Photo : Le poste de contrôle Baby Al Zawiya, situé au cœur de la ville occupée d’Hébron, doté de caméras de reconnaissance faciale et d’un lance-grenades piloté par intelligence artificielle (Rohan Talbot Twitter)
Pour le militant Issa Amro, les dernières révélations du groupe de défense des droits de l’homme Amnesty International - sur l’utilisation croissante par Israël de la technologie de reconnaissance faciale à l’encontre des Palestiniens - ne sont pas une surprise.
"Je le vis. Je le ressens. J’en souffre. Mon peuple en souffre", a-t-il déclaré à Al Jazeera depuis Hébron.
Le 2 mai, Amnesty a publié un rapport intitulé Automated Apartheid (Apartheid automatisé), détaillant les rouages du programme israélien Red Wolf - une technologie de reconnaissance faciale utilisée pour traquer les Palestiniens depuis l’année dernière et qui serait liée à des programmes similaires antérieurs, connus sous le nom de Blue Wolf et Wolf Pack [Loup Bleu ; Meute de Loups].
La technologie a été déployée aux points de contrôle de la ville d’Hébron et d’autres zones de la Cisjordanie occupée - elle scanne les visages des Palestiniens et les compare aux bases de données existantes.
Palestinians, like anyone else, have the right to live in a world that upholds equality and dignity.
Help dismantle Israel’s apartheid and call for an end to the supply of facial recognition technologies used in the Occupied Palestinian Territories 👉 https://t.co/hIaqRKoLBj pic.twitter.com/SlzJZbYEkd
— Amnesty International (@amnesty) May 2, 2023
Les Palestiniens ont comme tout le monde le droit de vivre dans un monde qui défend l’égalité et la dignité.
Aidez à démanteler l’apartheid israélien et demandez l’arrêt de la fourniture des technologies de reconnaissance faciale utilisées dans les territoires palestiniens occupés 👉 http://amn.st/6018OX5Tm
Amnesty révèle que si les informations relatives à la personne ne figurent pas dans les bases de données existantes, la personne est automatiquement inscrite à Red Wolf sans son consentement et peut même se voir refuser le passage au poste de contrôle.
Dans une déclaration au New York Times, l’armée israélienne a indiqué qu’elle menait "les opérations de sécurité et de renseignement nécessaires, tout en déployant des efforts considérables pour minimiser les dommages causés aux activités courantes de la population palestinienne".
L’écrivain palestinien Jalal Abukhater a déclaré que les systèmes de surveillance sont utilisés pour faire sentir aux Palestiniens qu’ils n’ont aucun droit.
M. Abukhater, qui s’exprime depuis la partie occupée de Jérusalem-Est, a déclaré à Aljazeera, "Les gens ressentent cet effet de disuassion qui les empêche de socialiser ou de se déplacer aussi librement qu’ils le voudraient - ils ne vivent pas normalement comme ils le voudraient".
"Cette forme de système de surveillance est utilisée spécifiquement pour renforcer l’occupation... ils veulent maintenir l’apartheid".
Selon Amnesty, les réseaux de surveillance par reconnaissance faciale se sont également multipliés à Jérusalem-Est, notamment autour de lieux d’importance culturelle tels que la porte de Damas, la plus grande entrée de la vieille ville et le lieu de fréquentes manifestations contre les forces d’occupation.
En février de l’année dernière, Amnesty a déclaré qu’Israël imposait l’apartheid aux Palestiniens, les traitant comme "un groupe racial inférieur". D’autres organisations, dont Human Rights Watch, basée aux États-Unis, et B’Tselem, un groupe israélien de défense des droits, ont tiré des conclusions similaires.
Hébron, qui a été occupée par Israël en 1967, est divisée en deux parties : H1, administrée par l’Autorité palestinienne, et H2, administrée par Israël, conformément à l’accord d’Hébron de 1997.
Quelque 200 000 Palestiniens vivent de part et d’autre, ainsi que plusieurs centaines de colons israéliens particulièrement protégés par les forces israéliennes.
Les Palestiniens sont régulièrement soumis à des points de contrôle et il leur est interdit d’emprunter plusieurs routes et autoroutes principales.
