Il est généralement admis - sauf par ceux qui en savent plus - qu’il y a deux solutions possibles au conflit national/colonial israélo-palestinien : soit une solution à deux états, soit une solution à un état. Mais cela est une fausse dichotomie - bien qu’il y ait plusieurs choses que ces deux solutions supposées ont en commun.
Je commencerai par ces éléments communs, et puis je continuerai en expliquant de quelle manière il y a entre elles de profondes différences. Elles sont elles deux conceptions de la démocratie bourgeoise, et par ceci je veux dire deux choses. D’abord, elles envisagent une solution dans laquelle l’état ou les états qui en résulteront seront capitalistes. Elles ne prévoient pas une issue socialiste. Généralement ceci n’est pas un inconvénient - Je ne soutiens pas ici que tous les conflits nationaux/coloniaux ne peuvent être résolus que par le socialisme. Néanmoins, je soutiens seulement que dans ce cas particulier : il n’y a aucune solution capitaliste à ce conflit.
Ces « solutions » sont aussi bourgeoises ou démocratiques-bourgeoises dans une autre perspective : elles n’attribuent aucun rôle particulier à la classe ouvrière. En fait, elles ne mentionnent aucune classe du tout. Cependant, même quand un conflit national/colonial peut être résolu sans le socialisme, le fait demeure que les socialistes doivent mettre l’accent sur la classe ouvrière qui s’organise séparément selon ses propres modalités et avec ses propres revendications.
Ces deux solution supposées de ce conflit ont été à l’origine formulées par le mouvement de libération palestinien -en particulier par L’Organisation de Libération de la Palestine étant dirigée par le Fatah, qui est l’organisation dominante de l’OLP. Elles deux ne se limitent pas seulement au capitalisme, mais elles se limitent aussi à la case Israël-Palestine : c’est-à-dire, qu’en aucune façon elles ne se rattachent à l’ensemble de la région -l’Orient arabe, dans lequel la case Israël-Palestine est englobée et dans lequel ce conflit est aussi englobé.
Je pense que ceci les disqualifie toutes les deux en tant que positions socialistes, parce que, comme mes camarades et moi, dans le Matzpen, avons été enregistrés comme déclarant, depuis 1966 (c’est-à-dire même avant la guerre de juin 1967), que la solution à ce conflit doit être régionale et elle doit être socialiste - pour des raisons qui ont à voir précisément avec ce cas, non pas pour des raisons théoriques générales.
Ici finissent les ressemblances entre ces deux solutions supposées et j’étudierai ci-après les profondes différences entre elles. Pour vous donner seulement l’essentiel en termes de positions politiques, la supposée solution à deux états est une tromperie et doit être démasquée. Jusqu’à il y a peu vous pouviez dire que certaines personnes la défendait par ignorance. Elle paraît bonne, donc pourquoi ne pas la soutenir ? Ceci n’est plus possible maintenant.
Il n’est pas vrai que toutes les personnes qui l’ont soutenue aient agi ainsi pour de mauvaises intentions ou par volonté de tromper. Certaines personnes ont agi ainsi, et le font encore, parce qu’elles sont prisonnières de la dichotomie. Elles pensent que, soit un état, soit deux états, peuvent advenir, et puisque pour de bonnes ou de mauvaises raisons elles ne peuvent soutenir un état, elles sont coincées dans le paradigme de deux états - probablement en dépit de leur intime conviction. Je ne veux mentionner aucun groupe ou aucune personne en particulier, mais vous savez probablement à qui je pense.
D’autre part, les personnes qui préconisent la solution à un état (soi-disant) sont souvent bien intentionnées et bien motivées, de celles qui ne la mettent pas en avant dans l’intention de tromper. Même si ces personnes ne sont pas nos ennemis, je ne pense pas que des socialistes doivent proposer une solution au conflit qui ne fonctionne pas. Donc je pense que ce n’est pas quelque chose qui doive être préconisée comme une solution.
