En 2005, Israël s’est retiré de la bande de Gaza et impose un blocus sur l’ensemble du territoire, renforcé depuis l’arrivée au pouvoir du Hamas en 2007. Y a-t-il eu des changements dans les politiques israéliennes depuis 2005 ?
G. L. : Malheureusement c’est toujours la même chose, peu importe qu’il s’agisse d’un gouvernement de droite ou de gauche. En réalité, la politique israélienne visant à séparer Gaza de la Cisjordanie remonte aux années 1990, avec les premières fermetures des voies de communication. L’objectif était, déjà, d’isoler Gaza de la Cisjordanie afin d’empêcher la viabilité d’un État palestinien. Et cette politique continue, renforcée aujourd’hui par un blocus cruel, illégal et inhumain. Aucun gouvernement n’a manifesté le souhait de lever ce blocus.
Récemment, le ministre israélien des Affaires étrangères, Yaïr Lapid, a dit être prêt à discuter d’un plan de « paix économique » avec la bande de Gaza afin de faciliter la reconstruction du territoire et, en retour, de permettre aux Israéliens de vivre en sécurité. Que vaut cette promesse ?
G. L. : Il ne faut pas la prendre au sérieux, ce sont des mots vides. Lapid veut satisfaire son électorat, sa base politique en faisant croire qu’il essaie de faire bouger les choses, alors qu’il ne fait rien. La levée du blocus est une étape indépassable avant toute discussion de paix. D’abord la liberté, ensuite pourquoi pas les discussions économiques et les échanges entre les territoires. Tant de fois les Israéliens ont fait de fausses promesses aux Palestiniens ou des propositions auxquelles ils ne croyaient même pas eux-mêmes. L’économie ne peut pas remplacer les droits politiques. Les dirigeants israéliens ne comprennent pas qu’il ne s’agit pas seulement d’accès à l’eau potable, à une nourriture diversifiée mais à la dignité. Les Gazaouis ne retrouveront pas leur dignité tant que le blocus ne sera pas levé.
Depuis 2005, Gaza a connu quatre offensives militaires israéliennes, chacune plus meurtrière et dévastatrice. Pourquoi le camp de la paix demeure-t-il si silencieux ?
G. L. : D’abord, le camp de la paix est très rétréci. Je ne m’aventurerai pas à dire qu’il n’existe plus, mais il est faible, en nombre comme en influence. La gauche sioniste continue de se réclamer du camp de la paix mais elle ne s’est jamais opposée, depuis 2005, à aucune de ces guerres. En règle générale, l’opinion publique israélienne affiche un soutien clair à toutes ces actions violentes de leur armée, du moins au début des opérations. Peu à peu, si la situation devient intenable, une opposition commence à appeler à un arrêt des hostilités, sans pour autant remettre en question la manière d’agir.
Comment la bande de Gaza est-elle présentée dans les médias israéliens ? Les journalistes israéliens s’informent-ils de la situation à Gaza ?
G. L. : Gaza n’est évoqué que lorsque des roquettes sont envoyées sur Israël. Le reste du temps, le sujet n’intéresse pas les médias. Les Gazaouis ne sont dépeints que comme des gens armés, des militants n’ayant comme rêve que d’exterminer Israël. Et cela dure depuis des décennies : « Gaza est un lieu dangereux ».
Évidemment, ce n’est pas le cas, je connais bien la bande de Gaza, c’est un territoire plein de gens formidables, emplis d’humanités et de courage. En quinze ans, aucun journaliste n’a pu entrer dans Gaza, à moins de violer les règles militaires, et cela ne provoque aucune protestation de la corporation. Je pense même qu’ils sont, pour la plupart, heureux de ne pas avoir à y aller, de ne rien entendre ni savoir sur ce que vivent les Gazaouis.
Le 15 mai, l’armée israélienne a bombardé l’immeuble abritant les locaux d’Al Jazeera et Associated Press. Comment les journalistes israéliens ont-ils réagi et parlé de ce crime de guerre ?
G. L. : Comme toujours, nous avons eu l’information par le biais d’un communiqué de l’armée et des détails lors d’une conférence de presse d’un officier. Aucun journaliste n’a interrogé la légitimité d’une telle action, ni envisagé une protestation. Les médias ont simplement repris l’info, se satisfaisant de la version militaire affirmant que le bâtiment abritait des « terroristes » et du matériel militaire.
D’ailleurs le lexique de la guerre contre le « terrorisme islamiste » est systématiquement employé par l’armée israélienne pour justifier chaque action à Gaza…
G. L. : Mais c’est la même attitude depuis les années 1950 ! Déjà à l’époque, Gaza était appréhendé comme un « nid de terroristes », un lieu de tous les dangers. Pourtant cela n’empêchait pas bon nombre d’Israéliens-, dans les années 1970 et 1980, d’aller à Gaza pour le shopping, et des centaines de milliers de Gazaouis de venir travailler en Israël.
En 2019, en ouverture d’un symposium à Luxembourg consacré au futur des Israéliens et des Palestiniens, vous avez surpris l’auditoire en plaidant pour la solution à un seul État. Comment envisagez-vous la bande de Gaza, où 70 % des habitants sont des réfugiés, dans votre projet d’État unique ?
G. L. : Peut-on faire autrement ? Gaza ne peut pas être laissé de côté d’une solution, quelle qu’elle soit. Les Israéliens sont bien conscients que la situation actuelle n’est pas tenable, donc soit les autorités mettent définitivement fin à la séparation entre Gaza et la Cisjordanie pour envisager l’établissement d’un État palestinien viable ; soit il ne reste plus qu’à se tourner vers l’ultime solution, c’est-à-dire un seul État.
Sauf qu’en Israël, la majorité ne veut pas d’État palestinien et les derniers à discuter de ce projet constatent qu’il manque sérieusement de saveur, voire d’intérêt.
Je pense que le débat sur un ou deux États est clos au profit de : « Quel type de régime voulons-nous pour notre État unique ? » Ce que nous vivons aujourd’hui n’est-ce pas déjà un État unique ? Mais ce n’est pas une démocratie car les droits n’appartiennent qu’à une minorité. À nous de le transformer en démocratie, ce qui demandera énormément d’énergie et de temps.
Je ne vois aucune autre voie pour le futur, et naturellement Gaza doit en faire partie. Ce n’est pas qu’une question de territoire : il est illusoire de vouloir séparer les populations de Gaza du reste de la Palestine, des familles sont dispersées entre la Cisjordanie, Gaza et Israël. Rien ne sera évidemment facile, tant la population de Gaza souffre et vit dans une extrême pauvreté. A-t-on un espace pour permettre aux millions de réfugiés de retourner chez eux ? Non, mais nous avons un enjeu, celui de la démocratie entre la mer Méditerranée et le fleuve Jourdain, où chacun jouirait de droits égaux. Je nous crois capable de trouver une solution pour les réfugiés et de faire de cette terre un lieu de vie digne.