« Je ne commencerai pas mon article par un grand discours sur le droit à la santé ou sur le droit de bénéficier de soins de santé appropriés ; je ne vous rappellerai pas non plus qu’ils sont tous les deux des droits fondamentaux garantis par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Ceci est incontestable et n’exige pas le renouvellement d’un contrat social qui inclut ces termes essentiels à l’existence humaine, qui découle du droit à la vie et en est le prolongement naturel. Heureusement, la science a fait de grandes avancées dans le domaine de la médecine, étant donné que la vie humaine peut facilement être allongée et sa qualité améliorée malgré la vieillesse. Maintenant que nous sommes au vingt-et-unième siècle, et après tous les progrès médicaux que nous avons réalisés, nous ne pouvons pas renoncer à cet élixir de vie et accepter une mort subite en raison de l’absence de traitements ou de soins médicaux appropriés. »
« La pandémie de coronavirus (COVID-19) n’est pas différente d’autres pandémies dans l’histoire de l’humanité. Chaque pandémie est peu claire et préoccupante dans ses premières phases. Elle projette son ombre sur une certaine région en la paralysant, et elle se propage ensuite victorieusement à d’autres régions, en transformant la vie quotidienne des gens en cauchemars. L’horreur d’une telle pandémie augmente lorsqu’elle prend la vie d’une personne dont le corps a déjà été tourmenté par une poignée de maladies chroniques, en parachevant en tant que telle le cycle de la vie. Bien que le virus soit sournois, il n’est pas irrémédiable. Il peut être apprivoisé si des soins médicaux appropriés sont apportés à ceux qui en sont affectés, jusqu’à ce que soit trouvé un vaccin pour vaincre et contrôler la propagation du virus. »
« Normalement, à cette étape et à la suite de cette pandémie, des gens perdront leur vie en raison du manque de soins médicaux qui leur soient prodigués. Une telle mort ne ravit pas seulement la vie de millions de gens appauvris dans les pays en voie de développement, mais elle ravit aussi la vie de citoyens des pays riches qui, soit sont exclus du système de soins de leur pays, soit constatent que le système de santé de leur pays n’est pas en mesure de répondre à de telles urgences médicales. Les prisonniers palestiniens dans les geôles israéliennes connaissent probablement mieux ce que signifie le manque de soins médicaux quand il y en a besoin, étant donné que beaucoup d’entre eux sont morts en martyrs en raison des négligences médicales de la part des autorités d’occupation israéliennes. »
« La pandémie de coronavirus a révélé la faiblesse du système néo-libéral mondialisé, ou comme Samir Amin l’appelle, « le néo-libéralisme débridé ». Ce système est devenu dominant dans le monde après l’effondrement du socialisme à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Le système est fondé sur un libre-échange international total ou semi-total. Le capitalisme a dépassé les frontières traditionnelles des pays et ouvert les marchés à une échelle mondialisée. Internet, les médias sociaux et le développement des transports signifient que les industries mondialisées dépendent pour leur production de chaînes de valeur relativement longues qui s’étendent d’un pays et d’un continent à l’autre, de la fourniture de matières premières à l’approvisionnement des marchés de consommation. A l’heure actuelle, il est question d’ouvrir les secteurs des services au commerce international en tant que nouvelle étape du libre-échange mondial. »
« La réalité, c’est que cette pandémie et les besoins qui en résultent pour le secteur de la santé ont révélé la réalité du système néo-libéral globalisé. L’insuffisance des investissements dans le secteur de la santé publique a aussi été dévoilée, même dans des pays riches tels que la France, l’Italie et les États-Unis, depuis qu’un certain nombre de services fournis par le secteur public ont été transférés au secteur privé sous le prétexte de restructurer et d’atteindre l’efficacité économique. Cependant, l’histoire est différente dans les pays en voie de développement, étant donné que leur secteur de la santé pâtit de capacités insuffisantes pour fournir des services, et de services médiocres en général, ce qui le rend incompétent pour répondre en temps normal aux besoins des citoyens et encore moins en cas d’urgence. »
