Depuis la guerre des Six Jours en 1967, Deir Ballaut est sous occupation israélienne. Après les accords de 1995, 5,2% des terres du village ont été classées en zone B, les 94,8% restants en zone C. Israël a confisqué 171 donums de terres pour les colonies israéliennes de Peduel et Alei Zahav.
À partir de 1996, beaucoup de jeunes hommes et de jeunes femmes qui ont fait des études sont allés travailler à Ramallah ou à Naplouse grâce à l’offre d’emploi dans ces deux grandes villes, ils et elles font l’aller-retour quotidiennement entre le village et leur lieu de travail.
La plaine agricole fertile a commencé à être abandonnée. Mais grâce aux femmes qui vivent toujours dans le village ce mouvement a été arrêté. Elles ont pris l’initiative de poursuivre l’activité agricole en plaine et de continuer à cultiver les maraîchages et d’autres productions agricoles.
Au cours des années 2004 à 2016, les femmes ont commencé à avoir du mal à fournir des intrants de production et à vendre les récoltes en raison de l’éloignement du village des centres-villes (Ramallah et Naplouse).
Elles ont fait un pas décisif aux alentours de 2004 afin de résoudre ce problème de commercialisation des produits qu’elles ne pouvaient pas vendre en raison de la fermeture du village et des routes par l’occupation israélienne, elles ont commencé à les transformer sous forme de conserves qu’elles pouvaient ensuite commercialiser à tout moment de l’année, tels que le concombre arménien mariné, le jus de tomate, du thym séché et des herbes médicinales… etc. Elles ont continué à travailler de façon solidaire, elles achetaient leurs intrants de productions de façon groupée, travaillaient la terre collectivement et en s’entraidant, et transformaient les produits agricoles.
Au début de l’année 2015, elles ont décidé de s’organiser de façon formelle. Elles ont commencé les procédures pour enregistrer une coopérative, afin de pouvoir exercer leurs activités agricoles plus facilement et davantage.
En 2016, la coopérative a été enregistrée officiellement par l’Autorité Palestinienne. Le nombre de femmes membres est arrivé à 38 agricultrices. Elles ont choisi le nom de « La coopérative Al Ibda’a pour la transformation de produits agricoles ». Le mot Ibda’a en arabe peut se traduire par « la créativité ». C’est un nom qui leur convient fortement…
Les femmes n’ont reçu que le soutien d’une ONG locale pour cette démarche d’enregistrement de leur coopérative.
Vers 2017, certaines associations comme l’ACAD, le PARC et l’ESDC ont aidé la coopérative de femmes à développer d’autres projets. Ainsi la coopérative a reçu des équipements pour aider à améliorer la transformation de leurs produits agricoles et leur conservation, par exemple pour fabriquer le maftool, le couscous Palestinien.
En 2018, elles ont développé une ferme de volailles pour la viande. Mais la vente de leurs produits reste faible et souffre de la concurrence du marché local. Alors, elles ont décidé de changer leur méthode pour cultiver la terre. Et elles ont adopté des techniques écologiques.
Ainsi, elles ont contacté des entreprises alimentaires dans les pays arabes, ce qui leur a permis de réussir à exporter du maftool, du zaatar, des cornichons, de la sauce piment… etc.
Sept femmes ont quitté la coopérative en raison de leur âge ou de leurs problèmes de santé. Cela a été une opportunité pour que sept hommes puissent rejoindre la coopérative.
En 2019, les femmes ont décidé d’adopter totalement les techniques de l’agroécologie, et elles ont commencé à mobiliser les autres producteurs agricoles dans le village pour qu’ils adoptent la même technique d’agroécologie sur leur terre. La coopérative a cultivé 1 hectare de terre comme ferme de référence, en utilisant les techniques biologiques, cette terre est destinée aux autres femmes dans le village pour leur apprendre ces techniques et pour les encourager à changer leurs habitudes.
La coopérative envisage de déclarer dans quelques années le village de Deir Ballaut comme un village écologique
Les femmes travaillent en ce moment sur un projet de tourisme solidaire, elles sont en train de concevoir et développer une randonnée dans leur village. Un parcours de 13km qui commence à l’entrée du village, avec l’offre d’un petit-déjeuner traditionnel préparé par les femmes sur le trajet qui traverse la plaine en visitant les champs et les fermes écologiques, pour apprendre les méthodes de culture, regarder les femmes travailler les terres, et ensuite marcher dans la vallée qui entoure le village, et retour avec la traversée du village. À la fin de la randonnée, il sera possible de manger un plat palestinien préparé par les femmes de la coopérative, et d’acheter les produits de la coopérative et les autres productions villageoises.
Leur objectif est de créer des emplois pour les jeunes filles et les jeunes hommes qui ont terminé leurs études et qui ne trouvent pas du travail du fait du manque d’offres d’emploi en Palestine, situation qui est liée à la crise économique que traverse la Palestine depuis 2002 (depuis la deuxième intifada). Elles sont en train de former un groupe de jeunes pour s’occuper du tourisme local dans le village et aussi commercialiser les produits de la coopérative dans les marchés locaux en Palestine. Certaines jeunes filles vont devenir membres de la coopérative, et certaines vont travailler dans l’atelier de transformation.
C’est un rêve pour les femmes de la coopérative ; les sept hommes les soutiennent, mais la décision finale leur appartient. Elles travaillent d’un côté pour aider les habitants de leur village à faire face à la situation économique difficile, et de l’autre côté à renforcer leur résilience sur leur terre qui est ciblée par la colonisation Israélienne.
Elles ont développé une coopération solide avec le groupe d’oléiculteurs bio dans le village afin de pouvoir commercialiser ensemble les produits dans des marchés équitables solidaires.
Une femme membre de la coopérative ainsi qu’une autre femme du village sont devenues membres actives du Concile villageois depuis les dernières élections locales en 2016, elles y sont actives et représentent les femmes dans le village.
Les femmes ont pris leur place dans la société grâce à cette initiative collective écologique, elles aident leurs familles financièrement, même si ce qu’elles gagnent par leur travail à la coopérative n’est pas grand-chose, mais elles sont contentes et satisfaites de leur aventure. Elles reçoivent les soutiens de leurs familles et du village entier. Elles ont participé à différentes formations (agricole, droit de l’Homme, droit des femmes, travail collectif et coopératif, protection environnementale… etc.) soit dans le village, soit ailleurs à Ramallah ou dans d’autres villes ou villages palestiniens. Elles ont créé des liens d’échanges avec d’autres coopératives et différents groupes de femmes, pour échanger leurs produits, et ainsi partager leurs savoir-faire et leurs compétences.
Propos recueillis par Issa E auprès des femmes de la coopérative