Il est difficile de décrire notre vie à Gaza ! Difficile de transmettre la vraie image de Gaza. Sa beauté et sa misère.
Petite j’attendais avec impatience de grandir pour pouvoir franchir la barrière, pouvoir voyager, pouvoir simplement voir le monde. Mais j’ai découvert qu’à Gaza, nous n’avons pas le droit de circuler librement. C’est la réalité pour 95 % des Gazaouis qui n’ont jamais eu la possibilité de sortir de Gaza.
Dans la bande de Gaza, il n’y a pas d’aéroport. Les sorties se font par deux passages ; celui de Rafah, côté égyptien et celui d’Eretz, côté de l’occupation israélienne.
Mais ces deux portes ne sont pas suffisantes, pour la simple raison que nous devons obtenir un permis de l’Égypte ou de l’occupation. Et cela peut prendre d’un à trois mois dans les meilleures- conditions de stabilité, et entre trois à six mois quand les conditions sont explosives. Donc, chers amis, difficile d’essayer de venir nous visiter dans ces conditions !
Enfin, lorsque vous avez la permission, cela ne suffit encore pas pour être traité avec humanité !
Simplement parce que les conditions de transit sont révoltantes. Voici mon expérience - même si je n’aime pas ce souvenir -, il y a deux ans, ma mère et moi avons fait une demande pour aller à Dubaï chez mon frère, que nous n’avions pas vu depuis dix ans :
Nous avons attendu six mois avant – par bonheur – de décrocher notre permission. Levées à 5 heures du matin, nous arrivons au passage de Rafah vers 7 heures. Il a fallu attendre 14 heures pour terminer les procédures administratives dans une pièce sale. Mais, Palestinien, vous apprenez à devenir extrêmement patient.
Puis nous avons pu nous diriger vers l’aéroport égyptien. Mais attendez, le trajet n’a pas encore commencé ! De 14 heures à 23 heures nous sommes restées dans un taxi avec une cinquantaine d’autres, pour passer 5 check-points. À chacun, on a fouillé nos valises directement sur le sol… Mais finalement, nous sommes arrivées à l’aéroport pour commencer le voyage.
Ainsi, en tant que Gazaoui, vous avez besoin de plus de 16 heures, simplement pour arriver à l’aéroport. Et encore, certaines fois, il faut une journée supplémentaire.
Restez en alerte, vous risquez de perdre votre tour ! Et maintenant, que veulent dire 8 heures d’électricité pour vous ? C’est une nouvelle expression qu’il faudrait ajouter aux dictionnaires pour remplacer 24 heures/24 !
À Gaza, depuis 14 ans – date du début du blocus de la bande de Gaza – nous vivons et nous adaptons nos journées à ces 8 heures d’électricité. Ce qui est drôle, c’est que nous avons un programme horaire en fonction de l’électricité dans chaque région de Gaza. C’est ironique la façon dont on modifie la vie de plus de deux millions de personnes, simplement parce que le monde ne bouge pas pour briser ce blocus.
Reprenons le sujet. Puisque nous n’avons au mieux que 8 heures d’électricité, le reste de la journée, nous nous servons de générateurs, de batteries… Et ceux qui n’en ont pas les moyens utilisent des bougies, ce qui provoque des incendies et des morts dans ces familles pauvres.
Le moment où revient l’électricité est à la fois drôle et triste. Amusant de voir toutes les familles, tout un quartier, courir en tous sens pour charger les appareils, faire la lessive, utiliser internet, regarder la TV.
Je suis triste quand j’entends mes neveux de 3 – 4 ans réclamant de regarder leur dessin animé en criant : « l’électricité est venue, allume-moi la télé ». Ils sont trop petits pour vivre ces problèmes et cette tristesse. Ou lorsque maman court en criant « allez charger vos téléphones ; il faut faire la lessive ; allumez le ventilateur, il fait tellement chaud ! »
C’est tellement frustrant lorsque l’électricité se coupe pendant une leçon, ou une formation en ligne. Ou lorsqu’un grand hôpital déclare qu’il ne peut plus recevoir de malades puisqu’il n’a plus de courant pour faire fonctionner les appareils !
C’est affligeant qu’en 2021 on ne puisse pas progresser à cause de l’occupation, sans pouvoir agir ! Lorsque nous voulons rendre visite à nos amis, nous ne leur demandons pas s’ils sont libres, mais s’ils ont de l’électricité… Peut-être que nous venons du futur et que vous êtes encore au passé… Qui sait ? La vie sans électricité est difficile. Mais nous persévérons pour garder une flamme en nous.
Vous aimez les films d’action ? Venez à Gaza ! Petit coin isolé du monde où il y a régulièrement une agression ! Quand nous réclamons nos droits, nous sommes bombardés. Si nous réclamons notre liberté sur notre terre, nous sommes bombardés. Si nous défendons nos maisons, nos familles, notre vie, nous serons bombardés !
C’est une armée monstrueuse composée de navires de guerre, d’avions de guerre, de chars, équipée de bombes au phosphore qui assiège depuis plus de 14 ans une population.
À chaque agression, plus de mille familles perdent des proches, leur maison, leurs souvenirs et parfois leur vie.
