Photo : tribunal de Nazareth, 22 mai 2022. Le prisonnier palestinien Zakaria Zubeida. Crédit : Oren Ziv / Activestills
En septembre 2021, six prisonniers politiques palestiniens ont réussi à orchestrer l’évasion la plus spectaculaire de l’histoire moderne de la Palestine, s’échappant de la célèbre prison de Gilboa et échappant aux autorités israéliennes, avant d’être finalement recapturé après plusieurs jours de fuite. Populairement appelée l’opération du "Tunnel de la Liberté" (nafaq al-hurriyah en arabe), cette évasion est devenue un moment emblématique pour les Palestiniens.
Dix-sept mois plus tard, les six de Gilboa sont de retour en prison et confrontés à une audience devant un court israélienne pour leur tentative d’évasion.
Mardi dernier, le 14 février, Zachariah Zubeidi, 47 ans, Munadel Nufeiat, 26 ans, Yacoub Qadri, 49 ans, Mahmoud Ardah, 46 ans, Mohammad Ardah (cousin de Mahmoud), 39 ans, et Ayham Kamamji, 35 ans, ont comparu devant le tribunal central de Nazareth pour faire face aux accusations.
L’appel interjeté pour les six prisonniers et pour les cinq autres personnes accusées d’avoir aidé et encouragé leur évasion a été rejeté par le tribunal.
"Le rejet a pris la forme d’un rapport de 50 pages", a déclaré Khaled Mahajneh, l’avocat principal sur le dossier, à Mondoweiss. "Ce que les tribunaux essaient de souligner, c’est que l’appel n’est pas seulement rejeté, mais que rien ne pourra l’annuler. La plupart du temps, les rejets se présentent sous la forme de quelques lignes, mais là, il s’agissait de cinquante pages" a-t-il expliqué.
"Nous nous attendions à ce que l’appel soit rejeté" a déclaré Amany Sarahneh à Mondoweiss, de la division de surveillance de la Palestine Prisoner’s Society. "Il est clair qu’il n’existe aucun précédent d’un cas palestinien ayant reçu une réponse positive, a-t-elle expliqué.
Le même jour que le procès des six de Gilboa, les détenus palestiniens dans les prisons israéliennes ont annoncé le début d’une désobéissance massive pour protester contre la détérioration punitive des conditions de détention depuis l’évasion de la prison de Gilboa.
« J’ai oublié les 29 années passées dans ces prisons à l’instant où je suis sorti du tunnel »
Ardah et Qadri ont été les premiers à être capturés après leur éphémère moment de liberté.
"Mahmoud m’a dit qu’il était entré dans un champ de vaches", a raconté à Mondoweiss Mohammad Ardah, le frère aîné de Mahmoud (l’architecte de l’évasion) et le cousin de Mohammad, un autre des évadés, depuis sa maison à Arraba, à Jénine. "Il s’est approché de la vache et a commencé à l’embrasser. Il a dit que s’il avait eu un appareil photo, il aurait pris des photos avec elle."
"Ils ont mangé de la grenade et du cactus", a poursuivi Mohammad dans le même souffle, relatant le récit de son frère sur ces cinq jours de liberté. "Et ils ont aussi mangé une sorte d’olive qui pousse hors saison."
"C’est une olive verte. Mahmoud m’a dit qu’il avait dû en manger un kilo" poursuivit-il, ne s’arrêtant que pour rire. "Maintenant, gardez à l’esprit que ce type d’olive vous donne mal au ventre, personne ne peut le supporter. Mais pour lui, c’était délicieux."
"Il était en prison depuis 28 ans" a déclaré le frère de Mahmoud à Mondoweiss. "En septembre 2021, lorsqu’il s’est échappé du tunnel et qu’il a vu la liberté, lorsqu’il a vu le soleil, le monde, la terre et les collines, il m’a dit ‘J’ai oublié les 29 années passées à l’intérieur de ces prisons à l’instant où je suis sorti du tunnel’."
Mahmoud Ardah a été recapturé avec Yacoub Qadri lorsqu’une voiture de la police israélienne s’est arrêtée près d’eux et leur a demandé de s’identifier. Les hommes ont tenté de se faire passer pour des travailleurs de Cisjordanie, mais ils ont été reconnus et arrêtés.