L’origine de la solution à un état se situe dans l’ancienne époque du Fatah, datant de 1969 environ. Je vous renvoie à mon article, « Palestine/Israël : Attacher le grelot » (Weekly Worker, 12 décembre 2013). Vous y trouverez certaines citations historiques quant aux origines de ces diverses idées, telles que proposées par des représentants et des porte-parole autorisés de l’OLP.
La formulation proposée était une « Palestine laïque, démocratique, unitaire ». A présent, les termes ici sont importants. En 1969, le mouvement nationaliste palestinien considérait la Palestine comme la patrie pour toujours d’un seul groupe national : les Arabes palestiniens - elle était un pays arabe. Pourtant, il en est venu à la conclusion, devant la réalité, que les colons sionistes ne pourraient être délogés. Ils sont là pour y rester. Donc il a raisonnablement pensé qu’il devait proposer une solution qui les intégrerait. Mais, étant bloqué dans un état d’esprit nationaliste, il ne pouvait pas accepter l’idée que ce qui s’était cristallisé dans la partie occupée de la Palestine, en Israël, était une formation nationale, une nation de colons. Ceci n’est pas unique - il y a d’autres nations de colons dans le monde - mais ceci était une nation de colons toujours dans le processus de colonisation, ce qui le rend encore plus difficile à accepter.
Donc l’OLP ont appliqué de ce fait à cette nation de colons particulière en tant qu’entité religieuse - le mot « laïque ». La Palestine future va être arabe dans son identité nationale, mais va être laïque : elle va accorder des droits religieux égaux et la liberté de culte religieux toutes les personnes concernées - Juifs, Chrétiens et Musulmans.
Paradoxalement, en se rapportant aux colons non comme une nouvelle nation, mais juste comme une partie de la communauté juive, elle a accepté la position diamétralement opposée du sionisme, qui considère aussi les Israéliens seulement comme une partie de la communauté juive, non comme une nouvelle nation. Sauf que, selon l’idéologie sioniste, tous les Juifs dans le monde constituent une nation. Cependant, c’était 1969, souvenez-vous - c’était l’apogée de la guerre du Viet-Nam et l’OLP était sans doute inspirée par la lutte des Vietnamiens contre le colonialisme, dans des circonstances cependant très différentes. L’inspiration et les idées qu’ils ont tirées du Viet Nam n’ont été d’aucune utilité et en fait ont bientôt conduit au désastre.
Deux états
Puis vers 1974, s’étant rendu compte que cette Palestine laïque, démocratique, n’allait pas se faire - les méthodes qu’il avait envisagées pour y parvenir ne marchaient pas - le mouvement palestinien a trouvé l’idée de deux états. A l’origine, dans les années 1970, les dirigeants israéliens l’ont carrément rejeté rejeté. Ceci était lié à la stratégie fondamentale et à long terme du sionisme. Ils n’allaient pas permettre quelque chose comme un état palestinien souverain à côté d’Israël.
A la fin des années 1970, le camarade Emmanuel Farjoun et moi avons écrit un ensemble de thèses, dans lesquelles nous avons souligné la stratégie à long terme du mouvement sioniste. Ces thèses sont accessibles sur le site Internet du Matzpen (1). Nous avons cité un discours de Moshe Dayan, qui était alors ministre israélien de la défense. Voici ce qu’il disait :
Fondamentalement un état palestinien est une antithèse de l’état d’Israël : c’est-à-dire, les deux sont incompatibles. La vérité fondamentale et pure est qu’il n’y a pas plus de différence fondamentale entre la relation des Arabes de Naplouse à Naplouse (en Cisjordanie) qu’il n’y en a pour les Arabes de Jaffa à Jaffa (une ville anciennement arabe dans ce qui est devenu Israël, qui est maintenant un faubourg de Tel Aviv) … Et si aujourd’hui nous nous engageons sur cette voie, et déclarons que les Palestiniens sont habilités à avoir leur propre état parce qu’ils sont originaires du même pays, et parce qu’ils ont les mêmes droits, alors cela ne se terminera pas avec la Cisjordanie. La Cisjordanie, avec la Bande de Gaza, ne représentent pas un état… La création d’un tel état palestinien sera la pose d’une pierre angulaire pour quelque chose d’autre.
