Un système de santé « de gauche »
Depuis 2007, et à la suite des élections remportées par le Hamas en 2006, la bande de Gaza est administrée par une formation politique fortement marquée par la notion d’entraide, d’aide aux plus démunis et par là même à la gratuité des soins de santé.
Malgré la création à Gaza d’une faculté de médecine en 2001, et donc de la production régulière de nouveaux médecins, il n’y a que très peu de ces médecins « généralistes » sur lesquels est basé notre système de santé. D’où un très fort encombrement des structures hospitalières et des centres de santé gratuits. Des praticiens aux consultations surchargées, qui rendent difficiles de parler aux patients et aux familles, bien souvent pas d’examen clinique, et de fournir des prescriptions adaptées ce qui, cumulé avec l’effet négatif de la pénurie de médicaments, ne contribue pas à produire une médecine générale de haute qualité. Heureusement, les centres de soins primaires sont là, notamment ceux de l’UNWRA. Ils accomplissent un travail de première ligne, en particulier les vaccinations infantiles, ce qui confère à Gaza des taux de vaccination analogues à ceux des pays les plus développés. De même les soins apportés à la femme enceinte et au suivi des grossesses contribuent au bon classement du système sanitaire.
Dans ces conditions, le secteur privé [1], dépourvu de tout financement de l’État, est très réduit, et notamment beaucoup plus limité qu’en Cisjordanie occupée. Peu d’investissements et pauvreté généralisée de la population en sont la cause. Les besoins en médicaments, vaccins, et matériels médicaux sont assurés par la pharmacie centrale de Ramallah, en tenant compte dans la répartition du déficit du secteur privé, heureusement complétées par les donations d’acteurs privés ou étatiques. Parmi ceux-ci signalons l’importance de l’aide de La Malaisie et de l’Indonésie, des associations musulmanes étrangères lorsque la frontière avec l’Égypte n’est pas fermée [2], et de certaines ONG, notamment la Croix-Rouge et le PCRF (Palestinian Children’s Relief Fund). L’action des autres ONG, en particulier occidentales, en dehors de PALMED [3], est marginale et mal intégrée à la politique générale de santé.
Une formation des acteurs de soin adaptée à l’état de siège
L’un des moyens bien connus du colonisateur pour assujettir le colonisé est de maintenir un bas niveau d’éducation. Donc pas d’études supérieures. De 1948 à 1967, c’est l’Égypte qui prend en charge l’administration de Gaza. Avec une règle bienvenue, établie par Nasser : les études universitaires pour les Gazaouis, comme pour les Égyptiens, sont gratuites. Ainsi la plus ancienne génération des médecins de Gaza a été formée en Égypte, notamment Abdelaziz Rantisi, premier pédiatre de Gaza [4], ou Mahmoud Zahar formé à la chirurgie à la même époque. Avec la conquête de Gaza par Israël en 1967, l’opportunité disparaît, et les formations supérieures se déroulent désormais dans les pays qui financent des bourses d’étude ; pays de l’Est notamment l’Union soviétique et la Roumanie, Bangladesh, Algérie [5] ; le Royaume-Uni [6], l’Irlande [7], l’Allemagne [8], l’Espagne ou l’Italie pour les plus fortunés.
Une situation intenable à terme, et bien comprise par le Sheikh Yassine qui fonde l’université islamique de Gaza en 1978, avec en 2001 la création d’une faculté de médecine. Les premiers médecins entièrement formés à Gaza sortent donc en 2007, lors de l’instauration du siège israélo-égyptien. Une dizaine de filières de spécialités médicales et chirurgicales suivent. Enseignement en anglais, informatisation maximum, enseignement à distance à partir de l’étranger, un enseignement de haute qualité réservé aux meilleurs bacheliers et bachelières. La création d’écoles de soins infirmiers par Mahmoud Zahar a contribué également de manière décisive à l’amélioration des soins hospitaliers par rapport à l’époque des infirmiers « formés sur le tas ». Enfin des congrès ont lieu régulièrement, l’occasion d’une autoévaluation des pratiques et de comparaison avec la littérature internationale. Une bonne maîtrise technique permet d’alterner les communications « internes » en présentiel, et des présentations en provenance de l’étranger.
