Les Palestiniens de Jérusalem-Est se trouvent dans un groupe juridique distinct de celui des autres Palestiniens. Ils sont dans une partie géographique de la Palestine qu’Israël considère illégalement comme son territoire. Néanmoins, ils ne bénéficient pas de la citoyenneté israélienne, ni de services comme les colons juifs israéliens qui s’installent illégalement sur leurs terres. Au lieu de cela, ils sont soumis à l’aggravation et à l’intensification des politiques et des actions israéliennes qui visent à des déplacements forcés et à assurer la domination juive israélienne à Jérusalem.
Depuis 1967, les Palestiniens de Jérusalem-Est bénéficient d’un statut de « résidents permanents ». Mais les mots sont trompeurs, puisqu’au lieu d’avoir le droit de vivre à Jérusalem, ce statut est révocable. Ainsi, les habitants de Jérusalem peuvent perdre leur statut de résident s’ils déplacent leur « centre de vie » en dehors d’Israël ou de Jérusalem-Est, pour une période supérieure à sept ans. Si bien que les Palestiniens de Jérusalem- Est ne peuvent pas résider en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza. Évidemment, cette politique a des conséquences sur la manière dont les détenteurs d’une carte d’identité de Jérusalem peuvent jouir de leurs droits à la résidence, à l’éducation, au travail, ou au rassemblement familial. La politique de révocation de la résidence a été l’un des outils les plus directs pour chasser les Palestiniens de Jérusalem. Entre 1967 et 2017, Israël a révoqué le statut de résident de plus de 14 500 Palestiniens de Jérusalem.
Les Palestiniens de Jérusalem-Est sont illégalement soumis aux politiques israéliennes discriminatoires de planification et de zonage, qui n’allouent que 13 % des terres à la construction palestinienne, alors qu’elles étaient déjà densément peuplées en 1967. En 2015, seuls 7 % des permis de construire ont été accordés aux Palestiniens de Jérusalem-Est. Ainsi, ils n’ont d’autre choix que de construire sans permis, au risque de voir leurs maisons démolies.
Ce ne sont là que deux exemples de la manière dont les Palestiniens de Jérusalem sont soumis à un environnement coercitif, caractérisé par la paralysie de leur économie, l’expansion des colonies, le mur d’annexion qui les sépare les uns des autres et des Palestiniens de Cisjordanie, la violence des colons protégés par les forces d’occupation israéliennes (OIF), une militarisation et une surveillance vigoureuse, des expulsions forcées systématiques et à grande échelle menées par les organisations de colons, et des attaques contre les défenseurs des droits de l’homme et les biens culturels et religieux.
Le peuple palestinien dans son ensemble, qu’il s’agisse des réfugiés ou d’exilés, de citoyens palestiniens d’Israël, de Palestiniens de Jérusalem, ou de Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza, subit quotidiennement le régime institutionnalisé de domination et d’oppression raciale d’Israël. En fait, la fragmentation est la méthode clé par laquelle Israël a établi et continue de maintenir son régime d’apartheid.
Par exemple, les réfugiés palestiniens et les personnes déplacées à l’intérieur du pays, que ce soit dans la Palestine historique ou à l’étranger, et les exilés font l’expérience du régime d’apartheid israélien par le refus arbitraire de leur droit inaliénable de retourner dans leurs maisons et leurs biens, alors que les Juifs jouissent du droit exclusif d’entrer en Israël et de se voir accorder automatiquement la citoyenneté israélienne dès leur arrivée. Ce traitement discriminatoire est autorisé par les fondements juridiques discriminatoires d’Israël, qui constituent la base légale sur laquelle Israël il met en œuvre ses politiques et pratiques d’apartheid.
La fragmentation est encore plus évidente dans les restrictions systématiques de la liberté de mouvement, de résidence et du droit au regroupement familial. Que ce soit par le blocus de la bande de Gaza, ou par le mur d’annexion qui longe illégalement la Cisjordanie, y compris à l’intérieur et autour de Jérusalem-Est, et par le régime de permis ou celui des points de contrôle et d’autres barrières physiques. Outre le rôle de ces politiques de restriction des déplacements pour dénier les droits des Palestiniens, ces mesures ont pour but que les Palestiniens de différentes zones géographiques ne puissent pas se rencontrer, ce qui réduit leur possibilité de combattre le régime d’apartheid et leur capacité à exercer leurs droits inaliénables en tant que peuple et en tant qu’individus.
