à un gouvernement
de coalition, tel Georges Giacaman,
doyen de l’université de Bir Zeit
qui, dans une tribune publiée par Amin [6],
a estimé qu’il serait contraire à l’intérêt
national de parier sur une défaite du
Hamas au nom de calculs partisans.
Une question qui pose également celle
des relations entre l’Autorité nationale
palestinienne et l’OLP. Officiellement,
le Conseil législatif palestinien est partie
intégrante du Conseil national palestinien,
représentatif de l’ensemble du
peuple palestinien, sous occupation et en
exil. Officiellement aussi, c’est l’OLP
et non l’ANP qui est signataire et garante des accords conclus avec Israël. Président
de l’ANP, Mahmoud Abbas l’est
aussi de l’OLP dont les instances n’ont
en réalité guère eu depuis Oslo l’occasion
de se réunir et de débattre. L’arrivée
du Hamas au Parlement oblige aussi
à repenser ces relations.
En tout état de cause, l’OLP dit non au
Hamas si celui-ci ne la reconnaît pas
comme seule et légitime représentante
du peuple palestinien. Le FPLP a eu à
son tour l’occasion de le réaffirmer.
Le Hamas entre intransigeance et pragmatisme
C’est donc un gouvernement de 24
membres composé pour moitié de responsables
du Hamas et pour moitié de
techniciens qui n’en sont pas membres -et au sein duquel on compte un chrétien,
et une femme- que le nouveau Premier
ministre, Ismaël Hanyieh, a soumis
le 19 mars au président Abbas (voir
encadré ). Avant son investiture par
le Conseil législatif, et tandis que les
instances de l’OLP l’ont rejeté, Mahmoud
Abbas l’a quant à lui accepté,
quelques jours après l’assaut de la prison
de Jéricho par les troupes israéliennes.
D’une part, au nom du respect
de la démocratie. Ensuite, pour favoriser
l’intégration du mouvement au système
politique palestinien. Enfin, il parie
sur le pragmatisme du mouvement qui,
depuis plusieurs mois, respecte la trêve
unilatérale, en dépit des provocations
meurtrières d’Israël. Au mot d’ordre
« un seul pouvoir, une seule loi, une
seule Autorité armée » de Mahmoud
Abbas, le Hamas préfère celui de « la
voie de la résistance, au-dessus de toutes
les autres ». La « résistance sous toutes
ses formes », plaide le Hamas, est un
droit légitime du peuple palestinien.
Pour Mahmoud al-Zahar, pourtant, la
vocation des militants du Hamas n’est
pas de porter les armes, même s’il ajoute
que « chaque fois que nous avons voulu
organiser des manifestations pacifistes,
les Israéliens nous ont tiré dessus, arrêtés,
jetés en prison (...) La violence
s’arrêtera quand s’arrêtera l’occupation.
» [7]
- © Jalal Al-Rifa’
- La guerre de l’aide
économique. Dans une
main l’argent sous forme
de couperet, dans l’autre
un courrier portant sur la
reconnaissance d’Israël
devant être signé.
Pour autant, lors d’un entretien à la
chaîne américaine CBS, le 17 mars,
Ismail Hanyieh a répété que son mouvement
ne s’oppose pas à la poursuite
des négociations par le Président Abbas
au nom de l’OLP, que lui-même « n’a
jamais encouragé les attentats suicides »
et qu’il « espère un jour un accord de
paix avec Israël ». S’il refuse la déclaration
d’indépendance de l’OLP de 1988
et le plan Fahd adopté par la Ligue arabe
(la paix en échange d’un retrait des territoires
occupés depuis 1967 et d’une
« solution » pour les réfugiés), le Hamas
se dit prêt à « envisager des mécanismes
de négociations » si Israël reconnaît les
droits des Palestiniens et « fait une proposition
sérieuse » pour un retrait total
des territoires occupés depuis 1967. Il
ne reconnaît pas les accords signés, mais
entend les aborder « avec sens des responsabilités
» et envisage une « trêve à
long terme ».
Annexionnisme et unilatéralisme : la continuité israélienne
Pas de négociations avec le nouveau
gouvernement palestinien, répondent
les dirigeants israéliens, pariant sur l’isolement
palestinien sur la scène internationale,
isolement dont la ministre des
Affaires étrangères, Tzipi Livni, a fait
le cheval de bataille de sa tournée européenne.
