Le film raconte comment elle a tissé des
liens généreux avec ses compagnes de cellule, qui les ont aidées
à surmonter la souffrance physique, le doute et la peur.
Deux femmes emblématiques ont permis à Kifah de résister.
La grande poètesse Fadwa Toukane et Samira Khalil, militante,
qui a contribué à fonder des associations de femmes en Palestine dont la société Ina’ash al Usra (Développement de la Famille).
En choisissant Kiffah Afifi comme héroïne de son film, c’est de l’histoire de la Palestine que nous parle avec tendresse et avec force, Jean Chamoun, tant la vie de Kiffah, épouse la tragédie de son peuple mais également son combat, ses espoirs et ses rêves.
Pour parvenir à une telle vérité, il faut que le réalisateur ait noué avec son personnage de solides liens de confiance et de respect ; ce qui caractérise un bon documentaire. Jamais déplacée et sans jamais s’appesantir, la caméra suit Kiffah dans ses rencontres avec les femmes dont Islah Jad, intellectuelle féministe, professeure à l’université de Birzeit ; son retour à la sinistre prison de Khiam où elle était la seule Palestinienne, enfermée pendant six ans pour avoir mené une opération de résistance dans le Sud du Liban.
De même, Jean Chamoun évite l’écueil du mélodrame, en gardant le ton juste pour évoquer la violence de la Nakba, l’exil et la misère des camps après 1948, l’horreur des massacres de Chatila, en mélant à son récit des images d’archives saisissantes. Celles-ci jalonnent les étapes de la vie de Kiffah, en évitant les descriptions trop lourdes.
Plusieurs moments de grâce dans ce documentaire ; en premier lieu, le retour de Kiffah à Khiam. Cette prison qu’elle connaît par cœur, où les conditions de détention dépassent l’imagination : pas de nourriture ni de vêtements corrects, pas de visites, pas de soins pour celles qui avaient le malheur de tomber malade, une douche de temps en temps, le froid, le manque d’argent et puis la torture. Enfermée dans une cellule où l’eau suinte des murs et traverse leurs paillasses, Kiffah tombe malade, mais réussit à survivre. Elle en garde encore des traces ; comme cette cicatrice dans son dos que son tortionnaire lui a faite en écrasant son mégot sur sa plaie à vif. Quand elle raconte les sévices qu’elle a subis, dans la cellule d’isolement, véritable cage où elle ne pouvait ni s’allonger, ni voir dehors, son regard s’assombrit. Tout l’indicible est alors contenu dans son silence. Ce qui lui a donné la force de résister : elle savait pourquoi elle était là ; et a tissés des liens avec les autres prisonnières qu’elle aidait à résister, à ne pas plier devant l’horreur.
Ah, le sourire lumineux de Kiffah, quand elle évoque Souha Bechara, sa compagne de cellule qui l’a tellement soutenue, avec qui elle a partagé cette détermination à ne jamais céder devant ses tortionnaires. Suha, le prénom qu’elle a donné à sa fille. C’est un des autres moments de grâce de ce documentaire. La tendresse, la complicité, presque de la gaminerie de ces deux-là quand elles se retrouvent. Suha dit combien Kiffah a subi des conditions de détention encore plus horribles parce qu’elle était palestinienne.
Autre beau moment ; les retrouvailles avec ses amies de captivité dans le camp. Rencontre étonnante de simplicité et de retenue à l’évocation de tant de souvenirs douloureux qui n’empêchent pas les fous-rires de ces jeunes femmes bouleversantes.
Enfin, dans la dernière scène, Kiffah est avec son mari, ex-détenu de Khiam. Ils parlent de ce camp qui les a réunis, de l’amour ; ils mêlent leurs rêves et leurs espoirs ; avec espièglerie, Kiffah échappe à la thématique du film pour une scène de cinéma-vérité où elle affirme que la vie est possible, tout simplement.
Le parcours d’une militante
Kiffah Afifi est née dans le camp de Chatila en 1970. Originaire de la région de Haïfa en Palestine, elle a grandi dans les ruelles du camp, dans un dénuement total, privée de son enfance, comme tous les autres enfants de réfugiés. Elle écoute sans se lasser les récits de ses parents sur la Palestine, sur l’expulsion, sur leurs souffrances. C’est son père, membre du FPLP, qui choisit son prénom : Kiffah. Son frère était militant dans le sud ; pendant des années, ses parents n’ont rien su de lui. Il est mort en martyr. Sa mère est un pilier ; de ces femmes de Palestine qui vous transmettent la force de vos racines. Kifah a forgé son militantisme dans cette solidarité très forte qui unissait sa famille et les gens du camp.
Le choc du massacre de Sabra et Chatila en 1982, perpétré par les milices phalangistes avec la complicité du gouvernement israélien - Ariel Sharon était à l’époque ministre de la Défense - a lui aussi joué un rôle décisif dans son engagement. Quand elle raconte ces journées, sa voix se voile tant l’horreur est au-delà de ce que la petite fille de 12 ans pouvait supporter : « Ils les ont alignés et les ont tous tués. Ma famille et moi nous courions d’un endroit à l’autre. On est allé à la mosquée. On s’est dit que la maison de Dieu nous protégerait. Tout le monde pleurait, hurlait. » La moitié du village de Kiffah a été massacrée. Son père a été assassiné de sang-froid, alors qu’il était allé chercher à manger pour sa famille. Après le massacre, deux des six frères de Kifah disparaissent. Elle sombre dans la dépression. En 1985, elle commence l’entraînement et mène ses premières opérations au sud-Liban. Elle sera capturée en 1988, enfermée dans la prison de Khiam, gérée par les Israéliens et l’ALS, l’armée du Liban Sud du général Lahad.
Aujourd’hui, Kiffah vit à Beyrouth. Elle est mariée avec un Libanais, ancien détenu de Khiam. Elle a deux enfants et elle se consacre à l’Association des ex-détenus de Khiam.
J’ai eu le privilège de la rencontrer à Beyrouth et de visiter le camp de Khiam, juste après sa libération en 2000.
C’est pourquoi le film de Jean Chamoun touche tant ; parce qu’il a su transmettre cette émotion et la générosité rayonnante de Kiffah.
M.E.