« On peut découvrir le pire stade auquel est arrivée l’humanité quand vous tracez la carte internationale de la division du travail et de la production. Vous découvrirez que la production de produits pharmaceutiques et de fournitures médicales ont aussi été inclus dans une telle division. La Chine et la Turquie se sont spécialisées dans la production de masques et d’outils de protection médicale, tandis que l’Inde s’est spécialisée dans la production des matériaux de base utilisée dans la production pharmaceutique. Comme le coronavirus est devenu une crise mondiale, la demande d’équipements médicaux, de respirateurs et de matériels de réanimation s’est accrue. En tant que tels, de nombreux pays se sont retrouvés à court de fournitures médicales en général, alors que les quantités qui peuvent être exportées dans le reste du monde ont été carrément limitées ou réfrénées. Cette pénurie mondiale a entraîné une exacerbation de la crise sanitaire dans les pays frappés durement par le virus, et a conduit à l’augmentation du nombre d’infections et de décès dans le monde entier. »
« Avec l’accroissement de la guerre des enchères et de la piraterie pour les fournitures médicales, tout en tournant le dos aux pays qui en ont le plus besoin, nous pouvons voir clairement le degré de laideur et de dégradation éthique auquel est parvenu l’actuel système mondial. D’autres phénomènes qui sont allés de pair avec le libre échange en matière de médicaments et de matériels médicaux, la restructuration et la réduction des dépenses publiques, ont été apportés par les institutions monétaires internationales, telles que la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International. De telles institutions ont prodigué des conseils et exercé des pressions sur les pays pour qu’ils changent leurs habitudes de dépenses dans les secteurs sociaux, y compris le secteur de la santé, afin de réduire l’insuffisance du budget des états et de réaliser des taux de croissance plus élevés. »
« De telles recette sont été adoptées à la fois par les pays riches et les pays pauvres, nous pouvons même dire que la théorie néo-libérale est devenue une croyance religieuse pour l’élite dirigeante gouvernant la plupart des pays développés et en voie de développement. Par exemple Donald Trump a travaillé à annuler même les démarches modérées vers un système de santé général adoptées par son prédécesseur Obama, en laissant sans couverture médical des millions d’Américains. Au cours des trois dernières décennies, la France et l’Italie ont perdu respectivement 100 000 et 90 000 lits d’hôpital à la suite de la réduction par le gouvernement des dépenses dans le secteur de la santé sur les recommandations d’économistes néo-libéraux. Il convient de noter qu’une branche entièrement nouvelle de l’économie est apparue, qui est l’économie de la santé, qui a soumis le secteur de la santé au calcul des pertes et profits conformément à la théorie néo-libérale de l’économie. Cela signifie que l’équilibre entre l’offre et la demande est pris en compte dans la détermination des prix, sans même envisager que la vie humaine est plus précieuse et plus importante que tous les calculs économiques. »
« Il convient de noter que les pratiques monopolistiques des grandes sociétés pharmaceutiques pendant la propagation du sida en Afrique en est l’exemple le plus proche. Les dites sociétés ont refusé de réduire leurs prix ou d’autoriser les sociétés africaines à produire des médicaments alternatifs pour empêcher le transfert du virus entre les mères et leur foetus pendant la grossesse. Ils ont refusé de le faire sous le prétexte qu’ils devaient préserver leur propriété intellectuelle et leurs revenus économiques. Les appels de médecins français pour que soient autorisés l’hydroxychloroquine et l’azithromycine – deux médicaments bon marché et largement disponibles qui, selon de nombreux spécialistes ont fait preuve d’efficacité pour traiter le COVID-19 – pour traiter les patients affectés par le coronavirus font office de preuve de l’ampleur avec laquelle les sociétés pharmaceutiques françaises interviennent dans le système de santé pour essayer de commercialiser les médicaments antiviraux coûteux. »
« La situation est beaucoup plus désastreuse dans les pays en développement, étant donné que beaucoup d’entre eux ont un secteur de santé insuffisant et sont incapables de répondre aux besoins quotidiens des citoyens. De tels pays n’ont pas suffisamment de lits médicaux ou de médicaments, et n’ont pas non plus suffisamment de personnels médicaux pour gérer les situations d’urgence. »
« Nous pouvons étudier la situation de l’Autorité Palestinienne en ce qui concerne notre réalité actuelle, étant donné que l’incapacité de son secteur sanitaire pour faire face aux défis et aux crises est évidente. Selon un rapport de la Coalition pour la Responsabilité et l’Intégrité-AMAN sur les dépenses de développement dans les secteurs sociaux, publié en 2019, le secteur de la santé palestinien subit un déficit de financement annuel estimé à 1 400 millions de shekels (369 millions d’euros ), ce qui a eu une incidence négative sur sa capacité à répondre aux besoins médicaux de la population. Pour répondre à de tels besoins, un système de transferts médicaux vers les hôpitaux israéliens et régionaux a été créé. Ce système est principalement fondé sur l’achat de services médicaux venus de l’étranger au lieu de renforcer les capacités du système de soins médicaux et de nationaliser les services. L’AP a dépensé dans le deux dernières décennies une moyenne de 700 millions de shekels (184 millions d’euros) pour ce système de transferts. Le déficit de financement dans le secteur de la santé aurait pu être comblé en réorientant des fonds venus du secteur du gouvernement, qui absorbe 43 % du budget annuel de l’AP, particulièrement en réformant le secteur de la sécurité qui dépense un budget annuel de 5,8 milliards de shekels (1,52 milliard d’euros). Différente analyses montrent que ce budget peut être réduit de moitié par une restructuration du secteur de la sécurité, en fusionnant les différents appareils de sécurité et en mettant fin au chevauchement entre les activités des services de sécurité. Ceci répondrait aux besoins sectoriels en matière de droit à la santé et fournirait un excédent de fonds pour réaliser le développement économique. »
« La crise actuelle représente la fin du système néo-libéral mondial que nous avons connu au cours des trois dernières décennies. Ce système a donné naissance à une économie mondiale annuelle de 85.000 milliards de $ (78.000 milliards de €) et à une dette mondiale de 250.000 milliards de $ (230 milliards de €) sans résoudre la pauvreté, le chômage ou le changement climatique. En outre, ce système est parvenu à un échec total face à la première crise sanitaire mondialisée observée par l’humanité moderne. Cela annonce la fin du « développement privatisé », qui est le développement contrôlé par le secteur privé sans aucun plan central, sans aucune direction ou orientation centrale, étant donné qu’il est opposé au rôle de l’état dans la direction et l’orientation du processus de développement du pays. « Le développement privatisé » se limite au développement économique, sans tenir compte de l’essence même du processus de développement, qui est le peuple. Il tente, par la terminologie qu’il emploie, de proposer un partenariat entre le secteur public, le secteur privé et la société citoyenne, pour limiter le rôle de l’état et laisser place aux concepts de profit et d’investissement. En tant que tel, le rôle de l’état est devenu complémentaire de celui du secteur privé et les citoyens ont abandonné les concepts du droit à la santé, à l’alimentation, à l’éducation et à la vie. L’état n’est plus tenu d’apporter de tels droits, mais c’est plutôt le marché qui les fournit en accord avec les concepts de pertes et profit. Tant que le secteur privé dirige le développement, ses investissements, qui sont régis par les principes du profit et de la compétition dans le contexte du libre-échange international, ne seront pas orientés vers l’amélioration des conditions de vie de l’humanité, mais plutôt vers l’accroissement du capital de ses détenteurs. »
« Dans un système mondial déraisonnable où les milliardaires coexistent avec les gens affamés qui meurent de faim, où la richesse des huit personnes les plus riches du monde est égale à la fortune de la moitié la pus pauvre de sa population, changer le système pour aller vers un système plus soucieux d’humanité devient une nécessité urgente. Trouver un système qui redistribue la richesse produite par l’humanité en accord avec nos besoins en tant que personnes et fondé sur la notion que nous faisons partie d’un système écologique plus large. Ceci me rappelle la déclaration de Barry Commoner [biologiste américain] : « Nous pouvons ici apprendre de la nature une leçon fondamentale : que rien ne peut survivre sur cette planète, à moins qu’il ne s’agisse d’une partie qui coopère à un ensemble mondial plus vaste. » »
Traduction de Yves Jardin, GT Prisonniers de l’AFPS
Signez la pétition pour la libération d’Ubai Aboudi