Et il a terminé en disant : « Soit l’état d’Israël, soit un état palestinien. »
Donc ceci est sans ambiguïté. Et je peux citer des textes antérieurs émanant de dirigeants sionistes, parmi lesquels David Ben-Gourion, qui était l’un des plus astucieux stratèges de la colonisation sioniste, déclarant que, en fin de compte nous devons être capables de coloniser - de s’établir, disait-il, dans l’ensemble de « Eretz Israel » (la terre d’ Israël, autrement dit la Palestine). Mais il y avait à ce moment-là une pression montante sur Israël pour parvenir à un règlement.
D’ailleurs, une différence majeure entre les deux idées principales, d’un état et de deux états, est que la solution à deux états présuppose fondamentalement un accord international entre Israël et le mouvement palestinien. Elle ne nécessite pas le renversement de l’actuel régime d’Israël et n’est en aucun sens une idée révolutionnaire. Mais même cela Israël ne le permettra pas.
Mais sur le plan international il y avait une pression croissante pour qu’Israël accepte et donc, finalement, il en a accepté l’ idée - seulement sur le papier : cela a été une tromperie dès le départ. C’est ceci qui a conduit finalement à la conférence international de Madrid de 1991, où le mouvement palestinien n’était pas représenté officiellement parce que Israël avait exigé que le point de vue palestinien ne soit exprimé que par la Jordanie. Mais, dans les coulisses, il y avait des négociations à Oslo directement entre diplomates israéliens et dirigeants palestiniens. Ceci a conduit aux accords d’Oslo, qui furent menés à bonne fin en 1993.
Maintenant, beaucoup de gens pensent que les accords d’Oslo portaient sur deux états, mais ceci est une supercherie. Il n’y avait pas un mot dans le texte approuvé sur un état palestinien dans n’importe quelle partie de la Palestine. De plus - et ce qui est encore plus important - il n’y a pas un mot sur le fait de mettre fin à la colonisation de la Cisjordanie. Vous auriez pensé qu’au moins, si Israël visait sérieusement à la création d’un état palestinien, elle aurait alors cessé d’empiéter sur les terres palestiniennes et de les voler. Ce qui s’est passé au cours des accords d’Oslo a été comparé à deux personnes en train de négocier sur la façon de diviser une pizza, tandis que l’une d’elles est en train de la manger bouchée après bouchée - une métaphore pertinente pour ce qui s’est passé.
En fait depuis Oslo nous avons vu l’accroissement de la colonisation de la Cisjordanie. En d’autres mots, cela a été une tromperie. Mais maintenant je pense que l’utilité de cette tromperie arrive à sa fin, parce que le gouvernement israélien admet ouvertement qu’il a l’intention d’annexer des parties de la Cisjordanie - non pas l’ensemble de celle-ci, parce qu’il y a là-bas de trop nombreux Arabes. Voyez-vous, le problème pour le projet de colonisation des sionistes est qu’ils veulent cette terre, mais ils ne veulent pas les gens. Ceci est une caractéristique importante de certaines formes de colonisation : ce que Marx appelait « les colonies, justement dénommées » .
Il est significatif que, à la suite de la guerre de 1967, Israël ait presque immédiatement annexé deux éléments de ses conquêtes : Jérusalem et les Hauteurs du Golan syrien. Dans le cas de Jérusalem c’était pour des raisons idéologiques, parce qu’elle a toujours été un élément primordial de la Terre Sainte. Mais il a pris la précaution de procéder d’abord au nettoyage ethnique des Hauteur du Golan, n’y laissant que la communauté des Druzes - qui, selon l’idéologie israélienne, ne sont pas, singulièrement, considérés comme des Arabes.
Les Druzes sont, en fait, une communauté religieuse arabe, mais elle est la seconde de deux religions dont le sionisme a faussement affirmé qu’il s’agit d’une nation - la première, bien sûr, étant la soi-disante nation juive, qui est dispersée dans le monde entier. Mais cette tromperie permet à Israël de déclarer que les Druzes ne sont pas des Arabes, et pourraient être laissés en place en tant que minorité sur les Hauteurs du Golan syrien, où plus de 100.000 habitants ont fait l’objet d’un nettoyage ethnique avant qu’Israël ne les ait formellement annexées.
