Cet effacement de la culture palestinienne- a aussi été une récupération- qui a eu lieu dans tous les domaines : vol des bibliothèques privées et des héritages vestimentaires ou culinaires, changement des noms de villes et villages, etc.
Si certains groupes sionistes s’appropriaient les maisons, et volaient toutes les œuvres d’art ou culturelles, d’autres s’attaquaient aux salles de cinéma et aux théâtres, qui ont également été pillés. Les peintures artistiques ont été retirées des murs, la presse, les journaux, les livres et les instruments de musique ont été volés, la radio palestinienne – la deuxième dans le monde arabe à l’époque, après celle du Caire –, a été dévalisée et son équipement a été transféré à la radio israélienne. Il s’agissait tout simplement de confisquer le narratif culturel palestinien au même titre que la confiscation des maisons et des terres.
La réponse palestinienne après 1948, a donc commencé par la culture à travers les enseignants, les poètes, les artistes et les étudiants, que ce soit en Palestine même ou en exil, où vit plus de moitié du peuple palestinien depuis qu’il a été chassé par la force de sa terre natale.
La problématique de l’existence d’un État dans l’élaboration d’une identité culturelle peut être considérée comme centrale, et nombreux sont les exemples d’États-nation, nés au lendemain de l’indépendance, qui ont élaboré leurs propres cultures en s’appuyant d’abord sur l’école sur un territoire défini et souverain avec un pouvoir central.
Cependant le cas palestinien est différent de ce schéma classique : les Palestiniens sont dispersés géographiquement et vivent sous différentes autorités des régimes arabes.
Qui dit culture dit identité, et donc mémoire collective, qui est un élément fondateur de cette identité. Le patrimoine est la pierre angulaire de cette mémoire collective dans la mesure où une identité repose sur la mémoire des individus formant une population et la mémoire collective repose sur un passé commun. Ce passé commun peut être vécu, comme il peut être créé à partir d’un récit, transmis par l’éducation et les commémorations.
La Palestine comme pays qui a existé durant des siècles, vit doublement cette question d’identité :
- d’une part en opposition, pour le moment, à une autre identité – israélienne qui prétend la remplacer.
- et d’autre part en proie à des perturbations liées à l’évolution du mouvement national palestinien qui est aujourd’hui à la croisée des chemins.
La création d’une nation par la préservation d’une mémoire.
Depuis la moitié du xixe siècle jusqu’à nos jours, les États-nation, naissant d’abord sur le continent européen, mettent en avant l’histoire ancienne pour justifier des phénomènes d’unification ou de sécessions nationales, ainsi que des formes de pouvoir qui n’ont pas nécessairement de rapports avec des traditions historiques réelles.
Ces États, mais aussi les mouvements de libération nationale cherchant à former un État, recourent au passé ancien pour donner une image de la nation qui soit cohérente, gratifiante, enracinée ou réenracinée, tournée vers l’avenir à partir de la mobilisation des ressources offertes par ce passé ancien.
L’histoire est une arme politique utilisée pour donner sens au passé selon une logique du présent ; c’est d’ailleurs dans ce sens que les traces archéologiques peuvent devenir l’enjeu de guerres d’appropriation et d’interprétation, comme c’est le cas précisément pour la Palestine.
En effet, depuis que le nom de la Palestine a été rayé de la carte géographique et politique en mai 1948, c’est d’abord par l’expression culturelle autour du thème du retour dans le pays d’où ils ont été chassés, que les Palestiniens se sont dotés au fil des décennies d’une identité nationale qui s’est transformée en mouvement de libération. Le germe d’une nouvelle identité palestinienne construite sur les thèmes de la libération et du retour, a été initié par les enseignants dans les camps de réfugiés. Ces enseignants avaient à l’époque un statut privilégié, étaient politisés avec une forte sensibilité pour la poésie, la peinture, le théâtre et toutes autres formes d’expression culturelle. Ils ont donc utilisé la culture pour former, non seulement en terme éducatif mais aussi politique, une nouvelle génération dont sera issue une nouvelle élite qui fondera le mouvement national palestinien (incarné par l’OLP). Ce dernier ayant été reconnu sur le plan collectif palestinien, arabe et international, a réussi à créer une Autorité sur sa terre de Palestine et a cherché une plus large reconnaissance internationale.
L’OLP, revendiquant la création de l’État de Palestine a d’abord cherché la reconnaissance internationale culturelle en tant que pays à l’UNESCO en septembre 2011, avant d’aller frapper à la porte de l’Assemblée générale de l’ONU pour devenir un État observateur.
Avec l’admission de la Palestine à l’UNESCO comme membre à part entière et non plus en tant qu’observateur comme c’était le cas depuis 1989, la Palestine est passée d’un statut de Territoires, toujours sujet à définition ou contestation, au statut de pays qui, même sous occupation, est un pays, ce qui implique l’existence politique d’un peuple et plus tard d’un État.
En choisissant d’abord l’UNESCO, comme agence de l’ONU, les Palestiniens entendaient marquer leur combat sur le front de la culture et pas uniquement sur les fronts politique, diplomatique…
Pour l’OLP, l’histoire c’est la « science d’urgence », car « les Palestiniens, en 1948, ne perçoivent pas leur pays comme un territoire occupé mais comme une terre occultée ». Le conflit prend une tournure radicalement nouvelle : il relève désormais du registre de la disparition et non de l’occupation. C’est ainsi que l’historien sera, chez les Palestiniens, investi d’une mission qui dépasse très largement le champ de la recherche pour devenir « science d’urgence ».
Hassan Balawi
Hassan Balawi, a travaillé pour l’OLP et l’Autorité nationale palestinienne comme journaliste pendant dix-sept ans avant de rejoindre la délégation générale de Palestine en France puis la mission palestinienne à l’Unesco. Diplomate, il est actuellement Conseiller à la Mission de Palestine auprès de l’Union Européenne, de Belgique et du Luxembourg.