Photo : Devant les bureaux du Comité International de la Croix Rouge à Gaza, rassemblement pour la libération des prisonniers palestiniens et en particulier de Walid Daqqa et Khader Adnan (Al Jarmaq News)
Il y a plusieurs années, lors d’un événement à Albuquerque au Nouveau-Mexique, un militant palestinien venu de Californie m’a raconté les tortures qu’il avait subies lors de sa détention dans les prisons israéliennes. Les marques sur son dos faisaient penser à celles de l’esclave Gordon, dont la photographie emblématique "Le dos flagellé" survit aujourd’hui comme un témoignage de la brutalité de l’esclavage.
Il m’a également raconté qu’en prison, il avait reçu une éducation politique et appris à parler plusieurs langues. En effet, il existe une longue histoire de solidarité entre prisonniers et d’éducation politique dans les prisons du monde entier.
À l’occasion de la Journée des prisonniers palestiniens, le 17 avril, le Masar Badil, Palestinian Alternative Revolutionary Path Movement, appelle ses organisations, ainsi que les Palestiniens de la diaspora, à organiser des manifestations pour soutenir les mouvements de prisonniers palestiniens dans les prisons de l’occupation et des États-Unis.
Après les tentatives du ministre de la Défense Itamar Ben Gvir de faire passer des lois très restrictives, le mouvement des prisonniers a mis en place une série de tactiques d’escalade destinées à annuler les actions de Ben Gvir. Selon Munther Khalaf Mufleh, écrivain et journaliste palestinien et porte-parole du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), le mouvement a rapidement annoncé une grève de la faim ouverte, accompagnée d’une liste de revendications.
Leur récente victoire a été rendue possible par l’émergence d’un Haut comité national, représentant toutes les factions palestiniennes, sous le slogan de "l’unité nationale et du véritable partenariat". Comme le note Mufleh :
"Toutes ces victoires n’auraient pas existé sans la volonté du peuple palestinien et sa résistance vaillante à nos côtés qui nous pousse toujours à agir davantage, mais cette victoire est un pas sur la route de mille kilomètres qui mène à notre objectif de liberté et de libération."
Le recours à la détention administrative est bien connu pour intimider les chefs de la résistance ainsi que les membres de leur famille. Par exemple, l’activiste Iyad Burnat, du village de Bil’in, explique que "c’est ma vie depuis l’enfance et c’est ainsi que mes enfants ont grandi. Nous ne savons pas comment abandonner". Bien qu’il sache que ses deux fils sont actuellement détenus sans procès, Burnat continue de se battre pour sa communauté.
Selon Randa Musa, épouse du prisonnier Khadar Anan, qui en est à sa sixième grève de la faim, les prisons d’occupation infligent des punitions collectives systématiques aux prisonniers, notamment l’isolement, la négligence médicale, le refus des visites familiales et de l’éducation, ainsi que des efforts visant à annuler les acquis des grèves collectives précédentes.
En effet, l’unité est un thème omniprésent dans la résistance palestinienne, en particulier parmi les prisonniers qui luttent. Le film "3000 Nights" (2015) de Mai Masri documente les expériences d’un groupe de femmes palestiniennes dans la prison israélienne de Ramla. "Dans les années 1980, les prisonnières palestiniennes du FPLP [Front populaire de libération de la Palestine], du Fatah, etc. se sont battues contre les autorités pour chaque chose - même pour un crayon", explique Mai Masri.
Layal, le personnage central, n’est pas membre de la résistance lorsqu’elle est arrêtée par erreur. En prison, elle est integrée à la vie collective de ses compagnes de cellule, surtout après avoir donné naissance à un petit garçon. Sa vie change, tant sur le plan politique que personnel, car elle gagne en force grâce à sa solidarité avec les autres prisonnières.
De même, pendant les sept années du régime militaire argentin (1976-1983) - connues sous le nom de Processo - il y a eu une période de répression et de violence parrainée par l’État qui a entraîné environ 30 000 morts et disparitions. Dans "The Little School" (1998), une prison secrète ironiquement nommée d’après son ancienne fonction, l’activiste/poète Alicia Partnoy invente ce qu’elle appelle un "discours de solidarité" ("Textual Strategies to Resist Disappearance and the Mothers of the Plaza de Maya", Florida Atlantic Comparative Studies Journal 12, 2010-2011, p. 5), des témoignages de ses compagnons de cellule qui s’assemblent pour former une histoire collective des disparus.
En prison, Partnoy a transformé la poésie qu’elle écrivait pour sa fille pour l’adapter à n’importe quel enfant de prisonnier. Écrire pour des occasions spécifiques ne l’a pas seulement aidée à survivre, elle s’est aperçue qu’elle contribuait également à élever l’esprit de ses amis. De cette manière, elle a assumé la souffrance d’autres mères captives, un effort communautaire semblable à celui des compagnes de cellule qui aident à élever le garçon de Layal.
Le 14 mars 1954, le film "Le sel de la terre" est projeté pour la première fois à New York. Basé sur la grève de l’Empire Zinc de 1951-52 au Nouveau-Mexique, il raconte l’histoire de mineurs en grève, pour la plupart des Américains d’origine mexicaine, dans leur quête de justice économique, raciale et sexuelle. À l’instar du mouvement des prisonniers palestiniens, elle célèbre la capacité de l’action collective à créer un monde meilleur.
