Le bulldozer et l’espion. Cela pourrait être le titre d’un mémo sur la stratégie militaire bipolaire d’Israël à Gaza, mise en exergue par deux révélations (une macabre vidéo palestinienne et un scoop qui a échappé à la censure militaire) qui ont fait les gros titres ce week-end au Proche-Orient.
Les images d’abord, capturées dimanche au petit matin aux abords des barbelés séparant l’enclave palestinienne d’Israël. Celles d’une pelleteuse, escortée par un tank, qui entre dans Gaza et soulève entre ses dents le corps désarticulé d’un assaillant palestinien. La scène a estomaqué jusqu’aux correspondants militaires de la presse israélienne.
Elle fait suite à une énième escarmouche entre les soldats de Tsahal et les hommes du Jihad islamique. A l’aube, deux membres de la branche armée du groupe islamiste avaient tenté de poser un explosif sur la clôture de séparation, avant d’être repérés et balayés par une arme antichar, tuant l’un et blessant l’autre. C’est alors que l’engin de chantier a été dépêché pour récupérer les restes du combattant, en accord avec les dernières directives du ministre de la Défense, Naftali Bennett. Ce faucon, à la tête du parti ultranationaliste religieux Yamina, a décidé de « stocker les cadavres de terroristes » pour les utiliser comme « monnaie d’échange » avec le Hamas, qui détient les corps de deux soldats israéliens depuis la guerre de 2014 et garde deux civils prisonniers.
Alors que la vidéo tournait en boucle sur les réseaux, le Jihad islamique a tiré dimanche une vingtaine de roquettes vers des communautés israéliennes voisines, pour la plupart interceptées par les batteries antimissiles du « Dôme de fer » israélien. L’aviation de Tsahal a riposté en bombardant dans la nuit plusieurs « positions militaires » du Jihad islamique à Gaza et jusqu’à Damas, tuant deux affiliés du groupe dans la capitale syrienne. Après plus d’une soixantaine de roquettes en vingt-quatre heures, le Jihad islamique a annoncé « la fin de son opération militaire » lundi soir. De son côté, Tsahal a épargné les sites du Hamas.
A la veille des législatives, Bennett entend faire fructifier sa nomination dans le gouvernement en multipliant les déclarations et mesures provocatrices. Face à l’émotion suscitée par la vidéo, il a surenchéri, se disant « fatigué des critiques hypocrites de la gauche ». Derrière la rhétorique guerrière, il sait qu’à Gaza, Israël joue un double jeu. Tout comme le Hamas, avec le Jihad islamique dans le rôle du trouble-fête, voire de l’idiot utile.
L’Etat hébreu et les maîtres islamistes de Gaza entretiennent depuis plus d’un an un drôle de pas de deux, Israël facilitant l’entrée de liquidités envoyées par le Qatar pour maintenir à flot le régime du Hamas, lequel met ces dollars à profit pour contenir la colère de sa population. Un accord informel très fragile, surnommé « du cash pour du calme », sans cesse remis en cause. Par Israël qui, malgré quelques concessions sur les permis de travail accordés à quelques milliers de Gazaouis, renâcle à alléger le blocus. Et par le Hamas, qui a mis en place une série de tactiques de harcèlement des résidents israéliens du pourtour gazaoui (roquettes sporadiques, colis piégés accrochés à des ballons) afin de tirer le maximum de concessions de son rival. Sans compter les tirs des snipers du Jihad islamique, opposé à cette trêve qui ne dit pas son nom.
Pour dénoncer cette dichotomie qui mine la campagne de Nétanyahou, accusé d’être trop conciliant avec le Hamas, Avigdor Lieberman, prédécesseur démissionnaire de Bennett, a violé la censure militaire samedi en révélant que Yossi Cohen, le chef du Mossad, avait été dépêché au Qatar il y a deux semaines pour implorer les émirs de maintenir leurs versements au Hamas, malgré la reprise des tirs de roquettes. Du gore à la frontière à la conciliation en coulisse : une illustration de la doctrine « Bibi » à Gaza.