Il est important de noter que l’apartheid n’est qu’un symptôme du régime colonial israélien. Israël s’est établi avec le projet de faire partir le peuple palestinien indigène, de contrôler ses terres et de le remplacer par une communauté de colons. Les outils discriminatoires utilisés sont là pour mettre en œuvre cet objectif de colonisation. La deuxième méthode pratiquée par Israël est la création d’environnements coercitifs. Les Palestiniens des deux côtés de la ligne verte ont été soumis à une planification et à un zonage discriminatoires, à des démolitions illégales de maisons, à des expulsions forcées, à une politique de révocation de résidence, à un refus d’accès aux ressources naturelles et à la violence des colons, tous ces éléments étant destinés à provoquer leur déplacement pour permettre le maintien et l’expansion des colonies.
Les dernières semaines illustrent-elles cette situation d’apartheid ?
L’étincelle des confrontations de masse qui se sont produites à travers la Palestine historique est partie de Jérusalem et de Sheikh Jarrah en particulier. L’histoire de Sheikh Jarrah illustre bien le régime d’apartheid israélien. Les 28 familles palestiniennes qui résident à Sheikh Jarrah et qui risquent aujourd’hui d’être déplacées de force sont des réfugiés à qui l’on a refusé le droit de retourner dans leurs maisons et retrouver leurs biens qui se trouvent à quelques kilomètres. Le déni de leur droit au retour et l’appropriation de leurs biens d’origine ont été facilités par les lois discriminatoires d’Israël, qui constituent le fondement de son régime d’apartheid.
La création d’un environnement coercitif comme outil de maintien du régime d’apartheid est évidente dans la façon dont les résidents de Sheikh Jarrah sont confrontés des menaces d’expulsion par le biais de lois et de politiques discriminatoires. Une des lois qui permet de menacer Sheikh Jarrah est une loi israélienne de 1970 qui s’applique illégalement à Jérusalem- Est occupée, discriminatoire dans sa nature, puisqu’elle permet exclusivement aux Juifs israéliens de revendiquer des terres et des propriétés qui auraient appartenu à des Juifs à Jérusalem- Est avant 1948. Alors que les Palestiniens n’ont pas les mêmes droits en retour. Preuve d’un fonctionnement discriminatoire de lois israéliennes pour appliquer son régime d’apartheid.
Enfin, un élément du crime d’apartheid est de prouver l’intention de maintenir ce régime. Cela semble clair dans la manière dont Israël réprime systématiquement l’opposition et la résistance palestiniennes. La campagne pour sauver Sheikh Jarrah, qui a suscité la solidarité palestinienne et internationale, a été brutalement réprimée par Israël.
Les forces israéliennes de sécurité ont réprimé et attaqué des manifestants pacifiques à Jérusalem et dans toute la Palestine historique en faisant un usage excessif de la force, en utilisant des balles réelles et des balles enrobées de caoutchouc, et en dispersant les manifestants avec de « l’eau de putois » [1], des bombes lacrymogènes et des bombes assourdissantes. Dans le cadre de sa politique de punition collective, Israël a lancé une campagne systématique d’arrestations arbitraires contre des Palestiniens dans toute la Palestine historique, y compris contre des défenseurs des droits humains et des journalistes. Les anciens détenus sont placés en résidence surveillée ou sont expulsés de leurs habitations, ou reçoivent des amendes. Dans certains cas, les autorités d’occupation israéliennes ont coupé l’assurance maladie des Palestiniens de Jérusalem, y compris des détenus actuels et anciens. Elles ont également eu recours à des blocages et des couvre-feux dans des villes et des quartiers entiers. Depuis le 7 mai 2021, les forces de l’ordre ont complètement fermé les entrées du quartier de Sheikh Jarrah, n’autorisant que les résidents palestiniens à y entrer.
La violence des colons est également une manifestation de la manière dont Israël maintient son régime d’apartheid. Alors que toutes les politiques de répression israéliennes mentionnées ici sont dirigées contre les manifestants pacifiques palestiniens, des colons juifs armés se promènent en tuant, attaquant et intimidant des Palestiniens. Ils se font de plus en plus violents dans leurs discours racistes et d’incitation à la haine raciale, comme en témoignent les manifestations de masse appelant à la « mort des Arabes ». Non seulement l’OIF n’empêche pas ces attaques, mais dans de nombreux cas, les colons sont accompagnés par l’OIF, ce qui revient à soutenir activement ou passivement ces attaques.
Malgré toutes ces politiques de répression, le peuple palestinien continue de résister et de revendiquer ses droits inaliénables. Aujourd’hui, la politique de fragmentation d’Israël, par laquelle il maintient son régime d’apartheid, s’estompe face à l’unité du peuple palestinien, qui s’élève contre ce régime.
Aseel AlBajeh* (traduction de l’anglais par MS)
*Chercheuse juridique, responsable de plaidoyer à Al-Haq. Titulaire d’un LL.M. en droit international des droits de l’homme du Centre irlandais des droits de l’homme de l’Université nationale d’Irlande à Galway. En plus de recherches universitaires sur la justice transitionnelle et la décolonisation en Palestine, elle écrit des articles d’opinion pour différents médias.