Présidentielle le 9 janvier, législatives prévues pour juillet, municipales aussi, en plusieurs étapes depuis décembre dernier : tout le champ des institutions politiques palestiniennes élues, au sein du territoire occupé, aura été renouvelé en quelques mois. Les élections municipales ont lieu par étapes, et seuls les électeurs de 36 localités ont déjà participé au scrutin. Ceux des villes principales de Cisjordanie mais aussi de Gaza ne voteront qu’en avril et septembre. Les premiers résultats sont donc partiels, et l’on ne peut en déduire des tendances générales. Il n’empêche. Ils sont évidemment scrutés à la loupe par les observateurs palestiniens et étrangers. Si ce scrutin relève d’abord d’un enjeu de gestion locale, les résultats n’en recèlent pas moins d’enjeux nationaux. D’abord parce que ce sont les premières municipales depuis plusieurs décennies, puisque les dernières, en Cisjordanie, datent de 1976 et à Gaza d’avant l’occupation, comme le rappelle la sociologue Aude Signoles, observatrice des élections dans la bande de Gaza. Ensuite, du fait de la participation du mouvement de résistance islamique Hamas ; une première pour cette organisation, qui fait preuve à la fois de son souci de s’inscrire dans le système politique palestinien, de démontrer son audience, et de compter dans le paysage. Enfin, du fait de sa victoire incontestable notamment dans la bande de Gaza, où il remporte sept des dix municipalités en jeu.
Important succès du Hamas dans la bande de Gaza
Le taux de participation aux premières étapes des municipales est élevé : 75 % des 140 000 électeurs des 26 localités de Cisjordanie et près de 85 % des quelque 90 000 des 10 localités de la bande de Gaza, dont Deir el Balah et Beit Hanoun, ont participé au vote, dans un contexte d’occupation particulièrement hostile. Les candidats ont eu à subir le harcèlement de l’armée, cinq d’entre eux ayant été arrêtés : quatre du Hamas, du district de Dahariyeh, près d’Hébron, puis un du FPLP, Qaher Hamada, d’un camp de la région de Jéricho, le 15 décembre. Si nombre de candidats se présentaient comme indépendants, ce sont surtout les résultats respectifs du Fatah, la principale composante de l’OLP de Mahmoud Abbas, et du Hamas, qui étaient attendus. En Cisjordanie, le Fatah et le Hamas ont tous deux crié victoire. En fait, aucune des deux organisations n’aurait la majorité, mais chacune plaide ses liens avec les candidats indépendants. A ce compte, les deux mouvements seraient chacun majoritaire dans douze localités. Les résultats des dix localités de Gaza, en revanche, sont plus nets. Le mouvement de la résistance islamique remporte sept des dix municipalités, et 77 des 118 sièges à pourvoir. Le Fatah n’en remporte que vingt-six, le Front populaire un seul, la majorité des autres sièges étant conquis par des candidats indépendants.
L’enjeu local
Comment s’expliquent ces résultats ? Aude Signoles met tout d’abord en évidence le faible investissement du Fatah dans la campagne des municipales, les personnalités du mouvement s’engageant davantage pour les législatives, dont l’enjeu leur apparaît plus sérieux. Ensuite, elle souligne l’importance du caractère local de ces élections. Beaucoup s’est joué sur la personnalité des candidats. Probité, appartenance à tel clan ou telle famille, charisme, ont dès lors compté pour des électeurs qui attendent beaucoup d’une gestion locale plus saine que celle qu’ils ont connue les années précédentes. C’est entre 1996 et 1998, explique la chercheuse, qu’ont été nommés les précédents conseils par l’autorité centrale, dans l’attente d’élections. Ceux-ci ont été choisis après négociations avec les grandes familles, les organisations politiques, les syndicats. Si beaucoup étaient membres du Fatah, certains étaient issus du PPP, du FDLP, du FPLP ou même du Hamas. Mais ils disposaient de peu de moyens. Beaucoup ont démissionné (en bloc à Ram), et les conseils ont connu un turn-over important. Quant aux autres, ils ont pour une part subi l’usure du pouvoir, et les électeurs ont été sensibles aux accusations de corruption.
