Le résultat le plus inquiétant des élections générales israéliennes de cette semaine n’est pas le fait qu’un parti ouvertement fasciste ait remporté le troisième plus grand nombre de sièges, ni qu’il soit sur le point de devenir la cheville ouvrière du prochain gouvernement. C’est le peu de changement qui en résultera, en Israël ou à l’étranger.
Le fait que le sionisme religieux soit au cœur du gouvernement modifiera le ton de la politique israélienne, la rendant encore plus grossière, plus brutale et intransigeante. Mais cela ne changera rien au suprémacisme ethnique qui guide la politique israélienne depuis des décennies.
Israël n’est pas soudainement devenu un État plus raciste. Il est simplement de plus en plus confiant à admettre son racisme au monde entier. Et le monde - ou du moins la partie de celui-ci qui se décrit avec arrogance comme la communauté internationale - est sur le point de confirmer que cette confiance est bien fondée.
En fait, l’attitude de l’Occident à l’égard du prochain gouvernement de coalition israélien ne sera pas différente de celle qu’il a adoptée à l’égard des gouvernements supposés moins corrompus qui l’ont précédé.
En privé, l’administration Biden aux États-Unis a fait savoir aux dirigeants israéliens qu’elle n’appréciait pas que les partis fascistes occupent une place aussi importante au sein du gouvernement, notamment parce que leur présence risque de mettre en évidence l’hypocrisie de Washington et d’embarrasser les alliés du Golfe. Mais ne vous attendez pas à ce que Washington fasse quelque chose de concret.
Il n’y aura pas de déclarations appelant à ostraciser le gouvernement israélien comme un paria, ni de démarches visant à le sanctionner ou à mettre fin aux milliards de dollars d’aides que les États-Unis lui accordent chaque année. Dans un Washington encore marqué par les retombées des émeutes du 6 janvier, il n’y aura pas d’avertissement selon lequel la démocratie israélienne a été sabotée de l’intérieur.
De même, on n’exigera pas d’Israël qu’il s’engage à protéger plus rigoureusement les Palestiniens de son régime militaire, et on ne relancera pas les efforts pour le forcer à s’asseoir à la table des négociations.
Après quelques pas gênés, et peut-être un refus symbolique de rencontrer les ministres des partis fascistes, les affaires continueront comme d’habitude - l’"habitude" étant l’oppression et le nettoyage ethnique des Palestiniens.
Mort et enterré
Il ne s’agit pas de minimiser l’importance des résultats. Le Meretz, le seul parti juif qui affirme préférer la paix aux droits des colons israéliens, semble ne pas avoir réussi à franchir le seuil électoral. Le petit camp de la paix israélien semble mort et enterré.
L’extrême droite laïque, l’extrême droite des colons et la droite religieuse fondamentaliste ont obtenu 70 des 120 sièges du Parlement, même si des querelles intestines font que tous ne sont pas prêts à siéger ensemble. Une volonté suffisante, cependant, pour assurer le retour au pouvoir de l’ancien Premier ministre Benjamin Netanyahou pour la sixième fois, un record.
Il est pratiquement certain qu’Itamar Ben-Gvir sera au cœur du nouveau gouvernement, son parti représentant l’héritage brutal et ouvertement suprématiste du célèbre rabbin Meir Kahane, qui souhaitait expulser les Palestiniens de leur patrie. Netanyahou sait qu’il doit son retour en force à l’étonnante ascension de Ben-Gvir et des kahanistes - et il devra les récompenser comme il se doit.
Plusieurs dizaines de sièges supplémentaires à la Knesset sont détenus par des partis juifs qui appartiennent à la droite militariste et largement laïque. Leurs législateurs encouragent de manière fiable ce qui équivaut maintenant à un siège de 15 ans de Gaza et de ses deux millions d’habitants palestiniens, ainsi que le bombardement intermittent de l’enclave côtière "jusqu’à ce qu’elle retourne à l’âge de pierre".
Ni le Parti juif ni aucun de ces partis ne préfèrent une solution diplomatique à l’asservissement permanent des Palestiniens, à leur nettoyage ethnique progressif de Jérusalem et à l’enracinement des colonies en Cisjordanie occupée.
