Les deux derniers mois ont été une période accablante et transformatrice pour les Palestiniens. Cela a été une période pleine de tristesse et de peur face à la violence israélienne, mais aussi pleine d’inspiration pour amener le changement et mettre fin à l’oppression du peuple palestinien par Israël. Au milieu de ce moment historique, un facteur crucial n’a pratiquement pas changé : le rôle décroissant de l’Autorité Palestinienne et, allant de pair, l’arrêt complet du processus des Accords d’Oslo.
La semaine dernière — comme pour souligner son propre déclin — l’AP s’est retrouvée mêlée à un scandale majeur quand les reportages des médias ont mis en évidence que le gouvernement installé à Ramallah avait accepté l’envoi à partir d’Israël d’un million de doses excédentaires du vaccin Pfizer pour combattre la pandémie de COVID-19 dans les territoires occupés.
Les doses, cependant, devaient être périmées dans quelques semaines, et il était prévu qu’elles soient échangées contre l’envoi de nouveaux vaccins qui auraient été données à Israël. Suite à l’indignation de la population devant l’accord humiliant, l’AP a annulé l’accord. (Ceci ne disculpe pas Israël de son rôle dans cet accord tardif et insuffisant ; ainsi que Ghada Majadle des Médecins pour les Droits Humains-Israël l’a expliqué , « Au lieu d’assumer sa responsabilité et de fournir des vaccins sans retard à l’ensemble de la population, Israël se comporte en maquignon avec de la vie et de la santé de millions de personnes ».)
Cette bavure est la dernière preuve non seulement de l’incompétence flagrante de l’AP, mais aussi de son désintérêt total envers la vie et les aspirations des Palestiniens. Le mois dernier, dans les jours précédant la décision attendue de la Cour suprême israélienne concernant le nettoyage ethnique des familles du quartier de Cheikh Jarrah à Jérusalem, les Palestiniens ont organisé des manifestations de masse dans les territoires occupés et dans les localités arabes en Israël. Ces manifestations ont été en grande partie menées par de jeunes Palestiniens, dont beaucoup n’étaient membres d’aucun parti politique, y compris du parti dirigeant du Fatah qui contrôle l’AP et l’Organisation de Libération de la Palestine.
À bien des égards, ce type de soulèvement populaire était presque inévitable. Depuis des années, l’AP, qui affirme être la structure dirigeante nationale des Palestiniens, ne remplit pas son rôle de représenter les intérêts de son peuple. Sachant que ses dirigeants à Ramallah ne ferait rien pour les aider, les Palestiniens n’ont pas eu d’autre choix que de s’unir et de descendre eux-mêmes dans les rues, en utilisant des tactiques rappelant la première Intifada pour exprimer leur colère. Leurs demandes étaient claires comme de l’eau de roche : ils veulent mettre fin à l’oppression de notre peuple et marcher ensemble vers notre liberté.
Malheureusement, l’AP ne semble pas intéressée à marcher avec nous. Pendant ces semaines de manifestations, l’AP était presque entièrement silencieuse : alors que toutes les villes palestiniennes, occupées, soit en 1948, soit en 1967, se soulevaient, la direction de l’AP semblait être en train d’observer de loin comme si elle était un organisme observateur. Pendant ce temps, ses forces de sécurité s’occupaient à effectuer des arrestations de nombreux militants ou à harceler et à intimider les manifestants en une tentative désespérée d’affirmer son autorité. Le récent scandale des vaccins, et la réaction à ce sujet de la population, montre à quel point l’AP dispose de peu de pouvoir et de respect aujourd’hui.
Une démarche passive
Depuis les années 1990, les Accords d’Oslo — qui a établi l’AP comme sous-traitant pour l’occupant — ont essayé de faire de la cause palestinienne une question administrative plutôt qu’une lutte pour la liberté. L’AP nous a fait croire que le maximum que nous devions viser dans nos vies était un permis délivré par Israël, ou une coordination réussie pour un traitement médical dans un hôpital israélien. C’est une démarche passive qui prétend que notre problème ne concerne que des questions de logistique quotidienne, et qu’en résolvant simplement ces questions, les Palestiniens seront satisfaits.
Le soulèvement récent a montré combien la démarche de l’AP n’est pas en phase avec son peuple. En fait, l’AP est peut-être la seule institution palestinienne restante qui pense vraiment qu’une solution à deux états peut être réalisée, ou que les Accords d’Oslo peuvent offrir un chemin vers une quelconque sorte de libération.
Mais pour les Palestiniens, ce navire a pris le large il y a longtemps. Depuis la signature d’Oslo, Israël a construit des milliers de colonies illégales et a installé des dizaines de milliers de colons israéliens dans les territoires occupés — crime de guerre qui est une violation flagrante du droit international. La circulation de produits et services de base — y compris des fournitures médicales comme les vaccins contre la COVID-19 — tombent toujours sous le contrôle et la taxation des autorités frontalières israéliennes. Ces faits sur le terrain sont la seule chose qui détermine la voie que l’on donne aux Palestiniens : un régime d’apartheid du fleuve à la mer.