Et maintenant Israël a l’intention d’annexer des parties de la prétendue « Zone C », qui est un gros morceau de la Cisjordanie, cependant plus rurale et moins peuplée, tandis que les zones plus densément peuplées ne seront pas formellement absorbées pour le moment. Ceci est maintenant en train de devenir la politique israélienne officielle. Les membres du gouvernement ont récemment envoyé une lettre aux membres du Congrès des USA, les exhortant à ne pas soutenir la « solution » à deux états, qui est maintenant morte. Si bien que maintenant la tromperie en arrive à sa fin et quiconque la soutiendra encore devra être dénoncé ou au moins démasqué.
Un état
Pourquoi certaines honnêtes gens adhèrent-elles encore aux idées de deux états ? Parce que, comme je l’ai souligné, ils ne peuvent concevoir qu’une alternative : une « solution » à un état, qu’ils rejettent.
Maintenant, une solution à un état veut dire deux choses. Soit Israël annexera l’ensemble de la Cisjordanie - au moins cela génèrera un état et alors nous pourrons nous battre pour des droits égaux. Ceci est évidemment une très dangereuse suggestion, si l’on considère les choses sous cet angle. Une solution démocratique et équitable peut-elle être réalisée tout d’abord par Israël annexant l’ensemble des territoires palestiniens occupés ? Ou sinon, de façon alternative, le régime sioniste israélien doit d’abord être renversé.
Mais les gens ont peur de le dire. Imaginez Jeremy Corbyn en train de déclarer que le conflit israélo-palestinien doit être résolu en renversant tout d’abord l’obstacle principal, le régime sioniste. Evidement le régime sioniste ne va pas accepter une solution à un état qui consacre quelque chose s’approchant à l’égalité des droits.
Il est vrai que ma position est celle du pessimisme, mais s’il vous plaît comprenez moi bien. Ce n’est pas un pessimisme de la volonté : c’est seulement que je n’ai pas de raisons de répandre l’optimisme - un optimisme mensonger. Je pense que la situation est désastreuse et les perspectives probables, dans un avenir proche ou à moyen terme, sont également désastreuses. Je suis optimiste, bien sûr, sur le long terme, mais, étant donné mon âge, de façon réaliste je ne m’attends pas à voir un dénouement positif de mon vivant.
Le fait au sujet de la prétendue solution à un état est que cela est réellement révolutionnaire. Etant donné les circonstances actuelles, un état menant à non seulement l’égalité des droits individuels, mais aussi à l’égalité des droits nationaux, ne peut pas être fondé. Il y a une nation qui opprime et un autre peuple opprimé - les Arabes palestiniens, qui font partie de la nation pan-arabe. Mais toute chose conduisant à l’égalité exigerait le renversement du régime sioniste, ce qui est pourquoi je dis que c’est une solution révolutionnaire.
Comment le Fatah a-t-il à l’origine envisagé un état laïque et démocratique, quand l’OLP défendait encore une solution à un état ? Ceci est une citation de 1969 :
Une guerre populaire de libération, ayant pour but la destruction de l’état impérialiste raciste, créera de nouvelles conditions qui rendront possible la nouvelle Palestine. Dans ce processus, les alternatives offertes aux Juifs de Palestine sont radicalement modifiées et au lieu de la sécurité de l’état d’Israël, au lieu d’être jetés à la mer (la position réactionnaire de l’OLP avant 1967), cette révolution apporte un nouvel ensemble d’alternatives : l’insécurité d’un Israël exclusif et raciste en opposition avec une Palestine ouverte, sûre et tolérante pour tous ses patriotes. La révolution palestinienne a ainsi pour but à long terme d’incorporer les Palestiniens juifs ainsi que le non-Juifs, dans ses forces de libération en tant qu’étape importante vers ses buts finaux.
