Al-Haq, le Centre Al Mezan pour les droits humains et le Centre palestinien pour les droits humains (PCHR) condamnent avec la plus grande fermeté la déclaration de la France selon laquelle le Premier ministre israélien Netanyahou et d’autres ministres concernés bénéficieront de « l’immunité des États non parties à la CPI [Cour pénale internationale] », indiquant que « si la CPI nous demandait leur arrestation et leur remise », ces immunités devraient être « prises en compte », ce qui constitue une évasion délibérée et flagrante du droit international. La déclaration du 27 novembre 2024 du ministère français des Affaires européennes et étrangères témoigne de la loyauté politique de la France envers Israël - la France aurait troqué sa position sur l’immunité contre l’acceptation par Israël du cessez-le-feu au Liban - au détriment de ses propres obligations légales et de son engagement envers l’État de droit. La décision de la France de déclarer son intention de ne pas respecter les obligations qui lui incombent en vertu du Statut de Rome suggère un revirement réactionnaire et fondamentalement dangereux de la politique française en matière d’immunité des chefs d’État, une orientation politique qui va à l’encontre des obligations statutaires de la France en vertu du Statut de Rome.
La CPI a clairement défini les obligations des États parties au Statut de Rome en ce qui concerne l’exécution des mandats d’arrêt à l’encontre des personnes recherchées par la Cour. Plus récemment, le 24 octobre 2024, la CPI a statué sur le refus de la Mongolie de coopérer à l’arrestation et à la remise du président russe, Vladimir Poutine, qui fait également l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI pour crimes de guerre, à l’occasion de sa visite en Mongolie. La Russie, comme Israël, n’est pas un État partie à la CPI. En arrivant à la conclusion que la Mongolie a manqué à ses obligations internationales en vertu du Statut de Rome en n’exécutant pas la demande d’arrestation et de remise de M. Poutine formulée par la Cour alors qu’il se trouvait sur le territoire mongol, la Cour a noté que la question à laquelle il fallait répondre était de savoir « si les États parties, y compris la Mongolie, et les États qui ont accepté la compétence de la Cour en vertu du paragraphe 3 de l’article 12 du Statut, ont l’obligation d’exécuter un mandat d’arrêt concernant le chef d’un État non partie, conformément à l’article 27 du Statut ». [1] [paragraphe 20]
Dans sa décision concernant la Mongolie, la Cour a souligné que : « En imposant une responsabilité sans exception, l’article 27 renforce l’intégrité du cadre juridique international et l’engagement des États parties à lutter contre l’impunité pour les crimes les plus graves qui touchent la communauté internationale ». [par. 26] La Cour a conclu que si les immunités personnelles s’attachent aux chefs d’État dans leurs relations bilatérales, horizontales, une telle immunité « ne s’applique pas dans la relation verticale entre la Cour et les États parties. La nature verticale des obligations envers la Cour l’emporte sur les principes traditionnels de l’immunité interétatique, ce qui signifie que les États parties doivent agir conformément aux obligations qui leur incombent en vertu du Statut, même si cela entre en conflit avec les relations horizontales avec les États non parties. » [paragraphe 33]
La position de la France, telle qu’elle est énoncée concernant les suspects israéliens faisant l’objet de mandats d’arrêt de la CPI, constitue un développement choquant et va à l’encontre de ses obligations en vertu du Statut de Rome, telles qu’elles ont été clairement et constamment interprétées et expliquées par la Cour.
La position de la France contredit également les positions antérieures de la France et met en évidence un double standard flagrant dans l’administration de la justice internationale. Le 17 mars 2023, la France a pris acte de l’ émission par la CPI d’un mandat d’arrêt à l’encontre de M. Poutine, en observant que : « La Cour, qui a ouvert son enquête le 2 mars à la demande d’une quarantaine d’États, dont l’ensemble des États membres de l’Union européenne sous la présidence française de l’UE, agit en toute indépendance. Elle considère que ces actes constituent des crimes de guerre et ne peuvent donc rester impunis ». Commentant la non-exécution par la Mongolie des mandats d’arrêt contre Poutine en raison de prétendues « immunités », la France a déclaré : « Chaque État partie au Statut de Rome a l’obligation de coopérer avec la Cour pénale internationale et d’exécuter les mandats d’arrêt qu’elle délivre, conformément aux dispositions pertinentes du Statut de Rome. [La France] apporte son plein soutien à la CPI et aux juridictions ukrainiennes qui œuvrent dans ce sens. »
La France est prête à soutenir l’exécution d’un mandat d’arrêt de la CPI contre les fonctionnaires de la Russie en tant que partie non étatique, mais concevrait une machination juridique pour tenter d’éviter une telle conclusion dans le cas de mandats d’arrêt délivrés contre des fonctionnaires israéliens. L’adoption d’une position aussi contradictoire, même si la Cour a censuré le comportement de la Mongolie en le considérant comme contraire à ses obligations internationales en vertu du Statut de Rome, témoigne d’une politique de deux poids, deux mesures dont l’impact pourrait avoir des conséquences graves pour l’avenir de la CPI en tant qu’institution viable.
Pour les Palestiniens, soumis à une répression et à une criminalité flagrantes de la part d’un régime d’apartheid colonial génocidaire dirigé et commandé par Netanyahou et ses fonctionnaires, la CPI est le dernier recours pour obtenir des comptes. La référence dans la déclaration de la France, affirmant qu’Israël est « attaché à l’État de droit et au respect d’un système judiciaire professionnel et indépendant », s’est avérée fausse après des décennies d’impunité pour les violations généralisées et systématiques des droits des Palestiniens. L’objet même de l’existence de la CPI est de combattre et d’abolir l’impunité pour les crimes internationaux, un objet pour lequel elle s’appuie, et dépend, de la coopération des Etats parties et de leur respect de ses demandes et de ses ordres.
Nous demandons à la France
- De revenir sur sa déclaration du 27 novembre 2024, et de réaffirmer sa position antérieure selon laquelle : « Chaque État partie au Statut de Rome a l’obligation de coopérer avec la Cour pénale internationale et d’exécuter les mandats d’arrêt qu’elle délivre, conformément aux dispositions pertinentes du Statut de Rome. »
- Réitérer son engagement à respecter le Statut de Rome, tous les ordres et demandes de la Cour, et à se conformer à ses obligations juridiques internationales.
À tous les États parties
- Respecter l’obligation, entre autres, de coopérer à l’arrestation de Netanyahu et de Gallant ;
- Nous demandons à tous les États de fermer leurs voies terrestres, aériennes et maritimes au transit de Netanyahu et Gallant, d’arrêter les auteurs et de faciliter leur transfert à La Haye.
Traduction : AFPS
Photo : © PCHR