"Un laboratoire"
Le militant Amro affirme que les Palestiniens vivant à Hébron sont devenus de simples "objets" dans ce qu’il estime être des "expérimentations" israéliennes.
"Hébron est devenu un laboratoire pour les fournisseurs de systèmes de sécurité qui font des simulations sur nous, nous résolvent comme on résout une panne informatique et commercialisent leurs technologies", a-t-il déclaré. "Nous n’avons pas notre mot à dire."
Israël a été cité comme l’un des principaux exportateurs de technologies de surveillance cybernétique et civile vers des pays tels que la Colombie, l’Inde et le Mexique.
La société israélienne de cybersécurité NSO Group a fait l’objet de nombreuses critiques concernant son logiciel phare Pegasus, un outil d’espionnage utilisé par des dizaines de pays pour pirater des smartphones.
Des centaines de journalistes, d’activistes et même de chefs d’État auraient été visés.
De plus, selon l’écrivain Abukhater, des programmes de cybersécurité tels que Red Wolf sont nécessaires pour qu’Israël puisse poursuivre ses projets de colonies de peuplement illégales en plein essor dans les territoires occupés.
"Les technologies de surveillance telles que celle-ci [la reconnaissance faciale] sont importantes, en particulier dans les villes où Israël introduit des colons au cœur des villes palestiniennes. Le fait qu’elles [les colonies] se trouvent au cœur des quartiers palestiniens dans des endroits comme Jérusalem-Est et Hébron crée beaucoup de problèmes et de questions", a-t-il déclaré.
"C’est un moyen de contrôler les Palestiniens et de s’assurer que l’expansion des colonies se poursuit sans rencontrer d’obstacle de la part de la résistance palestinienne."
Selon les Nations unies, les colonies israéliennes en Cisjordanie sont illégales et constituent une "violation flagrante" du droit international.
"Surveillés en permanence"
Selon M. Amro, l’appareil de surveillance a eu un effet significatif sur les déplacements quotidiens des Palestiniens, dont il fait partie.
"Je me sens surveillé en permanence. Je me sens surveillé tout le temps... y compris sur les médias sociaux, en entrant et en sortant de chez moi", a-t-il déclaré.
"Des femmes sont venues me voir pour me demander si ils pouvaient les voir dans leur chambre à coucher... C’est bouleversant d’entendre des femmes s’inquiéter de cette intimité avec leurs maris, avec leurs proches", a-t-il ajouté.
Selon cet ingénieur électricien de 43 ans, des familles ont été contraintes de quitter la ville d’Hébron, fortement surveillée, pour des quartiers qui le sont moins.
"Ils ne vous expulsent pas directement de votre maison. Mais ils font en sorte qu’il vous soit impossible de rester (...) et cela a beaucoup à voir avec ces technologies [de surveillance] et ces caméras partout", a déclaré M. Amro.
Ori Givati, directeur des activités de plaidoyer pour Breaking The Silence -un groupe de défense des droits des anciens soldats israéliens-, et lui-même ancien soldat israélien, affirme que les Palestiniens n’ont "plus d’espace privé".
"Si, par le passé, certains avaient le sentiment qu’ils pouvaient au moins contrôler leurs informations privées, nous leur avons également retiré cette possibilité."
Amnesty International demande depuis plusieurs années l’interdiction de l’utilisation de la technologie de reconnaissance faciale à des fins de surveillance de masse, estimant qu’elle est utilisée pour "étouffer les protestations" et "harceler les communautés minoritaires".
Aux États-Unis, la reconnaissance faciale a permis aux personnes métissées d’être injustement ciblées. Plusieurs villes, telles que Portland et San Francisco, ont interdit son utilisation par les forces de police locales, tandis que d’autres débattent de mesures similaires.
L’utilisation de la reconnaissance faciale s’est accélérée en Inde, où les autorités l’ont utilisée pour surveiller les rassemblements politiques et les manifestations contre le gouvernement d’extrême droite du Bharatiya Janata Party, faisant craindre une répression de la dissidence et de la liberté d’expression.
Traduction : AFPS