Signalons les réunions, inhabituelles pour nous, associant des spécialités différentes [9], qui contribuent à réduire le cloisonnement si fréquent dans nos pays.
Les points forts
La médecine à Gaza est concentrée sur l’essentiel : le traitement de la traumatologie et des maladies courantes. Mais il y a aussi une activité soutenue dans des spécialités relativement pointues comme la chirurgie cardiaque, la transplantation rénale, la neurochirurgie. La chirurgie endoscopique n’est développée que dans les domaines où son coût et sa fiabilité sont plus intéressants que par la chirurgie à ciel ouvert. Ainsi la médecine à but lucratif n’a qu’une place très réduite. La prévention est bien présente, avec des campagnes de santé publique : utilisation du réseau des mosquées pour lutter contre le tabagisme, loterie pour inciter les récalcitrants à la vaccination anti Covid. Et la pénurie a constitué l’un des moteurs de l’informatisation : liaison entre des différents centres de santé, numérisation de l’imagerie fournie par email sur les téléphones portables des patients. Signalons enfin la fidélisation du personnel médical et paramédical qui continue à travailler malgré des réductions de salaires parfois massives.
Les points faibles
Malgré l’accession de certains services ou hôpitaux au rang hospitalo-universitaire [10], la pénurie généralisée affectant les hôpitaux crée un saut qualitatif entre ce que les étudiants apprennent en faculté et la médecine qu’ils sont contraints de pratiquer. Et ceci dans tous les domaines. Plus de la moitié des médicaments sont en « stock zéro », empêchant notamment la réalisation de protocoles de chimiothérapies complets. Mais aussi pénurie de matériel jetable, bombardement par Israël des locaux de recherche de la faculté de médecine, empêchement par Israël de l’acquisition de la radiothérapie, tous ces éléments font que l’état de siège est le principal responsable du retard médical de Gaza. S’y ajoutent les restrictions drastiques des possibilités de formations complémentaires et de stages à l’étranger : il faut à un étudiant sept documents pour pouvoir sortir de Gaza et, lors de la réception du dernier document, la durée de validité du premier est bien souvent dépassée. Pour les patients, signalons la réduction drastique des acceptations de transferts en dehors de la Bande, en sachant que la plupart des transferts se font en direction d’hôpitaux palestiniens de Jérusalem-Est ou de Cisjordanie occupée, tandis que les rares transferts pour traitement en Israël sont facturés à l’Autorité Palestinienne. Chantage et tentatives de corruption lors du passage d’Erez pour les malades dont l’état nécessite des sorties régulières (radiothérapies). Un relevé des décès « indus » c’est-à-dire directement liés à la situation de siège, concernant en particulier les enfants, est tenu et fera partie des documents adressés à la Cour pénale internationale lors de l’enquête ouverte à La Haye. Il s’agira néanmoins de dossiers médico-techniques ardus, difficiles à défendre dans une enceinte de ce type.
Comme pour toutes les autres activités à Gaza, la simple levée du siège israélo égyptien permettrait un saut qualitatif immédiat au système de santé qui est maintenu à un bon niveau selon les critères de l’Organisation mondiale de la santé.
Un exemple, à petite échelle, est éclairant : l’association PCRF a créé simultanément deux centres de cancérologie infantile, l’un à Gaza, soumis au siège, l’autre en Cisjordanie occupée ; pour ce dernier, le taux de survie des enfants atteints de cancer, en seulement deux années, a rejoint les chiffres des pays développés.
Et le Covid, dans tout ça ? Alors que la diffusion mondiale de la maladie a commencé en mars 2020, du fait de l’isolement de Gaza, de mesures très strictes de quarantaine prises par le ministère de la Santé de Gaza associée à un dépistage systématiques chez les entrants, les premiers cas autochtones ne sont apparus qu’en septembre 2020. La diffusion de la maladie a alors suivi son cours avec une mortalité « honorable » d’un pour cent des nouveaux cas dépistés. Et malgré un taux de vaccination très faible. Là encore les Gazaouis « ont fait avec ». À Gaza le cancer tue davantage que le Covid ou les bombardements.
Christophe Oberlin
Chirurgien, dernier ouvrage paru : Les dirigeants israéliens devant la Cour pénale internationale – L’enquête, Erick Bonnier 2020