L’élan de solidarité avec la lutte palestinienne après le massacre – retransmis à la télévision – d’Israël à Gaza et les atrocités commises à Jérusalem et dans toute la Palestine historique l’été dernier a été particulièrement important. La solidarité du mouvement citoyen pour la justice sociale et raciale, dont le Movement for Black Lives et le Sunrise Movement aux États-Unis, indique que le silence et le fait de se ranger du côté de l’oppresseur pour se soustraire au devoir de lutter contre l’oppression sont devenus éthiquement intenables. Un sondage YouGov de l’été dernier a montré la chute de la popularité d’Israël dans l’opinion publique européenne, y compris en Allemagne et en France.
L’évolution du discours sur la Palestine, qui analyse le régime d’occupation militaire, de colonialisme et d’apartheid d’Israël, est lié à plusieurs facteurs, dont le premier est le travail inlassable du mouvement mondial Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) dirigé par les Palestiniens, qui a semé des graines et les a nourries au fil des ans.
Les craintes israéliennes
Reconnaissant cette tendance croissante de la solidarité pour les droits des Palestiniens, le ministre israélien des Affaires étrangères Yair Lapid a résumé la préoccupation de son gouvernement en disant : « Qualifier Israël d’État d’apartheid a été une tendance rampante pendant très longtemps, et en 2022, ce sera une menace réelle. » En effet, Israël a été désigné comme un État d’apartheid par Amnesty International, et, avant elle, par Human Rights Watch et par la principale organisation israélienne de défense des droits de l’homme, B’Tselem, sans parler de nombreux défenseurs des droits de l’homme palestiniens, sud-africains et internationaux. Il y a quelques jours, un ex-procureur général israélien a écrit : « Vous ne pouvez tout simplement pas être une démocratie libérale si vous pratiquez l’apartheid sur un autre peuple…, car la société israélienne tout entière est complice de cette injustice. »
Le gouvernement israélien, qui considère BDS comme une « menace stratégique » depuis 2014, estime désormais, à juste titre, que BDS est le facteur clé de cette reconnaissance croissante de l’apartheid israélien. En janvier 2022, il a approuvé l’attribution de « ressources supplémentaires à la lutte contre BDS. » La guerre d’Israël contre BDS inclut une propagande accrue, une guerre juridique, et l’utilisation des services de renseignement pour espionner le mouvement et ses réseaux et les « saboter ».
BDS
Le mouvement non-violent BDS, qui s’inspire de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud et du mouvement des droits civiques aux États-Unis, a été lancé en 2005 par la plus large coalition de la société palestinienne. Il appelle à mettre fin à l’occupation israélienne de 1967, à défendre le droit des réfugiés palestiniens à retourner sur leurs terres et à mettre fin au système institutionnalisé et légalisé de domination raciale d’Israël, qui correspond à la définition de l’apartheid des Nations unies.
Ancré dans la Déclaration universelle des droits de l’Humain, le mouvement BDS s’est constamment opposé à toutes les formes de racisme et de discrimination, y compris le racisme anti-Noir et anti-indigène, au sexisme, l’homophobie et la transphobie, l’islamophobie et l’antisémitisme. L’identité ne devrait jamais diminuer ou restreindre le droit. Notre mouvement vise donc la complicité et non l’identité.
Un nombre croissant de partisans anticolonialiste juifs-israéliens du BDS jouent un rôle important en dénonçant le régime d’oppression d’Israël et en plaidant pour son isolement. Aux États-Unis, un sondage réalisé il y a quelques jours montre que 16 % des Américains juifs soutiennent BDS. Un autre sondage de l’année dernière a montré que 25 % des Américains juifs pensent qu’Israël est un État d’apartheid. Ils comprennent qu’il n’y a rien de juif dans le siège, le nettoyage ethnique, les mas¬sacres, le vol de terres et l’apartheid d’Israël, et qu’il n’y a donc rien d’anti-juif à soutenir le BDS pour mettre fin à ces crimes. Ils sont d’accord avec de nombreux groupes juifs progressistes dans le monde entier pour dire que le démantèlement de l’antisémitisme doit être « [situé] dans le cadre de la lutte plus large contre toutes les formes de racisme et d’oppression ».
Israël est devenu un modèle pour les dirigeants d’extrême-droite, xénophobes et autoritaires du monde entier, ce qui a entraîné un nouveau déclin de sa popularité mondiale. En revanche, le mouvement BDS appartient à la vague progressiste intersectionnelle qui combat les forces du fascisme, de la xénophobie et du néolibéralisme sauvage, rejoignant les luttes autochtones, raciales, économiques, de genre, climatiques et de justice sociale.
Israël mène une guerre de répression totale contre BDS, en partie à cause de son rôle de premier plan dans l’intégration de l’analyse de l’apartheid d’Israël. Mais le facteur le plus important est peut-être que BDS a radicalement redéfini la solidarité avec la lutte de libération palestinienne comme une obligation éthique de mettre fin à la complicité, avant toutes les autres formes de solidarité.