Ces partis de droite militaristes, qui ont remporté la victoire dans les urnes il y a 19 mois, ont supervisé ce que les Nations unies ont récemment prédit comme étant "l’année la plus meurtrière" pour les Palestiniens depuis qu’elles ont commencé à compiler des chiffres en 2005. Alors qu’ils étaient au pouvoir, ils ont fermé six groupes palestiniens de défense des droits de l’Homme, affirmant sans preuve qu’ils étaient des organisations terroristes.
Néanmoins, les capitales occidentales vont maintenant prétendre que ces partis d’opposition offrent l’espoir - même lointain - d’une percée vers la paix.
Dans cette mer de suprémacisme juif sans restriction seront assis 10 législateurs appartenant à deux partis non sionistes à majorité arabe, représentant un cinquième de la population d’Israël. S’ils parviennent à élever la voix suffisamment fort pour briser le vacarme du racisme anti-palestinien dans la salle du parlement, ils seront les seuls à défendre une cause que la communauté internationale considère comme chère à son cœur : une solution à deux États.
Un moment de clarté
Le succès de la coalition entre Pouvoir juif et sionisme religieux, qui a remporté 14 sièges, devrait être un moment de clarté. Dans cette élection, le sionisme politique, l’idéologie d’État d’Israël, a brisé sa couverture. Il s’est révélé être un spectre étroit d’affreuses croyances suprémacistes ethniques.
En particulier, l’ascension de Ben-Gvir et de son parti fera tomber le masque d’Israël et de ses partisans à l’étranger, qui prétendent qu’Israël est la seule démocratie du Moyen-Orient, avec l’implication à peine dissimulée qu’il représente un avant-poste de la civilisation occidentale dans un Moyen-Orient primitif et moralement arriéré.
Ben-Gvir et ses alliés au gouvernement ne montrent que trop clairement que le soutien occidental à Israël n’a jamais été conditionné par son caractère moral ou ses prétentions démocratiques. Dès le départ, Israël a été parrainé comme un avant-poste colonial de l’Occident - "un rempart de l’Europe contre l’Asie, un avant-poste de la civilisation par opposition à la barbarie", comme Theodor Herzl, le père du sionisme, a décrit le rôle du futur Israël.
L’objectif central du sionisme, qui consiste à remplacer la population palestinienne autochtone par des arrivants juifs revendiquant un droit de naissance ancestral, est le même, quel que soit le dirigeant d’Israël. Le conflit au sein du sionisme a porté sur les moyens nécessaires pour parvenir à ce remplacement, sur la base de préoccupations quant à la façon dont les étrangers pourraient percevoir et répondre au racisme d’État d’Israël.
Au fil du temps, le sionisme libéral a généralement conclu que le mieux qu’il puisse espérer était de parquer les Palestiniens dans des ghettos afin de garantir la domination juive sur le territoire. Il s’agit du modèle d’apartheid que la communauté internationale a tenté pendant trois décennies de formaliser dans une solution à deux États.
Mais le sionisme libéral n’a pas réussi à asservir les Palestiniens, et a maintenant été efficacement balayé de la scène politique israélienne par le triomphe du sionisme révisionniste. C’est à cette idéologie que souscrit une nette majorité du nouveau parlement.
Face à la résistance palestinienne et à l’échec du sionisme libéral, le sionisme révisionniste offre une solution plus satisfaisante. Il préfère rendre explicite la suprématie juive, ordonnée divinement ou non, sur un territoire élargi. Il conclut que, si les Palestiniens refusent de se soumettre à leur statut d’invités de troisième classe, ils perdent tout droit et créent les conditions de leur propre expulsion.
Le changement en Israël
Pour les Palestiniens, Ben-Gvir se distinguera des législateurs des autres partis aux côtés desquels il siégera au gouvernement principalement par l’audace avec laquelle il sera prêt à embarrasser l’Occident - et les partisans sionistes libéraux d’Israël - en affichant ce que l’on peut à juste titre qualifier de vues racistes.
Dans la mesure où Ben-Gvir représente un changement, ce ne sera pas en termes d’actions d’Israël dans les territoires occupés. Elles se poursuivront comme avant, bien qu’il puisse s’avérer être une épine dans le pied de Netanyahou sur la question de l’annexion, comme beaucoup dans le propre parti de Netanyahou.
L’impact de Ben-Gvir se fera plutôt à l’intérieur d’Israël. Il veut le portefeuille de la sécurité publique afin de pouvoir commencer à transformer la police nationale en une milice à son image, en reproduisant le succès des colons qui ont pénétré et progressivement pris le contrôle de l’armée israélienne.