Notez, en passant, que la personne utilisant le mot « révolution » est un des principaux porte-parole du Fatah. Ceci est un texte programmatique non signé, approuvé par l’organisation, mais je connais la personne qui l’a écrit. Il s’appelle Nabil Sha’ath, avec lequel j’ai eu des discussions amicales dans les années 1960 et 1970.
Toutefois, dans la declaration mentionnée ci-dessus nous constatons le modèle du Viet Nam. Quand ces mots ont été écrits, les forces américaines se trouvaient au Viet Nam, où les guérillas combattaient contre les forces d’invasion. Mais imaginez la résistance aux Etats-Unis à l’intérieur du territoire des USA à partir de bases situées au Mexique. Quelle part de succès prévoyeriez-vous dans ce cas ?
Ce serait un pétard mouillé, mais l’équivalent de ce qui est arrivé, malheureusement et tragiquement, au mouvement de guérilla palestinien, qui pensait que les états arabes fraternels les aideraient. Mais il était stationné en territoire hostile, en Jordanie ; et le résultat a été Septembre Noir en 1970. Le mouvement de guérilla palestinien a été écrasé et a décampé de la Jordanie au Liban.
Donc le modèle du Viet Nam n’a pas fonctionné. Mais actuellement beaucoup de gens - non pas le mouvement palestinien officiel, mais beaucoup de gens aux idées progressistes dans le monde, y compris en Israël - sont revenus à l’idée d’un état. Pourtant, cette époque ce n’est plus le modèle du Viet Nam mais un autre : modèle sud-africain. Les choses vont être comme en Afrique du Sud - une autre nation arc-en-ciel sera créée.
La colonisation
Beaucoup de bonnes personnes, sensées et de bonne volonté, - dont certaines sont mes amis et mes camarades - croient à ceci, mais de mon point de vue nous ne pouvons éviter de considérer la situation d’un point de vue marxiste. Toutes les colonisations ne sont pas de même nature. Il y a des différences. Marx faisait la distinction entre trois formes dans le volume 1 du Capital.
Premièrement, il y a « les colonies de plantation à des fins d’exportation seulement ». Il donne un exemple - les Antilles. Deuxièmement, il y a les colonies « dans des pays riches et densément peuplés … livrés au pillage » : par exemple, le Mexique et l’Inde. Et, troisièmement il traite des colonies « proprement dites » : par exemple, la Nouvelle Angleterre. Karl Kautsky, un marxiste de premier plan de la Seconde Internationale, a oublié les colonies de plantation au début du 20ème siècle. Il n’a mentionné que « les colonies d’exploitation », qui correspondent plus ou moins à des endroits comme l’Inde et le Mexique - et « les colonies de travail », où les producteurs directs sont les colons eux-mêmes.
Maintenant il y a deux différences entre Kautsky et Marx. Tandis que Marx fait la différence entre trois formes et que Kautsky ne la fait qu’entre deux, Kautsky était plutôt élogieux au sujet des colonies de travail. Par contre Marx est très critique vis-à-vis d’elles. Si vous lisez ce qu’il déclare sur les colonies de Nouvelle Angleterre, il est fâché de la façon dont elles ont traité les autochtones.
Il y a peu de lois en histoire, mais une loi que je peux, sans aucune hésitation, formuler est que, partout où ce que Kautsky a qualifié de « colonies de travail » survient dans les temps modernes, une nouvelle nation de colons voit le jour. Ceci est arrivé partout - c’est arrivé en Nouvelle Angleterre, c’est arrivé en Australie et en Nouvelle-Zélande, et c’est arrivé en Palestine.
D’ailleurs, ce que Kautsky qualifie de colonies de travail sont plus ou moins ce que les universitaires dans le discours post-colonialiste qualifient de « colonies de peuplement ». Mais faites attention, parce que ce ne sont pas tous les universitaires - particulièrement ceux qui ne sont pas marxistes - qui font la distinction essentielle au sujet de qui sont les producteurs. Kautsky la fait vraiment, quand il souligne que ce sont les colons eux-mêmes qui font le travail.
