Vous montrez, pour une même correspondante à Jérusalem, le fossé entre son excellente production écrite pour un grand quotidien et la médiocrité de ses reportages pour le JT de France 2.
P. P. : La contrainte des formats courts et les conditions d’exercice de la profession sont un premier élément d’explication. Le JT peut parfois contacter le journaliste dans l’heure précédent la prise d’antenne et lui demander un sujet de 30 secondes à 2 minutes. Il faut en plus connaître le quotidien d’un pigiste voire de certains correspondants sur place : loyers, matériels, etc. peuvent être à leur charge. Dans l’audiovisuel en général, les directives économiques sont à la réduction des coûts, et ça a des conséquences sur la qualité de l’information. On préférera toujours un plateau avec des invités (dans le cas des chaînes d’info) ou de courts directs plutôt que des reportages long format.
Un deuxième élément tient aux politiques éditoriales. Il y a un cahier des charges à remplir : présenter les violences d’un « camp » contre l’autre, puis rappeler que l’autre camp est aussi responsable de violences, dans une improbable démarche d’« équilibre ».
Bon gré mal gré, le journaliste intègre les contraintes et se moule dans cette « histoire », au risque de ne plus être sollicité. Sans compter que parfois, des journalistes font la voix off depuis leurs bureaux parisiens et accolent un récit prémâché à des images envoyées par les correspondants…
Pour d’autres journalistes, généralement plus haut placé dans les rédactions, on trouvera enfin une réelle indifférence pour le sujet, flirtant parfois avec une forme de lâcheté. Ils en parlent parce que leur rédaction le leur demande, sans creuser davantage. Et se défaussent de leur propre incurie en considérant que le sujet « n’intéresse pas » leur public. Naturellement, cela produit de l’information au rabais.
Vous parlez d’une « obsession de l’équilibre » dans les reportages du JT. Par quoi cela se traduit-il ?
P. P. : C’est l’obsession de la symétrie. Chaque reportage est réalisé de la même manière, d’abord un « camp », puis l’autre, comme s’ils prenaient part de manière égale au conflit, comme si bombardements = tirs de roquettes. Le lexique est devenu automatique : « flambée de violence », « engrenage de la violence », « escalade meurtrière », « affrontements », « heurts » … Cette approche neutralise complètement les rapports de force en présence et produit une image déformée des réalités politiques. L’armée israélienne, un État reposant sur des institutions stables, et les combattants du Hamas vivant dans un territoire réduit et sous blocus, seraient sur un pied d’égalité… C’est de la désinformation. Car pour trouver un « équilibre » dans une région où les rapports de force sont déséquilibrés, il faut tordre la réalité, rogner sur certains faits et/ou ne pas en évoquer d’autres.
Concernant le lexique, vous constatez que des termes élémentaires ne sont jamais employés.
P. P. : Sur tous les reportages visionnés, les mots « colonisation » ou « apartheid » ne sont jamais prononcés. Dans un reportage, les expulsions à Sheikh Jarrah sont appréhendées comme la seule causalité, immédiate, au conflit militaire : pour coller au récit journalistique, il faut un « élément déclencheur ». Le long terme devient banni au profit d’un « conflit » ou de « violences » qui « ressurgissent ». Le téléspectateur n’apprendra pas, entre autres, que des milliers de Palestiniens sont chassés de Jérusalem depuis des décennies dans le cadre d’une politique coloniale.
Dans d’autres cas, il s’agit explicitement de mensonge. Exemple flagrant lors d’un reportage sur Lod, ville « mixte » en Israël. À deux reprises, le correspondant répète que « sur le papier » les Palestiniens d’Israël ont « les mêmes droits » que les Juifs israéliens mais que beaucoup d’entre eux « se sentent discriminés ». Il affirme cela trois ans après le vote de la loi d’État-nation du peuple juif qui institutionnalise l’inégalité des droits en Israël, et après la publication de rapports clairs d’ONG documentant l’apartheid. Enfin, ne nions pas le fait que certains journalistes sont sincèrement alignés sur la politique israélienne, et ce d’autant plus que le tourisme de l’information organisé par l’armée favorise ces connivences.
Arnaud Galliere et Pauline Perrenot, Israël-Palestine : escalade d’indigence au 20 h de France 2, acrimed.org, 29 juillet 2021 :
>> Partie 1
>> Partie 2
Voir Jean Stern, Match truqué sur le ring médiatique, Orient xxi.info, 18 mai 2021.