Cela accélérera une tendance à une coopération plus étroite entre la police et les groupes de colons armés, légitimant un recours encore plus important à des types de violence formelle et informelle contre la grande minorité de citoyens palestiniens vivant à l’intérieur d’Israël. Cela permettra également à Ben-Gvir et à ses alliés de sévir contre les "déviants" au sein de la société juive : ceux qui sont en désaccord sur des questions religieuses, sexuelles ou politiques.
Les partis fascistes du futur gouvernement de Netanyahou chercheront à s’appuyer sur le discours incitatif existant à l’encontre des citoyens palestiniens vivant en Israël pour qualifier la minorité de cinquième colonne et justifier publiquement son expulsion. Et ce n’est pas sans précédent : des dirigeants et des ministres précédents ont suggéré que les Palestiniens étaient intrinsèquement des traîtres, comparant les citoyens palestiniens à un "cancer" ou à des "cafards" et appelant à leur expulsion.
Entre-temps, Avigdor Lieberman, ministre dans plusieurs gouvernements, a depuis longtemps établi un plan pour redessiner les frontières d’Israël afin de refuser la citoyenneté à certaines parties de la minorité palestinienne.
Au cours de l’été, Ben-Gvir a vanté les mérites d’un sondage d’opinion montrant que près des deux tiers des Juifs israéliens étaient favorables à la législation qu’il proposait pour expulser les citoyens palestiniens "déloyaux" de l’État et leur retirer la citoyenneté. Les autres partis juifs, qui souscrivent à leurs propres versions du suprémacisme ethnique, auront du mal à trouver un moyen de contrer de manière crédible la rhétorique de Ben-Gvir.
Un test difficile
Tout cela constituera un test difficile pour les partisans d’Israël en Europe et aux États-Unis. La plupart d’entre eux s’identifient comme des sionistes libéraux, même si leur aile du sionisme a été éradiquée en Israël il y a quelque temps.
Les sionistes libéraux juifs affirment invariablement qu’Israël est au cœur de leur identité. Ils ont même insisté pour redéfinir tout ce qui n’est pas la critique la plus sanglante d’Israël comme de l’antisémitisme. Une attaque contre Israël est une attaque contre l’identité juive, affirment-ils, et constitue donc de l’antisémitisme.
C’est précisément cette logique qui a été reprise par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) lorsqu’elle a rédigé une nouvelle définition de l’antisémitisme - une définition qui a été largement adoptée par les partis politiques occidentaux, les autorités locales et les universités.
Les exemples d’antisémitisme de l’IHRA incluent le fait de qualifier Israël d’"entreprise raciste", de comparer ses actions à celles des nazis (probablement même si des partis fascistes réels dictent les politiques israéliennes), ou d’exiger d’Israël "un comportement que l’on n’attend pas ou que l’on n’exige pas d’une autre nation démocratique" (ce qui soulève la question suivante : que doit faire Israël pour ne plus être considéré comme "une autre nation démocratique" ?)
Ceux qui s’y refusent, comme l’ancien leader travailliste britannique Jeremy Corbyn, ont subi de plein fouet la colère des sionistes libéraux, tout comme ceux qui font campagne pour le boycott d’Israël pour freiner ses excès. Ce sont les sionistes libéraux qui ont mis fin au militantisme de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS).
Les partisans d’Israël vont-ils répudier la définition de l’IHRA ou d’Israël, alors que Ben-Gvir siège au gouvernement, représentant une grande partie de la population israélienne ? Vous pouvez parier qu’ils ne le feront pas.
Si Ben-Gvir oblige les supporters d’Israël à choisir entre le suprémacisme ethnique de leur sionisme et leur libéralisme, la plupart s’en tiendront au premier. Ce qui se passera, comme cela s’est produit tant de fois auparavant, c’est que le glissement vers la droite d’Israël sera rapidement normalisé. Avoir des partis fascistes au sein du gouvernement deviendra bientôt banal.
Pire encore, Ben-Gvir servira d’alibi pour les autres politiciens d’extrême droite à ses côtés, permettant aux États-Unis et à l’Europe de les présenter comme des modérés, des hommes et des femmes de paix, les adultes dans la pièce.
Traduction : AFPS