Le régime d’apartheid qui s’est mis en place en 1948 après l’arrivée au pouvoir du Parti national, faisait suite à 350 ans de colonisation et n’a fait que renforcer l’oppression multiforme de la population noire au profit de la population blanche en l’inscrivant dans la loi. Tout contrevenant aux lois de l’apartheid qui séparaient la population selon des critères raciaux était soumis à une amende ou une peine de prison. L’application de ces lois aboutira au déplacement forcé de plus de 3 millions de personnes et à la création des bantoustans, où la population était parquée sur les terres les plus arides, sans aucune infrastructure. La loi sur la suppression du communisme avait comme but politique de briser toute opposition au régime. Toute tentative de critique du système, ou toute simple revendication était qualifiée de « communiste » et pouvait coûter la prison, le bagne ou la peine de mort par pendaison.
Tout ce dispositif législatif avait un but précis : exploiter la population noire pour le plus grand profit de la population blanche. Dès les années 1860, les compagnies minières avaient mis au point le système du travail migrant qui leur permettait d’assurer une rentabilité maximum en dépensant le moins possible. Cecil Rhodes, incarnation de la main mise sur les richesses minières du pays, avait fait voter la loi Glen Grey Act qui donnait un cadre légal au travail migrant. En 1912 les premières lois sur la terre qui dépossédaient les populations rurales de leurs terres et de leurs troupeaux livrent ces populations aux patrons des mines et des grandes exploitations agricoles. Racisme et capitalisme forment un couple indissociable.
1948-1990 : contexte de la guerre froide
Le régime d’apartheid se voulait un rempart contre le communisme et pour la défense du monde « libre », affirmation qui lui vaudra le soutien de toutes les puissances occidentales. Le danger « communiste » sur le continent africain n’était pas faux puisque des pays accédant à l’indépendance à partir des années 1960 affichaient ouvertement des principes marxistes-léninistes. Cette guerre froide menée sur le continent africain fera des milliers de morts dans des guerres fratricides qui ruineront leurs possibilités de développement.
Isoler le régime d’apartheid
Isoler le régime d’apartheid était l’un des quatre piliers de la stratégie élaborée par le mouvement de libération, avec la lutte clandestine, la lutte armée et la lutte de masse à l’intérieur du pays. L’objectif était d’affaiblir le régime au plan économique, de l’isoler au plan politique, de l’atteindre dans sa fierté nationale en le bannissant des échanges sportifs et culturels pour l’amener à négocier avec ceux qui se battaient pour que « l’Afrique du Sud appartienne à tous ceux qui y vivent, Noirs et Blancs ».
Dès les années 1950, le chef Albert Luthuli, alors président de l’ANC, avait lancé un appel aux pays occidentaux partenaires économiques et financiers du régime d’apartheid, pour qu’ils rompent leurs relations avec ce régime. Un peu plus tard, Oliver Tambo, l’architecte de la solidarité internationale pour le mouvement de libération avait balayé tous les arguments avancés pour ne pas appliquer les sanctions avec cette formule percutante « Ce ne sont pas les sanctions qui nous tuent, c’est l’apartheid ».
Les déclarations et résolutions de l’Organisation des Nations unies et l’adoption en 1973 de la Convention internationale pour l’élimination et la répression du crime d’apartheid apportèrent un appui considérable aux mouvements anti-apartheid pour demander à leurs gouvernements respectifs l’application des sanctions globales et obligatoires, surtout à ceux qui s’opposaient ou s’abstenaient lors du vote pour l’adoption de ces résolutions, comme les États-Unis, la Grande Bretagne et la France.
L’embargo sur les armes, munitions et matériels sensibles deviendra obligatoire après le massacre de Soweto en 1976. Il faudra toute l’énergie des mouvements anti-apartheid pour exiger le respect de cet embargo en particulier en France où les relations militaires avec l’Afrique du Sud étaient solides. Cette même année, la France signait un contrat pour la construction de la centrale atomique de Koeberg.
Quand les protestations contre cette collaboration deviendront trop fortes, la France votera finalement en faveur de l’embargo international. Mais l’Afrique du Sud avait acquis suffisamment de matériel et de savoir-faire pour son armée, et pouvait compter sur Israël ; la collaboration militaire entre les deux pays fut scellée par la visite de Moshe Dayan en 1974, suivie d’un accord de collaboration nucléaire en 1976 et d’un essai nucléaire dans l’Océan Indien en 1977.
Isoler le régime d’apartheid, cet ambitieux projet ne sera atteint qu’après des années de luttes du peuple sud-africain soutenu par les gouvernements des pays scandinaves, les pays du bloc communiste et les campagnes des mouvements anti-apartheid qui réussiront à susciter un mouvement de solidarité à l’échelle de la planète. C’est la chute du mur de Berlin en novembre 1989 qui donnera le coup de grâce à un régime criminel qui n’avait plus de raison d’être.
Jacqueline Dérens, ancienne militante anti-apartheid
Bibliographie
« Nous avons combattu l’apartheid », Éd. Non Lieu, 2006
« Dulcie September, une vie pour la liberté », Éd. Non Lieu, 2013
« Femmes d’Afrique du Sud, une histoire de résistance », Éd. Non Lieu, 2019