Sans doute les dirigeants du parti
Kadima créé par Ariel Sharon, avant
qu’un coma profond l’écarte de la vie
politique, ont-ils compris avec ces cinq
années d’Intifada que le « Grand Israël »
de la mer au Jourdain ne relevait guère
du projet réalisable. C’est en tout cas,
avec le retrait de Gaza, le message qu’ils
ont prétendu adresser tant à leur propre
opinion qu’à la communauté internationale,
prompte à se laisser convaincre par
le portrait séduisant d’un Ariel Sharon
muant de son long parcours d’homme
de guerre ayant poussé la violence à son
paroxysme - des massacres de Kybia à
ceux de Sabra et Chatila, des bombardements
du Liban au siège des villes et
camps de réfugiés de Cisjordanie et de
la bande de Gaza- à une nouvelle stature
d’« homme de paix » ainsi qualifié par
George W.Bush. Une mutation qui symboliserait
celle de la société israélienne,
permettrait de justifier la progression
inégalée des coopérations économiques
et stratégiques de l’Europe et singulièrement
de la France avec Tel-Aviv et
jetterait sur la partie palestinienne
l’opprobre du refus de la paix. Si Benyamin
Netanyahu et les caciques du Likoud
continuent de s’arc-bouter sur cette vieille
obsession d’« Erez Israël » de la droite
sioniste, les dirigeants de Kadima, transfuges du Likoud et d’un
travaillisme dont Shimon
Pérès a fait la caution de
Sharon, n’en ont pas pour
autant abandonné ce
qu’ils considèrent comme
l’essentiel : l’annexion
de la plus grande partie
du territoire palestinien
dépeuplé de ses habitants.
Le retrait d’une bande de
Gaza surpeuplée où
quelque 8000 colons se partageaient
40% de la terre au prix d’un déploiement
de forces coûteux s’inscrit dans cette
perspective. Surtout, ce redéploiement
de forces a indiqué la méthode : le rejet
de toute négociation, c’est-à-dire l’unilatéralisme.
Qu’Ehud Olmert prétende
ne refuser qu’aujourd’hui, à l’issue du
scrutin, de négocier avec le gouvernement
palestinien n’est donc qu’un leurre
et le vote du peuple palestinien en faveur
du mouvement Hamas qu’un alibi de
plus.
Car cette stratégie n’a rien de nouveau.
Elle prévaut sans ambiguïté depuis l’échec
de la négociation de Camp David. Durant
les années d’Oslo, une négociation dite
« intérimaire » accompagnait une politique
de colonisation aussi outrancière
qu’illégale de la Cisjordanie. Dès lors
qu’il s’est agi de négocier les dossiers
essentiels de la terre, des colonies, de
Jérusalem, du statut du territoire, des
frontières, des réfugiés, que l’accord de
1993 avait laissés pour la fin, le gouvernement
d’Ehud Barak a réussi à la
fois à réfuter le droit international comme
fondement de la paix, à délégitimer la
partie palestinienne dès lors qu’elle refusait
de confondre paix et marchandage
et, ce faisant, est parvenu à exclure la
négociation comme méthode sinon la
paix comme horizon. L’« ère nouvelle »
saluée avec ostentation par Ariel Sharon
dans la mort de son ennemi personnel,
Yasser Arafat, qu’il avait condamné
à la séquestration, n’a pas davantage
altéré le choix stratégique unilatéral du
gouvernement israélien. Et Mahmoud
Abbas, à tous les sens du terme, s’est
dès lors heurté à un mur.
Une méthode, donc, pour un projet
qu’Ehud Olmert se plait à répéter à son
opinion publique : définir d’ici 2010 les
frontières de l’Etat, en annexant à Israël
les grands blocs de colonies et en ne laissant
aux dépouilles de l’hypothétique
Etat palestinien que quelques fragments
de terre isolés, surpeuplés, et invivables.
Et donc, quoi qu’il arrive, dans une situation
explosive. Le « centrisme » que les
chancelleries américaine et européennes
prêtent au parti Kadima ne relève donc
en rien d’une rupture mais bien davantage
d’une continuité historique, tant en
termes d’objectifs que de stratégie.