Durant chaque agression, des familles sont simplement effacées du monde comme si elles n’avaient jamais existé. Cela est douloureux d’avoir le sentiment que nous sommes des numéros – effacés – sans que ce monde s’en soucie.
Décrire une scène pendant l’agression ? Pouvez-vous comprendre- ce que l’on ressent ? Je ne vous souhaite pas de le vivre.
L’agression commence soudainement. Nous entendons simplement des bombes ici et là-bas, arbitrairement. Des avions militaires et des drones couvrent notre ciel, des chars entourent le voisinage, sans oublier les navires qui remplissent notre mer !
Lorsque les bombardements commencent, la première chose à faire est de préparer nos sacs à dos au cas où notre maison serait bombardée sans raison, ou la maison d’à côté. Dedans, nous mettons nos papiers essentiels, nos mobiles, quelques vêtements, dans la peur. Les petits nous font sourire lorsqu’ils préparent leurs petits sacs en y mettant leurs jouets. Puis nous nous enfuyons de notre maison, en laissant derrière nos souvenirs.
Quel drame d’être tuée de sang-froid.
Pendant l’agression, nous nous regroupons chaque nuit. Pourquoi la nuit ? Parce que l’armée de l’occupation bombarde particulièrement pendant la nuit. Ils sont inhumains et barbares au point de choisir la nuit pour nous priver de sommeil.
Imaginez avec moi, toute la famille rassemblée dans une pièce, avec nos sacs, attendant notre tour d’être bombardés. À chaque bombe je sens mon cœur se déchirer, je sens que la bombe me fait défaillir. Oui nous sommes Palestiniens, nous sommes nés en criant résistance, nous sommes debout, nous vivons la peur quotidiennement, mais nous sommes malgré tous Humains ! Et nous savons bien ce que veut dire le mot « MORT », ce que veut dire le mot « PERDRE ». Perdre ta famille, qui t’entoure, de façon à mourir ensemble !
Et quand nous voulons essayer de dormir, nous désignons un membre qui veillera afin qu’il nous alerte au cas où les bombardements se rapprocheraient !
Durant l’agression, les familles vivant près de la frontière, ou là où de façon arbitraire les bombardements sont plus intensifs, vont se réfugier dans les écoles dans des conditions incertaines.
Durant l’agression, des tours, des centres commerciaux, des usines, des jardins, des mosquées, des libraires sont anéantis comme des biscuits !
Durant l’agression, des enfants jouant dans la rue sont pris pour cible, des taxis civils sont ciblés, des mamans, des vieillards- sont ciblés, lors de la dernière agression un oiseau a été aussi pris pour cible !
Aucun mot ne peut décrire l’agression !
Vivre dans une prison à ciel ouvert, c’est la façon de définir la vie à Gaza. Mais être isolés pour cause de Coronavirus devient une catastrophe pour les Gazaouis !
Nous sommes experts en blocus. Nous pouvons apprendre au monde comment s’adapter au confinement ! Mais cette prison dans la prison, c’était infernal à tolérer pour les Gazaouis, même si nous nous sommes adaptés, comme toujours !
Ainsi, le début de l’infection au Coronavirus a d’abord été difficile sur le plan moral, avant d’être difficile par d’autres aspects.
Moralement parce que nous souffrons déjà du cancer de l’occupation et quand un malade cancéreux est atteint du Coronavirus, le résultat est une mort absolue !
À Gaza, au début de la pandémie, nous n’avions pas de centre d’examen clinique ni de médicaments, ni de respirateurs, puisque l’occupant refusait de faire entrer quoi que ce soit. C’était difficile de savoir si quelqu’un avait la grippe ou le Corona. Donc, nous nous sommes confinés sans être préparés à l’enseignement en ligne, au travail en ligne, au traitement des cas, sans lieux équipés pour les situations d’infection. Tout était obscur, nous ne savions rien.
Les enfants ont stoppé leur scolarité quelques mois. Les employés ont arrêté de travailler, beaucoup des Gazaouis ont perdu leur travail, la situation économique et sanitaire est devenue de pire en pire. Après quelques mois de confinement et après que l’occupation a permis de laisser entrer quelques équipements nécessaires, finalement un seul centre d’examen clinique a pu ouvrir – il a été bombardé, mais heureusement il a été reconstruit –, peu à peu le travail et l’enseignement reviennent trois jours par semaine et le reste en ligne. Les Gazaouis sont devenus plus alertes, même si nous avons été les derniers à recevoir le vaccin contre le virus. Maintenant, une majorité est vaccinée.
Mais la pandémie n’en finit pas. La situation économique est pire qu’avant, nous souffrons du taux de chômage le plus élevé au monde, les agressions nous entourent de tous côtés, le blocus est quotidien dans nos vies.
Et en dépit de tout cela, nous survivons toujours ! Nous arrachons la vie à l’intérieur de la misère. Nous savons très bien comment exprimer notre joie, nous trouvons une solution pour chaque problème que nous devons affronter. Nous tricotons la joie par nos pleurs.
Gaza est une belle ville et ses habitants sont des héros.
Si vous voulez sentir le vrai sens de la vie, apprendre comment- vivre et comment aimer la vie, venez à Gaza, vous serez les bienvenus !