Mahmoud a été arrêté une première fois à l’âge de 16 ans, puis une seconde fois en 1996 à l’âge de 21 ans. Ayant eu 48 ans en janvier dernier, Mahmoud a passé 27 années consécutives dans les prisons israéliennes, moins les cinq jours de liberté de 2021. Yacoub Qadri, 50 ans, a passé 20 ans dans les prisons israéliennes, sans compter les cinq jours après le tunnel de la liberté.
Le tunnel de la liberté était la troisième tentative d’évasion de Mahmoud. Il avait déjà essayé deux fois en 2014, les deux fois sans succès.
"Les hommes ont savouré ces cinq jours." a déclaré son frère à Mondoweiss. "Cinq jours célébrés comme s’ils valaient 50 ans" a-t-il ajouté.
Pour Nufeiat et Kamamji, leur moment de liberté s’est poursuivi jusqu’à ce qu’ils atteignent le camp de réfugiés de Jenin. "C’est ici que les deux hommes sont restés pendant trois jours", a fièrement déclaré à Mondoweiss un résistant de la brigade de Jénine, Abu Mujahed, lors d’une interview réalisée en octobre dernier - dans la même planque qui avait abrité les hommes recherchés.
Capture et répression sur les prisonniers
Mahmoud Ardah et Yaqoub Qadri ont été recapturés le 10 septembre, tandis que Zubeidi et Mohammad Ardah, le cousin de Mahmoud, l’ont été le lendemain. Kamamji et Nufeiat ont été les derniers à être appréhendés, le 19 septembre, dans le camp de réfugiés de Jenine. Ils se sont rendus pour protéger leurs communautés des mesures de châtiment collectif israéliennes.
Depuis leur capture, les six détenus sont maintenus à l’isolement au prétexte qu’ils constituent "une menace pour la sécurité nationale israélienne" selon Mahajneh. De plus, les six hommes ont été constamment transférés d’une prison à l’autre toutes les quelques semaines dans "al-bosta", un trajet en bus qui sert aussi de chambre de torture pour les détenus palestiniens.
L’arrestation de Nufeiat avant l’évasion a eu lieu le 11 février 2020, et il est actuellement détenu dans une prison israélienne sans inculpation ni procès. De même, Zachariah Zubeidi, qui a été arrêté le 27 février 2019 après avoir été libéré dans le cadre d’un accord d’amnistie négocié par l’Autorité palestinienne (AP), est maintenant détenu sans inculpation ni procès.
"Aujourd’hui, surtout après le Tunnel de la Liberté, Zachariah a acquis une résonance politique" a déclaré Abu Mujahed, assis dans la même pièce qui avait hébergé Nufeiat et Kamamji.
"Surtout si l’on considère qu’il [Zubeidi] a été arrêté après avoir bénéficié d’une amnistie en vertu d’accords, cela vous montre que la diplomatie n’est pas opérante." a-t-il poursuivi.
Parallèlement à l’audience des six hommes mardi, le mouvement des prisonniers a lancé une campagne de désobéissance civile de masse, contre l’emprise croissante des autorités israéliennes sur leurs conditions de vie.
"Le dernier message de Mahmoud était que toute l’aide internationale devrait être orientée pour se concentrer sur le cas des prisonniers" a déclaré Mohammad Ardah à Mondoweiss. "Envoyer leurs histoires au monde entier afin de se mobiliser pour mettre fin aux crimes commis par Israël à leur encontre."
Selon la Société des prisonniers palestiniens, il y a 4 780 prisonniers palestiniens répartis dans 23 prisons israéliennes. Certains des détenus, dont des enfants, sont transférés illégalement de Cisjordanie vers des prisons construites au-delà de la ligne verte, ce qui constitue une violation du droit interne.
L’histoire des « Six » est moins liée à leur évasion, qu’à l’élan et au dynamisme qui les ont poussés à rechercher la liberté. "La question des prisonniers est la plus importante" a expliqué Mohammad Ardah.
Des peines punitives
Non seulement les six accusés ont vu leur peine alourdie de cinq ans, mais ceux accusés de les avoir aidés et encouragés sont condamnés à quatre ans supplémentaires.
Les six sont pour la plupart condamnés à la prison à vie, alors, cinq années de plus sur une peine de 99 ans, ce n’est rien. Pour ceux qui ont été inculpés en tant que complices en revanche, quatre ans de plus, c’est une vengeance.
"Ils ont mis sur un pied d’égalité les évadés et les complices" a déclaré Mahajneh à Mondoweiss. "Pour avoir aidé et encouragé des prisonniers de guerre, ils auraient a minima dû donner aux autres hommes la moitié de la peine des évadés, et non une peine presque équivalente."