Et cela s’est appliqué à la colonisation sioniste dès le début - elle l’a réellement planifié de cette manière. Dans les premiers textes du sionisme, Theodor Herzl, le fondateur du mouvement sioniste, déclarait : « Nous nous débarrasserons de la population sans le sou. Nous lui donnerons du travail dans les pays frontaliers, mais lui refuserons de travailler dans notre pays. »
Il a écrit ceci avant de réellement décider où ceci allait avoir lieu : il n’était pas encore évident que cela allait être en Palestine ; il y avait d’autres idées - concernant l’Afrique de l’Est, par exemple. Les principaux responsables de cette forme de colonialisme étaient les sionistes socialistes. Mais cela n’est pas surprenant - beaucoup de « socialistes » au début du 20ème siècle soutenaient la colonisation. Mais, rappelez-vous, aujourd’hui nous vivons dans une époque post-coloniale, alors que, à la conférence de Stuttgart de la Seconde Internationale en 1907, par exemple, il y avait une forte tendance en faveur de l’approbation d’un mouvement pour la colonisation. Kautsky a eu beaucoup de difficulté à faire rejeter cette proposition - il y avait une importante minorité qui la soutenait. En d’autres termes, les socialistes sionistes, ne faisaient pas exception en soutenant le colonialisme : c’était tout à fait courant.
Mais le point fondamental est que le type d’économie politique dans l’Afrique du Sud de l’apartheid était très différent du sionisme. Les principaux producteurs directs étaient les habitants noirs indigènes opprimés. Le régime d’apartheid ne pouvait faire sans eux.
Vraisemblablement, deux choses ont fait tomber le régime d’apartheid. Oui, quoi qu’on dise des sanctions et de la mobilisation internationale contre l’apartheid, elles y ont contribué. Mais deux choses qui ont réellement fait tomber le régime, ont été, premièrement, la lutte des classes interne à l’Afrique du Sud - le régime ne pouvait pas toujours refuser les droits élémentaires à une énorme majorité de la population ; deuxièmement, il y a eu la défaite militaire en Angola, en grande partie avec l’aide de Cuba. Ces deux choses ont réellement sonné le glas pour le régime de l’apartheid.
Il n’y a rien de pareil à ce scénario dans le cas de la Palestine et d’Israël. Je ne discerne aucune façon de renverser le régime sioniste sans le consentement et la participation de la classe ouvrière hébraïque - ce qui est hautement improbable dans la situation actuelle. Le problème est que la majorité des masses israéliennes - la classe ouvrière et ses alliés - sont hébraïques, non palestiniennes. Ces dernières sont externalisés, tout comme, contrairement au Viet Nam, elles l’étaient quand elles menaient la guerre de guérilla.
Mais pourquoi la classe ouvrière israélienne devrait-elle dans les circonstances actuelles accepter « un état » capitaliste, dans lequel elle serait toujours une classe exploitée, mais dans lequel elle perdrait ses privilèges nationaux existant actuellement ? Elle voit tout simplement que la création d’un seul état serait contraire à ses intérêts actuels - s’il est capitaliste, ce qui est ce qui lui est proposé. Elle résistera à mort à un tel dénouement. Et rappelez-vous : Israël est une puissance nucléaire. Il n’y a aucune façon que je discerne qui soit possible pour mettre en place une prétendue solution à un état dans les circonstances actuelles.
La révolution arabe
Il y a, toutefois, un scénario possible - une éventualité théorique - dans laquelle la classe ouvrière israélienne accepterait le renversement du régime sioniste. Imaginez une révolution régionale : la classe ouvrière prenant le pouvoir en Egypte, en Irak, en Syrie ; et invitant la classe ouvrière israélienne à en être partenaire. Je ne suis pas en train de dire que ceci arrivera certainement, mais c’est au moins une éventualité, bien que çà en soit une qui nécessiterait de nombreuses conditions préalables. Dans cette situation ce serait une bonne affaire pour la classe ouvrière hébraïque israélienne. Elle échangerait son statut actuel - en tant que classe exploitée avec des privilèges nationaux - pour un statut dans lequel elle ferait partie de la classe dirigeante régionale sans privilèges nationaux.
