Aux différents points d’accès de la ville, des policiers en armes sont désormais déployés sur ordre du président palestinien, Mahmoud Abbas, inquiet à l’idée que la débâcle gazaouie pourrait se propager en Cisjordanie. Mais cette présence ostentatoire ne change rien à la coloration politique d’une ville farouchement conservatrice, où le Hamas avait remporté, lors des élections législatives de janvier 2006, la totalité des neuf sièges mis en jeu.
"Hébron est et restera une ville islamiste, dit le journaliste Bassem Dweik, sympathisant du Hamas. Pour la plupart de ses habitants, les dirigeants de Ramallah sont des capitulards aux ordres d’Israël et des Etats-Unis. Compte tenu de la sauvagerie avec laquelle la manifestation contre la réunion d’Annapolis a été réprimée, la haine de l’Autorité palestinienne y est plus grande que jamais."
Cette marche avait été la plus importante de toutes celles organisées dans les villes de Cisjordanie le 27 novembre, en parallèle à la conférence de paix tenue dans le Maryland sous l’égide du président américain, George Bush. Organisée par le Parti de la libération (Hizb ut-Tahrir), un groupuscule islamiste prônant le rétablissement du califat et dont Hébron est le bastion, elle avait aussi drainé des militants du Hamas, venus à titre individuel pourfendre les "collabos" de Ramallah, siège de l’autorité palestinienne.
En dépit de l’interdiction du rassemblement par le gouverneur, environ 2 000 manifestants avaient défilé pendant quelques minutes avant que la police ne charge à coups de matraque et n’ouvre le feu à l’arme automatique, faisant un mort, Hisham Baradeï (36 ans), et plusieurs dizaines de blessés. Le lendemain, les funérailles du "martyr" suivies par 5 000 "hamsawis" et "tahriris" au coude à coude, avaient encore une fois été dispersées par la force, au prix d’une vingtaine de blessés, dont trois par balles. Comme la veille, des journalistes avaient été empêchés de filmer la scène par les policiers.
Alliance de circonstance
Trois semaines plus tard, à l’occasion de la fête musulmane de l’Aïd, des centaines d’habitants d’Hébron ont défilé sous la tente de condoléances dressée par la famille Baradeï dans le centre-ville. "Les représentants de l’Autorité palestinienne n’ont pas jugé bon de venir s’excuser et la police a refusé d’enquêter sur le comportement criminel de ses membres", tempête Abdel Nasser, le frère du défunt, militant du Parti de la libération, avant d’ajouter : "Ce régime ne représente plus mon peuple. Il est un simple agent de l’occupation israélienne."
Les dirigeants locaux du Hamas sont venus, en revanche, partager le deuil de la famille. Cette démarche souligne l’alliance de circonstance nouée entre deux mouvements aux programmes pourtant antithétiques. En temps normal, le militant du Hizb ut-Tahrir, nourri de panislamisme, dédaigne volontiers le nationalisme ultra de l’activiste du Hamas qui, en retour, moque sa frilosité politique et surtout son refus de s’engager dans l’Intifada. La relance des négociations a mis ces divergences entre parenthèses. Pour le Parti de la libération, c’est l’occasion de gagner en visibilité, dans la lignée du vaste rassemblement qu’il avait organisé pendant l’été à Ramallah.
Quant au Hamas, affaibli par l’incarcération en Israël de ses principaux cadres et soucieux de faire profil bas après son coup de force à Gaza, il n’est pas mécontent de laisser le premier rôle à son concurrent pour mieux se placer en embuscade.
"Dans une région aussi peuplée que celle d’Hébron, le mouvement pourrait réunir 100 000 personnes en l’espace de quelques heures, affirme Khaled Amayreh, un journaliste pro-Hamas. Il préfère parier sur le fait que la brutalité et la corruption de l’Autorité palestinienne finiront par se retourner contre elle-même."
Benjamin Barthe