En tant qu’avocat avec des années d’expérience du système judiciaire militaire israélien et des cas de détenus politiques palestiniens, Mahajneh décrit ces peines supplémentaires comme punitives, "qui servent à ajouter à la série de punitions quotidiennes que les prisonniers subissent entre les murs de la prison."
Conscient de l’escalade continue des agressions israéliennes et des arrestations massives de Palestiniens, Mahajneh s’inquiète de sa propre efficacité en tant qu’avocat. "Parfois, j’entre dans le tribunal et j’ai l’impression que quoi que je fasse, je ne peux pas être utile à mes clients" a-t-il avoué à Mondoweiss. "Ces tribunaux ne se soucient pas des procédures légales. On en arrive même à organiser une audience secrète avec des preuves secrètes, où ni l’avocat ni l’accusé ne sont autorisés à être présents."
"Les prisons sont pleines, les salles d’audience sont pleines, et nous nous dirigeons vers des temps effroyablement durs", avertit Mahajneh.
Désobéissance massive dans les prisons israéliennes
Après sa capture, Yacoub Qadri a crié depuis la salle d’audience : "Notre demande est la liberté ! Nous vivons dans des tombes !" Pour les détenus palestiniens, les conditions qu’ils doivent endurer dans les prisons israéliennes s’apparentent à une sorte de mort.
Mardi après-midi, dans un contexte d’escalade de la répression à l’encontre des prisonniers palestiniens, le Comité d’urgence des prisonniers, créé en 2021 en réponse à la répression israélienne contre les prisonniers suite au « Tunnel de la Liberté » a publié une déclaration condamnant le dernier appel du ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, à priver les prisonniers de l’accès à l’eau, en limitant le débit d’eau à une heure par jour pour un usage collectif.
La déclaration appelle à la désobéissance civile face à ces mesures punitives. "A ceux qui ont décidé de nous combattre avec du pain et de l’eau : nous répondrons par une bataille de liberté et de martyre" dit la déclaration.
Ce matin-là, les autorités pénitentiaires israéliennes avaient coupé l’eau chaude aux prisonniers de la prison de Nafha, située dans le sud de la Palestine, dans une région désertique où la température moyenne peut aller de 0 à -15 degrés Celsius la nuit.
Depuis des mois, les services pénitentiaires israéliens ont commencé à appliquer de nouvelles mesures punitives contre les prisonniers palestiniens.
Dans le même temps, les nouvelles arrestations continuent de s’accumuler. Selon la Palestinian Prisoner Society, plus de 780 Palestiniens ont été incarcérés, rien qu’au cours des 48 derniers jours.
"Chaque jour, vous avez 50 affaires qui entrent dans les tribunaux militaires", a déclaré Mahajneh à Mondoweiss. "L’absurdité des accusations vous montre aussi que l’escalade va probablement se poursuivre à l’intérieur et à l’extérieur des prisons" a-t-il ajouté.
Selon Mahajneh, certaines des accusations lancées contre les Palestiniens, même pour des enfants de 13 ans jugés par des tribunaux militaires, sont que les accusés ont donné des interviews aux médias israéliens célébrant la résistance ou exprimant leur soutien au camp de réfugiés de Jénine.
"Des jours sombres nous attendent", a averti Sarahneh. "Tous les développements auxquels nous assistons sont intrinsèquement politiques" a-t-elle déclaré, faisant référence au lien entre la répression et le climat politique dominant en Israël, surtout par rapport à la montée de la droite fasciste et la campagne israélienne en cours contre la résistance palestinienne en Cisjordanie et à Jérusalem.
"Nous sommes dans une phase qui est transformatrice. Elle est liée à un gouvernement inédit qui fait preuve d’un racisme extrême et de provocations sans précédent contre les prisonniers" a-t-elle poursuivi.
Pour les Palestiniens qui sont confrontés à la dureté des décideurs politiques israéliens, ces mesures sont ressenties quotidiennement. "Regardez la dernière mesure, fondamentalement liée à une ressource essentielle pour l’ensemble de la population humaine : l’eau !" dit Sarahneh. "Ils sont en train de nous priver d’eau."
Le mouvement actuel de désobéissance des prisonniers a été lancé pour faire obstacle aux services pénitentiaires israéliens, mais il a aussi un objectif symbolique. "Il s’agit de souligner que la détermination à l’intérieur des prisons est plus forte que n’importe quelle politique que le gouvernement israélien essaie d’appliquer" dit Sarahneh.
Traduction : AFPS