Ses dessins publiés dans la presse, y compris internationale, ses livres [2], ne plaisent pas à l’occupant. Est-ce la raison de son emprisonnement pendant trois mois en 2013 ? Mais, questionner « le pourquoi d’une incarcération » correspond pour lui à légitimer le rôle d’Israël dans la privation de liberté. Alors que la raison principale est simplement d’être Palestinien !
On trouve Mohammad Sabaaneh également sur les réseaux sociaux. « Parce que j’ai publié ce qui s’y passait (en Palestine), mes comptes ont été supprimés et, avec eux, plus de quinze années de travail d’information suivi par des centaines de milliers d’abonnés ; de la même façon que l’occupant souhaite faire disparaître les Palestiniens. »
De même, censurées par les plateformes qui « modèrent », de nombreuses vidéos postées depuis Gaza, ces témoignages de l’impossible vie, sont retirées des réseaux sociaux. Pour parer au manque d’images : une humiliation supplémentaire ? Il se met à archiver et sauvegarder les traces de ce qui est en train de se passer : trente secondes pour un bref aperçu de l’enfer que vivent des êtres ni plus ni moins humains que nous… qui serviront de titre à son livre. Comme il craint aussi que ses dessins ne lui soient volés, il les réalise en double.
Ainsi, illustrées par 92 dessins qui sont la reproduction de scènes bien réelles, il s’attache à libérer ces histoires. Tracées sur papier à l’encre de Chine, aucune solution liquide ne pourra les gommer. L’encre est indélébile comme l’est le sang qui coule dans les rues de Gaza, dans ses hôpitaux et sur les visages de ses enfants que rien, jamais, ne pourra effacer de nos mémoires.
Mohammad Sabaaneh dédie son livre à son amie Maisara Baroud, artiste palestinienne, à Nadal Alwhedi, son ami de Gaza, journaliste et caméraman disparu, dont il est sans nouvelle depuis le 7 octobre et à son frère Thameer kidnappé, et aujourd’hui dans une prison israélienne.
C’est un livre précieux, brutal, horrible, au graphisme esthétique [3]. Dans la préface l’historienne Nadia Naser-Najjab précise : « l’art de Sabaaneh amplifie les voix et les récits palestiniens et documente ce que d’autres s’évertuent à dissimuler, voire à supprimer, en préservant des images, des expériences et des traumatismes qui, autrement, seraient ignorés ou négligés, condamnés à l’invisibilité et, finalement, à s’évanouir dans les limbes de l’Histoire. »
De son côté Ilan Pappé – qu’il a rencontré en Angleterre lors d’une conférence sur l’art visuel – écrit : « Les dessins de ce livre […] comme les événements qu’ils décrivent […] nécessitent plus que jamais de pareilles mises en perspective afin de contrer la propagande israélienne et ses soutiens dans le monde entier […] [qui n’ont] cessé de répéter que cette attaque était un chapitre de l’histoire de l’antisémitisme, et même du nazisme. » Absurdité totale démentie par l’histoire de la lutte palestinienne et par une position morale ferme qui fait la distinction entre des actes condamnables et leur lien avec un combat justifié pour la libération.
Mireille Sève avec l’autorisation de Mohammad Sabaaneh pour les planches
>> Lien vers l’émission (56’) réalisée le 11/10/24 par radio Zinzine en présence de Mohammad Sabaaneh et de son éditrice