Faisant écho au lien entre les Palestiniens et la terre, Esperanza, épouse d’un leader de la grève, explique que les mineurs veulent aussi que le monde sache que "nos racines sont profondes dans cet endroit, plus profondes que les pins, plus profondes que le puits de mine" qui contribue à la destruction de la terre.
Après l’injonction faite aux grévistes, leurs femmes prennent le relais sur le piquet de grève car elles ne sont pas membres du syndicat. Lorsque les femmes sont arrêtées par la police, Esperanza emmène son bébé avec elle. Comme le bébé a faim, elles commencent à chanter des slogans pour que les officiers les relâchent ou leur apportent des produits de base pour nourrir le bébé.
Aujourd’hui encore, le cri emblématique "Nous voulons du lait maternel" est répété lorsque les femmes veulent faire entendre leur voix. Le film a également fait appel à des membres de la communauté en tant qu’acteurs, dont certains étaient des mineurs ayant participé à la grève. Pendant des années, dans mes cours d’histoire du Nouveau-Mexique, au moins un élève avait des histoires à raconter sur des membres de sa famille qui avaient joué dans le film.
En explorant ces autres histoires - du Nouveau-Mexique, d’Argentine et d’ailleurs - les Palestiniens se retrouvent dans un récit plus large de solidarité et de résistance transnationales.
Après sa libération en septembre 2021, Khalida Jarrar a utilisé sa position de chercheuse à l’université de Birzeit pour utiliser une approche similaire qui se concentre sur les femmes palestiniennes détenues. Au moyen d’une étude comparative, elle examine les expériences coloniales en Irlande, en Algérie et dans la prison de Khiam au Sud-Liban. Pour Jarrar, le mouvement des prisonniers est une lutte collective qui doit inclure les femmes.
Reprenant l’approche transnationale de Jarrar, Samidoun précise que "les prisonnières palestiniennes ne sont pas seules ; elles luttent aux côtés de leurs consœurs prisonnières politiques aux Philippines, en Turquie, en Inde, en Égypte et dans le monde entier".
Samidoun explique "Les femmes palestiniennes ont toujours été au centre du mouvement de libération". Participant à "tous les aspects de [la] lutte", les femmes ont "pris la tête du mouvement des prisonniers, en organisant des grèves de la faim et en se tenant en première ligne de la lutte, même derrière les barreaux".
Le 21 février 2023, les prisonniers palestiniens ont appelé à une action collective pour soutenir un programme de lutte de plus en plus ambitieux. Selon Samidoun, le Haut Comité national d’urgence du mouvement des prisonniers palestiniens a publié une déclaration annonçant une série d’actions se concluant par une grève de la faim ouverte. Intitulé "Liberté ou martyre", le Comité a appelé "tous les prisonniers valides de toutes les factions" à s’engager dans la grève afin d’être rassemblés autour de "revendications unifiées et d’une direction unifiée", car "l’unité", tant des prisonniers que de leurs partisans, est le "principal garant" de la réussite.
Le 23 mars 2023, les prisonniers ont déclaré leur victoire dans la campagne "Volcan de la liberté ou du martyre". En raison de leur résistance, les services pénitentiaires sionistes ont annulé les nouvelles restrictions, après quoi les prisonniers ont suspendu la grève de la faim prévue pour le 23 mars.
Néanmoins, Walid Daqqah - écrivain palestinien et l’un des plus anciens prisonniers politiques - reste en prison après qu’on lui a diagnostiqué une myélofibrose, une forme rare de cancer de la moelle osseuse qui nécessite une greffe de moelle. Selon une déclaration de sa famille, il est actuellement détenu au centre médical Barzilai, après l’ablation d’une partie de son poumon droit.
Il fait partie des nombreux prisonniers palestiniens qui ont un besoin urgent de soins médicaux. À l’approche de la Journée des prisonniers, sa famille demande sa libération immédiate afin qu’il soit soigné dans un hôpital où il pourra recevoir les soins nécessaires. Elle demande également la formation d’une équipe médicale composée de sa famille, d’organisations de prisonniers et d’organisations de défense des droits de l’homme pour rendre visite à Walid afin de transmettre au monde entier des informations sur son état de santé.
Dans un message que Samidoun a reçu de prisonniers du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) dans les prisons de l’occupation, il y a également un appel à soutenir une campagne internationale de solidarité avec le leader Ahmad Sa’adat, Abu Ghassan.
Selon eux, "l’esprit révolutionnaire" de Sa’dat rappelle au monde que "la Palestine n’est pas une géographie imaginaire, elle fait partie de ce monde et représente toujours la destination des révolutionnaires du monde entier". En effet, la déclaration conclut que "la cause des prisonniers transcende les frontières, les géographies, les murs et les temps parallèles. Il s’agit d’une révolution contre l’injustice dans laquelle nos prisonniers s’unissent aux prisonniers révolutionnaires du monde entier dans les cachots de l’oppression et de la persécution", des mots importants à retenir lors de la Journée des prisonniers de Palestine.
Traduction : AFPS