Les résultats des élections palestiniennes
lui servent en revanche de nouveau prétexte
à l’impunité. Le refus israélien de
respecter la démocratie, de se conformer
aux accords signés concernant la
continuité territoriale palestinienne et le
droit de passage sûr entre la Cisjordanie
et la bande de Gaza, la poursuite de la
construction illégale du mur d’annexion
et la colonisation accélérée de la vallée
du Jourdain , s’accompagnent
d’un regain de la stratégie de chaos, qu’il
s’agisse des raids contre les populations,
des assassinats dits « ciblés » et de leurs
« dommages » dits « collatéraux », de
l’assaut de la prison de Jéricho ,
ou de la rétention des sommes dues à
l’ANP (droits de douane), pour épuiser
ses finances et anéantir ses institutions.
Une stratégie de chaos imposé aux Palestiniens
dont Kadima espère, s’il conserve
le pouvoir, faire un prétexte de plus de
son unilatéralisme...
L’irresponsabilité internationale
Asthénique durant -au moins- toute
cette première année de pouvoir de Mahmoud
Abbas, la communauté internationale
joue aujourd’hui l’effarouchement.
Incapable de faire du respect
du droit international le
pilier de sa diplomatie, elle a
préféré saluer le retrait de Gaza,
nonobstant son objectif
d’annexion de la Cisjordanie,
comme une preuve de bonne
volonté israélienne et comme
la démonstration que l’unilatéralisme
permettrait d’avancer
plus sérieusement que la négociation,
fût-ce aux conditions
coloniales d’Israël. Une politique totalement
irresponsable. Les membres du
quartette ne sauraient donc se dédouaner
d’une évolution politique qu’ils se
croient aujourd’hui en droit de condamner.
Pourtant, ils ont résolument inversé
l’équation du conflit. Ce n’est pas à
l’occupant de se plier au droit, mais à
l’occupé de faire la preuve préalable de
son droit et de sa capacité à l’autodétermination
et à un Etat indépendant.
Aucun des membres du quartette n’a
accepté le principe de sanctions contre
Israël, laissant impunis la construction
du mur d’annexion, la colonisation massive,
les raids et les bombardements
meurtriers, le siège des villes et des
camps palestiniens, les assassinats en
série, et le cycle de violence de cette
occupation. Toutes les « lignes rouges »,
repoussées les unes après les autres
depuis le début de cette Intifada et de sa
répression sanglante, ont été franchies
dans l’attente impavide des suivantes. Les
recommandations du Parlement européen
en faveur non de sanctions mais simplement
de la suspension de l’application
de l’accord d’association de 1995
tant qu’Israël ne se conformerait pas au
droit international et à ses obligations ont
été rejetées par les gouvernements au
mépris de la démocratie et au nom d’une
préférence : le dialogue dans l’impunité
plutôt que des pressions décrites
comme susceptibles de renforcer un
consensus national paranoïaque.
- © Emad Hajjaj
- Les élections palestiniennes
C’est en revanche contre le peuple palestinien
que vient de surgir l’hypothèse
de sanctions à l’issue de son vote. Certes,
la communauté internationale plaide le
respect de la démocratie et craint une
crise humanitaire grave en cas de suspension de son aide économique, alors
que deux tiers de la population vivent sous
le seuil de pauvreté. C’est ce qui a amené
Washington à défendre le principe d’une
réunion israélo-égypto-palestinienne sur
la réouverture du terminal de Karni,
fermé par Israël depuis fin janvier contrairement
aux accords signés. Il reste que
refusant d’imposer la moindre conditionnalité
à sa coopération étroite avec
Tel-Aviv, la communauté internationale
s’estime aujourd’hui autorisée à imposer
des conditions au Hamas et au gouvernement
palestinien.
A aucun moment, ni l’ONU, ni l’Union
européenne n’ont été capables de fournir
une définition du terrorisme, qui les
aurait contraints à condamner le terrorisme
d’Etat israélien. En revanche, les
Etats-Unis, puis l’Europe à l’issue des
attentats suicides revendiqués par le
Hamas, l’ont
inscrit sur leur liste des organisations
terroristes. Washington a entretenu des
liens avec le mouvement islamiste
jusqu’au début des années 1990, en fait
jusqu’au revirement israélien qui, après
avoir cru voir dans ce mouvement une
alternative au nationalisme palestinien,
y a perçu un ennemi à réduire tout en
cherchant à le pousser dans la voie de
la radicalisation. C’est en 1992 que plusieurs
centaines de militants du Hamas
sont déportés par Israël dans un « no
man’s land » dans sud du Liban alors
occupé. C’est cette même année que
Washington inscrit le Hamas sur sa liste
des organisations terroristes. L’Europe
suivra quelque dix ans plus tard.