La solidarité avec la Palestine
L’été dernier, cette solidarité a atteint même le Congrès américain. La représentante Alexandria Ocasio-Cortez a tweeté : « Les États d’apartheid ne sont pas des démocraties », tandis que la représentante Cori Bush est allée plus loin, en relevant la principale demande palestinienne pour le définancement de l’apartheid israélien : « La lutte pour les vies noires et la lutte pour la libération palestinienne sont interconnectées. Nous nous opposons à ce que notre argent serve à financer des opérations de police militarisées, l’occupation et des systèmes d’oppression violente et de traumatisme. … nous sommes anti-apartheid. Un point c’est tout ».
De grandes personnalités des réseaux de télévision, dont Ali Velshi de MSNBC et John Oliver de HBO, des icônes de la musique, comme John Legend et Snoop Dogg, des athlètes vedettes dans les clubs de football britanniques et des célébrités de Hollywood, ont toutes exprimé leur solidarité plus fort qu’avant, certaines d’entre elles tweetant la fameuse carte de la Palestine en voie de disparition sous le colonialisme de peuplement progressif.
Les syndicats de dockers à Oakland, en Californie, à Durban, en Afrique du Sud, en Italie ont refusé ou commencé à s’organiser pour refuser la manutention des navires israéliens.
Aujourd’hui, plus que jamais, les Palestiniens disent au monde que la véritable solidarité avec notre lutte pour la liberté, la justice et l’égalité passe par le BDS. Vous appeler à soutenir BDS, à mettre fin à la complicité, à ne pas nuire, est un appel à remplir une obligation morale pour les trois raisons suivantes :
– Comme l’a dit Angela Davis, la justice est indivisible.
– Israël ne se contente pas de priver les Palestiniens de leurs droits fondamentaux, il constitue aussi une menace pour la paix et la justice dans de nombreux pays. Il « teste » sur nous ses technologies et doctrines militaires et sécuritaires, ses logiciels d’espions, comme Pegasus, puis les vend au monde, permettant des crimes contre l’humanité au Rwanda, en Inde, au Brésil, au Myanmar, au Sud-Soudan, en Colombie, entre autres, soutenant des dictatures et des régimes autoritaires qui persécutent – et parfois tuent – des militants des droits de l’homme, des figures de l’opposition, des journalistes, des féministes, des activistes queers, etc. en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis, au Maroc, entre autres.
– Dans une société plus ou moins démocratique comme la France, la complicité bien documentée de votre gouvernement, des entreprises et des institutions dans l’apartheid israélien implique une responsabilité morale d’agir pour arrêter cette complicité.
Pour mettre fin à cette complicité, nous comptons sur vous pour faire pression sur les institutions académiques et culturelles, les conseils municipaux et les fonds de pension afin qu’ils désinvestissent – et excluent des contrats – les entreprises qui sont complices des violations des droits de l’homme, y compris celles perpétrées par le régime d’apartheid et de colonialisme d’Israël. AXA, CAF, PUMA, Alstom, Allied Universal/G4S, et l’ensemble de la base de données de l’ONU sur les entreprises impliquées dans les colonies illégales d’Israël.
Nous comptons aussi sur vous, pour plaider pour la condamnation d’Israël non seulement comme régime colonial de peuplement mais aussi comme régime d’apartheid qui devrait faire l’objet d’une enquête, y compris par les États-Unis, et, par conséquent, pour agir en faveur de sanctions légales et ciblées à son encontre, en commençant par la fin de tout commerce d’armes, de sécurité et de recherche.
Nous devons résister à l’intimidation liée à la définition frauduleuse et anti-palestinienne de l’antisémitisme de l’IHRA, conçue pour faire taire les défenseurs des droits des Palestiniens. Alors que l’antisémitisme, qui s’exprime par le racisme, la haine et la discrimination contre des juifs parce qu’ils sont juifs, est en hausse, tout comme d’autres formes de racisme, en particulier l’islamophobie, le régime d’apartheid israélien et ses alliés anti-palestiniens font intentionnellement l’amalgame entre l’opposition à l’oppression israélienne et la haine anti-juive, et utilisent des dénonciations infondées d’antisémitisme pour nous pousser à une posture défensive.
Face à de telles calomnies et intimidations, nous avons besoin d’organisations comme le Centre européen de soutien juridique pour défendre notre droit à la liberté d’expression et contre la répression antidémocratique. Mais nous devons aussi être vigilants pour que notre mouvement soit libre de toute forme de racisme, y compris d’antisémitisme. Dans tous les cas, nous ne devrions pas tomber dans un piège défensif, mais plutôt développer nos campagnes BDS partout, en intégrant nos revendications et en augmentant notre impact sur les politiques à tous les niveaux.
Conclusion
Les Palestiniens de Jérusalem, de Gaza, d’Al-Naqab, d’Akka, de Jaffa, de Naplouse, d’Al-Khalil, de Haïfa, d’Al-Lydd et d’ailleurs brisent chaque jour notre mur de la peur. Nous résistons à l’oppression et à l’asservissement et insistons sur l’émancipation. Pourtant, nous ne pouvons pas y arriver seuls. Nous avons besoin d’un regain de solidarité courageuse qui puisse mettre fin à toute complicité avec le régime d’oppression d’Israël et soutenir notre marche vers la liberté, la justice et l’égalité.
Omar Barghouti
>> Cet article fait partie du n°80 de notre revue trimestrielle Palestine-Solidarité ou "PalSol".
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