Comme je l’ai dit, je ne suis certainement pas optimiste à moyen terme, mais je ne vois aucune autre façon selon laquelle le conflit peut être résolu. Toutefois, je parle de quelque chose qui est à la fois une solution socialiste et une solution régionale et je ne pense pas qu’il y ait une autre voie -le socialisme dans un seul pays est une blague, particulièrement dans un pays comme Israël/Palestine. Il devrait exister au moins à l’échelle régionale.
Bien sûr, ceci demanderait beaucoup de préparation. Pendant des décennies, j’ai participé à des tentatives de constituer une organisation régionale de marxistes, qui je pense doit être une condition préalable - une organisation qui prépare le terrain pour la sorte de solution dont je suis en train de parler (je ne peux pas dire que j’ai eu beaucoup de succès, bien qu’il y ait eu quelques débuts).
D’ailleurs, bien que la classe ouvrière hébraïque n’ait pas beaucoup de sympathie pour les Palestiniens, parce qu’elle les considère comme un danger, il y a eu des signes très nets de solidarité et de sympathie avec la classe ouvrière arabe d’Egypte, d’Irak et de Syrie.
Dans les manifestation de masse de 2011, les plus importantes dans l’histoire d’Israël, un des slogans en hébreu les plus populaires était : « la Place Tahrir c’est ici dans cette ville ». A la vérité, il n’y a eu aucun débat sur l’occupation des terres palestiniennes, mais il y avait un net sentiment de solidarité avec la classe ouvrière égyptienne. Un autre des slogans populaires était contre « Mubarak, Assad, Netanyahu » - personne n’a semblé s’y opposer. Donc il y a une lueur d’espoir, même si je n’en dis pas plus que cela.
Ainsi ce que je suis en train de dire est que, alors qu’une solution à un état pourrait être une bonne intention et que ce n’est pas une bonne idée de la dénoncer, elle est utopique. Elle ne va pas se produire et par conséquent c’est une erreur pour des marxistes de la préconiser. Le chemin vers le coeur de la classe ouvrière hébraïque passe par Le Caire et Baghdad.
Soit dit en passant, le Parti des Travailleurs Socialistes, qui est supposé être marxiste, préconise tout à fait une « solution » à un état. Et quel modèle met-il en avant ? L’Afrique du Sud. Les camarades devraient être plus avisés. Cela semble progressiste, c’est progressiste et je souhaite que cela puisse arriver : un état avec des droits égaux pour tous, même capitaliste, serait une énorme amélioration de la situation existante. Mais cela est utopique, et les marxistes ne préconisent pas une utopie.
Je pense, tout en m’opposant à la proposition de solutions utopiques, que les marxistes doivent soulever des exigences en tant que défi à la structure existante :
● Des droits égaux, à titre individuel et au niveau national, pour tous dans la région Israël/Palestine. Actuellement de tels droits n’existent pas.
● Le retrait israélien des territoire palestiniens occupés. Israël ne va pas se retirer, mais il est juste de l’exiger parce que cela démasque l’occupation israélienne.
● Le droit au retour des réfugiés palestiniens. C’est une exigence progressiste et juste qui place Israël en position de faiblesse. Les Sionistes objectent que cela mettrait fin au caractère juif d’Israël. Ont-ils pensé à cela quand ils ont commencé à coloniser la Palestine ? Quand ils ont détruit le caractère antérieur de la Palestine, qui était un pays arabe ? Et ils affirment le droit au « retour » pour les Juifs, en affirmant qu’ils ont été expulsés de la Palestine par les Romains. En réalité cela n’est jamais arrivé - c’est une invention historique, une pure fiction. Mais leur idéologie énonce que les Juifs ont été expulsés il y a environ 2.000 ans et maintenant ils affirment le droit au retour - mais pas pour les Palestiniens après seulement 70 ans !
Notes
1. https://matzpen.org/english/1976-08-08/the-national-movement-in-the-arab-east/.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers