À peine sorti de prison, la question qui le taraude est de savoir com¬ment il va pouvoir continuer à lutter. Quelle forme doit prendre le combat contre la chape de plomb sécuritaire qui étouffe le peuple égyptien ? Cette énergie de la cause à défendre, c’est ce qui l’a fait tenir en prison, avoue Ramy Shaath qu’on rencontre un mois après son arrivée en France. Même si les prétextes de son incarcération étaient plus que fallacieux, voire fantaisistes, il sait pourquoi la sécurité d’État égyptienne s’en prend à lui ; son combat pour les droits de l’homme dérange. Le mouvement BDS qu’il incarne fait grincer les dents en hauts lieux. Connaître son ennemi aide à résister.
Cet esprit de résistance coule dans les veines de Ramy Shaath : il est le fils de Safaa Zeitoun, militante égyptienne et de Nabil Shaath, hiérarque du Fatah, compagnon de lutte de Yasser Arafat. La famille habite Beyrouth-ouest, non loin du quartier général de l’OLP, avant de fuir au Caire, en 1977, avec l’escalade de la guerre civile libanaise et des raids israéliens. « Cette enfance pendant la guerre, presque sans école, avec tant de morts et de sang, a façonné ma façon de voir les choses. Vivre l’invasion et l’occupation israélienne a laissé beaucoup de traces sur moi : je connais l’insécurité mais j’ai aussi vite compris l’injustice en constatant le silence du monde entier alors que nous étions seuls face aux Israéliens ».
Installé dans la capitale égyptienne, il y dirige avec son frère une entreprise de soft et hardware dédiée aux solutions de paiement pour les entreprises. En 2010, après des élections parlementaires contestées, il rejoint la coalition de militants égyptiens qui, en janvier 2011, organisera le soulèvement pro-démocratie qui sonnera le début des printemps arabes et le glas du règne de Moubarak. C’est pendant la guerre de Gaza de l’été 2014 que Ramy Shaath organise un convoi humanitaire des¬tiné à la bande sous blocus, une façon pour lui d’unir ses deux nationalités à travers un seul et même combat pour la justice internationale. « Mes premières années à Beyrouth m’ont fait réaliser les difficultés pour la cause palestinienne d’exister au sein du monde arabe. Le Liban a été laissé seul pendant cette période, non seulement par le reste du monde mais aussi par ses voisins. » Son combat pour l’autonomie des peuples et le respect du droit international s’incarne dans ses deux appartenances, au peuple égyptien et au peuple palestinien ; le mouvement BDS – une alternative populaire et non-violente - sera l’expression de ce syncrétisme des luttes.
Ni fusil, ni reddition
Quand on évoque son père, Ramy Shaath parle d’un rêve commun mais d’une approche politique différente. Question de générations. Les accords d’Oslo ont provoqué « le désenchantement des enfants [de ceux] de la première ligne du Fatah » comme il appelle les enfants des compagnons de lutte de Yasser Arafat. À partir de ce moment, le Fatah a selon lui commencé à abandonner sa vision, il a petit à petit perdu son statut de référent unique de la résistance palestinienne. « Oslo a détruit le Fatah et planté les graines de BDS », explique Ramy Shaath. « La vieille garde n’était plus dans le coup, elle ne proposait rien d’autre que d’entretenir un cycle de négociations sans fin, sans espoir ni direction. À côté de ça, le Hamas continuait de miser sur la résistance armée. L’occupation avançait, la mainmise israélienne s’élargissait aux ressources naturelles, à Jérusalem .Devant cette impasse, BDS incarne une troisième voie, une alternative à un processus de paix stérile sans fin, et à la lutte armée. Nous avons choisi le BDS et la résistance populaire, sans fusil ni reddition ».
Pour Ramy Shaath, le Moyen-Orient est enfermé depuis 70 ans dans un paradigme mortifère qui a atteint un nouveau sommet avec les récents accords de normalisation entre certains pays arabes et Israël : « La dualité de la gouvernance dans la région s’établit entre l’occupation israélienne et les dictatures arabes. L’une se nourrit des autres et vice-versa. Dictatures et occupation se mangent dans la main maintenant l’insécurité qui leur permet de continuer d’exister. J’ai décidé que pour le restant de mes jours, je combattrai les deux ».
Le droit international, rien que le droit international
Au-delà des déconvenues politiques, du désenchantement face à des élections mille fois promises, mille fois remises, l’esprit de résistance populaire des Palestiniens ne s’est jamais démenti : à Bi’lin, à Sheik Jarrah, à Silwan, à Nabi Saleh… Ramy Shaath multiplie les exemples de la constance, quelle qu’en soit la forme, dont font preuve les Palestiniens pour garder la tête haute face à l’occupation : « Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ce n’est pas un choix, les Palestiniens ne se lèvent pas le matin en se demandant si, aujourd’hui, ils vont combattre l’occupation israélienne ou pas. Ils n’ont pas le choix, ce combat fait partie de leur quotidien pour aller travailler, acheter à manger, aller à l’école, se faire soigner… » Quand on l’interroge sur la solution privilégiée par les militants de BDS pour l’avenir de la Palestine, Ramy Shaath s’anime : « Je refuse d’entrer dans cette discussion sur un État ou deux États qui revient à trouver une solution pour la puissance occupante pour que celle-ci nous réponde ensuite que cela ne lui convient pas. L’occupation et l’apartheid doivent cesser maintenant. Avec BDS, nous disons juste qu’il n’y a pas d’autre solution que celle qui consiste à faire respecter les droits des Palestiniens garantis par le droit international et il appartient à l’ensemble de la communauté internationale de prendre ses responsabilités ».
Jeunesse vibrante
Ramy Shaath ne croit pas à la politique qui enferme les peuples dans des alternatives qu’ils ne choisissent plus et dont ils ne cessent de payer le prix au nom de la lutte contre le terrorisme. Tout en saluant les actions du gouvernement français pour sa libération, il n’oublie pas les contrats d’armement signés avec Le Caire. Il rappelle que l’Europe « saigne encore » d’avoir été la victime des deux grands totalitarismes du XXe siècle. Et note que l’extrémisme est une de ces plaies virulentes qui ne se referme pas. Il sourit avec lassitude à l’évocation de son appartenance supposée aux Frères Musulmans qui émaille notamment la presse israélienne depuis sa libération. La religion n’a rien à voir là-dedans, le repli extrémiste et identitaire serait plutôt une alternative facile, parfois désespérée, pour oublier la déception face à un modèle politique irréformable.
Ramy Shaath croit à la justice internationale, au partage de valeurs communes, celles de la liberté d’expression et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il loue la jeunesse vibrante de Palestine et d’ailleurs, qui peut s’emparer de cette troisième voie entre régime vicié et oppression. « Les Palestiniens ne croient plus ni au Fatah, ni au Hamas. Il y a un espace laissé vide pour quelque chose de nouveau ».
Les députés arabes israéliens représentent-ils cette troisième voie ? Peut-être mais en rejoignant la Knesset, ils pénètrent un système politique israélien rongé lui aussi par l’extrémisme. Les voix d’une future alternative politique sont-elles en prison ? « Sûrement, beaucoup des leaders de demain comme Marwan Barghouti sont empêchés de s’exprimer et de participer à la vie politique, à la fois par l’Autorité palestinienne et par les Israéliens. Mais je pense que nous ne connaissons pas encore tous les autres, plus nombreux, qui incarnent une Palestine jeune et vibrante."
Emmanuelle Morau
>> Cet article fait partie du n°80 de notre revue trimestrielle Palestine-Solidarité ou "PalSol".
Abonnez-vous pour seulement 9€ par an en cliquant ici !