Stratégie à haut risque
Le quartette exige aujourd’hui du Hamas
la reconnaissance d’Israël et le respect
des accords déjà signés par l’Autorité
palestinienne. Les Etats-Unis y ajoutent
son désarmement, l’Union européenne
le renoncement à la violence, négligeant
que la résistance armée et non pas les
attentats contre les civils, -au-delà des
débats sur son efficacité- constitue un droit
des peuples occupés reconnus par les
Nations unies. Pour autant, jamais Israël
n’a reconnu le droit des Palestiniens à un
Etat dans les frontières de 1967, et rejette
l’arrêt des violences contre la population
palestinienne occupée ou le respect
des accords signés. Pire : Washington et
Londres viennent eux-mêmes de violer,
à Jéricho, les accords conclus en 2002 sur
la surveillance de la prison et de ses détenus.
A l’inversion des termes du conflit
s’ajoute la politique du « deux poids deux
mesures »...
En quête d’un rôle diplomatique nouveau,
Moscou a tenté une percée en invitant,
en février, une délégation du Hamas.
Officiellement pour lui faire entendre
les exigences du quartette. Mais si
Washington n’est pas défavorable à une
évolution confessionnelle des paramètres
dans la région au détriment d’une vision
politique, et si certains évoquent d’hypothétiques
négociations secrètes avec le
Hamas, l’isolement demeure l’orientation
officielle.
Cette stratégie à hauts risques indique en
fait un tournant : celui de l’adoption
par les Etats de l’Union européenne, et
singulièrement par Paris, des thèses néoconservatrices
de Washington. Nombre
de multinationales françaises, dépitées
de n’être pas invitées au partage du marché
irakien, aspirent à conquérir des
contrats lucratifs avec Israël, fût-ce en
Palestine occupée, le gouvernement français
plaidant alors, comme c’est le cas
pour la construction du tramway à Jérusalem,
une affaire commerciale et privée
qui ne le regarderait pas même s’il
en a favorisé l’avènement. Parallèlement,
tandis qu’après Hubert Védrine,
Dominique de Villepin défendait à la
tribune des Nations unies, à la veille de
la guerre en Irak, le respect du droit et
des institutions internationaux, une vision
du monde fondée sur le droit se dérobe
aujourd’hui au profit d’une autre séparant
la « civilisation » occidentale de la
« barbarie » du monde musulman. Et
dont l’occupation de la Palestine, au
nom des thèses israéliennes de « séparation
», fait figure de laboratoire. Or la
facticité de cette thèse d’une guerre globalisée
des civilisations ne protège pas
pour autant contre son expansion. Ni
dans le monde arabe, ni en Europe.
L’enjeu d’une réorientation de la politique
européenne et française, dès lors,
ne concerne pas seulement l’avenir des
droits du peuple palestinien. Il renvoie
aussi à l’évolution des relations internationales
et à l’avenir de notre propre
société.
Isabelle Avran
Au sein du nouveau gouvernement |
Ismail Hanyieh, Premier ministre. |
Nasser Eddin Shaer, professeur en études islamiques à Naplouse, vice-Premier ministre, en Cisjordanie, Ismail Hanyieh ne pouvant s’y rendre. |
Mahmoud al-Zahar, l’un des dirigeants du Hamas à Gaza, dont il est co-fondateur avec le cheikh Ahmad Yassine (tué en 2004 par un missile israélien) ; les dirigeants israéliens ont tenté de l’assassiner, lors d’un raid en 2003 au cours duquel son fils a été tué. Considéré comme un « dur » du mouvement, il est ministre des Affaires étrangères. |
Saïd Seyam, considéré comme « pragmatique », ministre de l’Intérieur |
Omar Abdel Razek, professeur d’économie, tout juste libéré d’une nouvelle détention administrative, ministre des Finances. |
Mariam Saleh ministre chargée des questions des Femmes |
Samir Abou Isa, ministre du Plan |
Alla al-Arag, ministre de l’Economie |
Naim Rajoub, ministre des Affaires religieuses |
Ziad Zazza ministre des Affaires publiques |
Bassem Naim ministre du Logement |
Faker Turman ministre des Affaires sociales |
Tannous Abou Ita, ministre du Tourisme. |