Ariel Sharon restera-t-il au Likoud ? Va-t-il partir et fonder un nouveau parti ?
Ils espèrent très fort la deuxième hypothèse. Sharon à la tête d’un nouveau parti exaucerait leur prière - métaphoriquement, bien sûr, puisqu’ils ne croient pas en Dieu - le général de droite qui mettra en œuvre un programme de gauche. Le de Gaulle israélien, le Grand Désengageur deviendra le chef du plus grand parti israélien et, en s’alliant avec les partis de gauche, constituera une solide majorité pour la paix.
C’est une idée merveilleuse. Un seul problème : elle est complètement déconnectée de la réalité.
TOUT D’ABORD, parce que Sharon n’est pas de Gaulle.
C’est une triste réalité, mais presque tous les Israéliens, y compris ceux qui se disent de gauche, n’ont aucune idée de ce qui se passe vraiment en Cisjordanie, pendant que « l’accord » imposé à Sharon dans la bande de Gaza par une Condoleezza Rice exaspérée y a amené un peu d’optimisme.
La semaine dernière, je me trouvais de nouveau à Bil’in, l’héroïque village palestinien qui est devenu le symbole de la lutte contre le mur. Avec une pluie de bombes lacrymogènes et de grenades assourdissantes tombant sur une manifestation pacifique arborant des portraits de Gandhi, Mandela, Arafat et Rabin, il était difficile de déceler l’esprit bienveillant du nouveau Sharon.
Les militants - Palestiniens, Israéliens et « internationaux » - ont été attaqués lorsqu’ils sont parvenus au pied du mur et se sont assis face aux bulldozers en train de construire l’obstacle qui coupe le village de deux tiers de ses terres. Dans la partie qui est prévue pour l’extension de l’énorme colonie voisine, nous pouvons clairement voir les oliviers récemment déracinés (probablement pour être vendus aux propriétaires israéliens de villas qui apprécient d’y mettre une touche de flore palestinienne « authentique ».)
Dans toute la Cisjordanie, les conditions de vie déjà si mauvaises empirent encore. La Clôture/Mur est presque finie. A Jérusalem, elle coupe les quartiers arabes en morceaux, séparant les parents des fils et des filles, les malades de leur médecin, les étudiants de leurs écoles. Des dizaines de barrages routiers, permanents et temporaires, dans toute la Cisjordanie rendent impossibles toutes sortes d’activités. Chaque nuit, des gens sont arrêtés, certains tués « alors qu’ils essayaient de fuir ». Le nombre de Palestiniens dans les prisons israéliennes est plus important que jamais.
Partout, des colonies sont agrandies et de nouvelles surgissent, déguisées en « nouveaux quartiers » de celles existantes. A Bil’in, par exemple, on peut facilement voir la façon dont Modi’in s’agrandit de façon rampante, couvrant des collines qui, il y a seulement quelques semaines, étaient encore plantées d’oliviers. De la centaine d’« avant-postes » que Sharon est obligé d’évacuer aux termes de la feuille de route, pas un seul n’a été démantelé. Pour l’instant, un débat bruyant se poursuit sur le fait de savoir si un seul « avant-poste illégal » - Amona près de Ofra - doit ou non être enlevé par la force.
Quiconque voit ce qui se passe réellement dans les territoires palestiniens occupés ne peut vraiment croire que Sharon est engagé sur le chemin de la paix. Heureusement pour eux, les gens de gauche en sont ignorants.
DONC serait-ce une bénédiction pour la paix si Sharon créait son nouveau parti ?
Tout au contraire
Supposons un instant que Sharon réalise sa menace et organise un tel parti et qu’il gagne 35 sièges dans les prochaines élections (qui auront probablement lieu en mars 2006). Supposons également que les derniers vestiges du Likoud se réduisent à 26 sièges. Cela leur donnerait ensemble 61 des 120 sièges de la Knesset. Même si le parti travailliste, sous la nouvelle direction d’Amir Peretz, porte son score à 30 sièges, la coalition Sharon-Likoud obtiendrait une majorité absolue qui pourrait être renforcée, chaque fois que nécessaire, par les groupes religieux et d’extrême droite.
En d’autres termes, le nouveau parti serait un moyen d’attirer des électeurs de gauche et centristes vers la droite, donnant à Sharon les mains libres pour faire réellement ce qu’il veut - imposer unilatéralement un statut final qui annexerait à Israël plus de la moitié de la Cisjordanie, condamnant les Palestiniens à vivre dans de petites enclaves isolées totalement dominées par Israël.
Des personnes de gauche intelligentes, tout en concédant que cela pourrait être vrai, affirment que « Sharon peut changer ». Après avoir été salué par le monde entier comme un Homme de Paix, il pourrait être enivré par cette gloire inattendue, faire une coalition avec le parti travailliste et faire la paix. Tout ce que je peux dire est que tabler là-dessus serait un énorme pari, jouer avec l’avenir de notre pays. D’après ce que je connais de Sharon, le pari est perdu d’avance.
Ce dont Israël a besoin maintenant, c’est un choix entre deux orientations claires. Avec l’arrivée d’Amir Peretz à la direction du parti travailliste, un tel choix est possible. Peretz soutient sans équivoque les négociations de paix avec la direction palestinienne et un Etat palestinien viable sur la base des frontières de 67, ainsi qu’une politique intérieure alliant croissance économique et solidarité sociale.
Dans les futures élections générales, Peretz peut encore obtenir une victoire surprise, comme il l’a fait dans les élections au parti travailliste. Mais même s’il ne réussit pas à propulser le parti travailliste à la première place, un gain substantiel peut créer les conditions du retour de la gauche au pouvoir aux élections suivantes.
Alors, s’il vous plait, laissez tomber la marguerite et mettez-vous au travail.