Il n’est pas surprenant, alors, que l’AP et son président âgé, Mahmoud Abbas, aient perdu presque toute confiance et toute légitimité parmi les Palestiniens. Les paroles de ses représentants ne sont comprises que comme des paroles en l’air ; il est presque impossible de garder la trace du nombre de fois où l’AP a menacé de mettre fin à la coopération sécuritaire avec Israël, uniquement pour revenir en arrière quelques temps après.
Alors comment se fait-il que l’AP soit encore considérée par tant de personnes comme représentant le peuple palestinien, bien qu’il s’agisse clairement d’un organisme illégitime ? La triste réalité est que la principale raison pour laquelle l’AP existe encore c’est parce que Israël et la communauté internationale en ont besoin pour maintenir le soi-disant « statu quo ». Ils ont besoin de l’AP pour maintenir la « stabilité » en continuant à payer les salaires de dizaines de Palestiniens, et en assurant le maintien de l’ordre dans leurs villages au service de l’armée israélienne d’occupation.
L’Union Européenne, aussi, a fait tout ce qui était en son pouvoir pour maintenir l’AP en vie. L’UE, qui est le plus grand fournisseur d’aide extérieure à l’AP, a récemment achevé un programme de stratégie conjointe ironiquement intitulé « Vers un Etat palestinien démocratique et responsable ». Cette aide bilatérale, qui comprenait une dotation financière pluriannuelle de 1,28 milliard d’euros, s’est concentrée sur des secteurs prioritaires spécifiques, notamment la réforme de la gestion et les salaires des fonctionnaires et des membres des forces de sécurité.
Malgré le titre, les années de parrainage de l’UE ont en fait permis à Abbas et à son parti de se débarrasser de toute séparation des pouvoirs, de laisser la possibilité au président de contrôler de multiples services du gouvernement et de prendre des décisions sans avoir aucunement à rendre des comptes.
Les dernières élections nationales tenues dans les territoires palestiniens l’ont été en 2006 ; lorsque le Fatah a perdu le parlement au profit du Hamas, l’UE s’est jointe aux Etats-Unis pour sanctionner et déstabiliser le gouvernement palestinien. Quand des élections ont été finalement fixées à l’été 2021, l’UE a été presque totalement silencieuse, permettant à Abbas d’annuler les élections sans avoir à craindre des conséquences internationales. Même pendant les manifestations de masse du mois dernier, l’UE na pas fait grand chose pour soutenir les Palestiniens parce que son « partenaire » de Ramallah lui-même n’avait aucun rôle à jouer.
Une direction que nous méritons
Les événements des deux derniers mois ont démontré que le soutien continu à l’AP, de moins en moins appropriée, a des conséquences politiques majeures. Non seulement le gouvernement dirigé par le Fatah amène les Palestiniens à perdre toute confiance dans les négociations de paix, mais il renforce en fait son parti rival, le Hamas, et sa démarche de lutte armée comme seule alternative politique viable. Il n’est pas surprenant que le Hamas et sa stratégie aient bénéficié ces dernières semaines d’une augmentation importante de popularité ; malgré le fait que de nombreux Palestiniens ne soient pas d’accord avec son idéologie et n’aiment pas son gouvernement autoritaire à Gaza, le Hamas est toujours considéré par certains comme le seul parti obtenant quelque effet ou résultat pour les Palestiniens.
La communauté internationale en est consciente et craint la suite des événements. Elle sait que le pouvoir irresponsable qu’elle donne à l’Autorité palestinienne et au Hamas réduit les chances de voir apparaître de nouveaux visages au sein d’une nouvelle direction, mais elle ne fait rien pour inverser cette tendance.
Mais cela ne veut pas dire qu’il est trop tard pour elle pour changer le cours des choses.
Même sans changement de politique internationale, de nouvelles associations et initiatives se font jour parmi les militants palestiniens pour préparer un avenir différent. Par exemple, Jeel al-Tajdeed al Democraty / Génération pour le Renouveau Démocratique cherche à créer une liste parlementaire virtuelle et alternative pour les jeunes Palestiniens du monde entier. S’il a commencé comme un défi aux élections palestiniennes, aujourd’hui annulées, il continue d’offrir un modèle pour les façons de construire une identité nationale inclusive qui peut s’organiser pour le changement démocratique et relancer le système politique palestinien.
La multiplication de ces initiatives, ainsi que le mouvement populaire dans les rues de Palestine, montrent qu’il est de plus en plus nécessaire de donner vie à une direction différente par le biais d’une élection équitable, dans laquelle les Palestiniens peuvent choisir librement leurs dirigeants. Nous avons besoin de nouvelles méthodologies plus récentes que celles qui ont été utilisées jusqu’à présent pour résister à l’oppression à notre encontre. Et nous avons besoin de dirigeants nouveaux, jeunes, et radicaux pour mener la barque et représenter enfin la volonté des Palestiniens comme ils le méritent.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers
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