La gestion locale a été pour une grande part au cœur des débats, et des attentes. D’une part, pour protéger les habitants des « incursions » israéliennes. Même si les conseils, qu’ait lieu ou non le retrait de l’armée et des colons israéliens de la bande de Gaza, auront peu de moyens pour empêcher les bombardements, les dévastations, les morts quotidiennes et l’insécurité permanente. Voire pour permettre l’évacuation des ordures, par des camions auxquels les forces d’occupation interdisent trop souvent la circulation. L’ordre public était aussi en jeu : lutte contre la délinquance, règlement des conflits entre les familles ; nombre de femmes du Hamas ont fait campagne autour des questions de morale. A l’ordre du jour également : la gestion des services publics. Les grands domaines d’attribution des conseils municipaux, explique Aude Signoles, concernent l’aménagement urbain, l’eau, l’électricité, la construction des dispensaires ou des écoles dont la gestion relève du pouvoir central... Les habitants, en particulier parmi les plus acculés à l’appauvrissement, en attendent beaucoup. L’expérience du Hamas, réputé pour sa dénonciation de la corruption et pour son vaste réseau de services sociaux, notamment pour les plus démunis, tels que les crèches, écoles ou dispensaires, n’aura donc pas été négligeable. De quels financements disposeront les conseils ? Les ressources directes demeurent relativement faibles. Elles proviennent pour l’essentiel des taxes sur l’eau, l’électricité, les permis de construire, ou des taxes professionnelles. Pour le reste, elles émanent de l’aide internationale, et les localités sont donc de fait dépendantes du pouvoir central.
L’enjeu politique national
Si ce scrutin a eu une forte dimension locale, il n’en recèle pas moins une dimension politique, aux enjeux nationaux.
Ils concernent évidemment les difficultés du Fatah à s’inscrire dans la campagne. Au-delà de la perception des enjeux respectifs des municipales et des législatives, son score pose d’autres questions. Une récente étude publiée par le « Jerusalem Institute for Peace Studies » révèle la nature des interrogations qui traversent le mouvement, plus fortement encore après la disparition de Yasser Arafat qui en symbolisait et en garantissait l’unité. Le directeur de l’institut, Samir R. Rantisi, évoque tout d’abord une crise d’identité : mouvement révolutionnaire, comme le défendent nombre d’anciens, principalement à l’extérieur, ou parti politique, comme le souhaiteraient beaucoup de ceux de la « jeune garde », essentiellement de l’intérieur des territoires occupés ? Elles concernent aussi la gestion de la démocratie en interne et, partant, l’organisation du mouvement comme la répartition des responsabilités et les processus de décision. Elles interrogent enfin, au-delà de ses orientations, l’implication du mouvement dans la vie politique et la gestion des affaires. Ces questions seront à l’ordre du jour de la sixième conférence du Fatah, en août prochain, en Jordanie (la cinquième conférence avait eu lieu à Tunis en 1989).
L’autre grand enjeu du scrutin porte sur le devenir du Hamas sur la scène politique palestinienne. Le psychiatre de Gaza Eyyad Sarraj fait le pari d’une évolution du mouvement qui, fort de ses résultats, aurait d’autant moins à prouver son rôle par le biais de la violence politique et qui s’intégrerait désormais au système politique. Le 12 mars, le Hamas a fait part de sa décision de participer aux prochaines législatives. Le ministre Nabil Chaath a salué « une initiative courageuse » qui va « donner la possibilité à ce mouvement de s’intégrer dans le jeu démocratique ». Il s’agit, commente-t-il, d’« un pas positif qui contribue à la participation de l’ensemble des Palestiniens à la vie politique ». Le 25 mars, à Ramallah, lors du rassemblement d’hommage au cheikh Ahmed Yassine, assassiné par les forces israéliennes un an plus tôt, le cheikh Hassan Youssef (l’un des responsables du Hamas en Cisjordanie) précisait : « la participation à la vie politique ne signifie pas que nous mettons de côté la résistance, car elle reste notre choix stratégique aussi longtemps que nous resterons occupés ». Pour autant, le Hamas a dédié son récent succès dans la bande de Gaza à Cheikh Yassine et à Yasser Arafat. Engagé dans le processus de dialogue avec les forces de l’OLP, respectueux de la trêve (celle de 2003 avait été brisée par les assassinats ciblés israéliens), le mouvement islamique prône l’unité nationale. La cohabitation dans les conseils municipaux favorisera probablement l’émergence d’une nouvelle culture commune. Et l’intégration progressive du mouvement sur la scène nationale nationale devrait être le prélude à une évolution du débat politique, tant sur l’avenir de la société que sur celui de l’Etat palestinien à naître.
Isabelle Avran