Depuis 2004, l’AFPS traduit et publie chaque semaine la chronique hebdomadaire d’Uri Avnery, journaliste et militant de la paix israélien, témoin engagé de premier plan de tous les événements de la région depuis le début. Cette publication systématique de la part de l’AFPS ne signifie évidemment pas que les opinions émises par l’auteur engagent l’association. http://www.france-palestine.org/+Uri-Avnery+
Le Conseil de Sécurité, comme la Knesset, n’a pas l’habitude d’applaudir ou de se livrer à toute autre manifestation spontanée. Et voilà qu’ils battaient des mains comme des enfants venant de recevoir leur cadeau de Noël.
(C’était en fait un jour avant Noël et le premier jour de Hanoukkah, une coïncidence qui ne se produit que rarement, du fait que les chrétiens utilisent le calendrier solaire et que les juifs utilisent encore un calendrier lunaire modifié.)
Les délégués étaient au comble de la joie. Ils venaient de réaliser quelque chose qu’ils n’avaient pas pu réaliser pendant des années : la condamnation d’une violation flagrante du droit international par le gouvernement d’Israël.
Les présidents successifs des États-Unis avaient fait usage de leur pouvoir de véto anachronique pour empêcher les Nations unies de faire leur devoir. Le président Barack Obama, à la toute fin de sa présidence, a osé défier le gouvernement de Benjamin Nétanyahou, qu’il déteste de tout son cœur.
Et ainsi, après des années de frustration, la plus haute instance internationale put adopter une résolution sur Israël conforme à ses convictions. Rien d’étonnant à ce que ses membres se soient comportés comme des écoliers libérés pour les vacances. Des vacances qui pourraient bien, hélas, s’avérer courtes.
À PREMIÈRE VUE, la joie était excessive. La résolution n’avait presque aucune signification pratique. Elle était sans moyens. Nétanyahou pouvait reprendre le vieil adage oriental : ‟les chiens aboient, la caravane passe.”
Mais la réaction immédiate de Nétanyahou fut très différente. Il agit comme un animal blessé : tournant comme un fou furieux , gesticulant, mordant tous ceux qui étaient à sa portée.
Certaines de ses réactions frisaient le ridicule. Il aurait pu minimiser la résolution et s’en moquer, comme l’ont fait bien des fois des dirigeants israéliens. Au lieu de cela il a rappelé ses ambassadeurs au Sénégal et en Nouvelle Zélande (pays traditionnellement amis), annulé des visites d’hommes d’État étrangers, convoqué des ambassadeurs étrangers, pour leur passer un savon le jour de Noël, lancé des insultes, et surtout dénigré le président Obama.
C’était évidemment une chose stupide. Le président a encore 21 jours d’exercice, 21 longs jours pour blesser Nétanyahou. Il pourrait par exemple permettre l’adoption d’une résolution irrévocable des Nations unies pour la reconnaissance de l’État de Palestine comme membre à part entière des Nations unies. En ce moment, l’ensemble de l’Israël officiel est dans un état de panique en pensant à un tel changement.
Si Nétanyahou avait lu Machiavel, il aurait su que l’on ne défie pas un lion, à moins d’être en mesure de le tuer. Surtout, ajouterais-je, un lion que vous avez insulté et blessé à maintes reprises précédemment. Même les lions se mettent quelquefois en colère.
Mais la conduite de Nétanyahou peut ne pas être aussi stupide qu’elle paraît. En réalité, elle peut être tout à fait habile. Cela dépend de son objectif.
Comme stratégie diplomatique, c’est désastreux. Mais comme stratégie pour gagner les élections c’est assez judicieux. Voilà le grand héros, le nouveau roi David, se battant pour son peuple, affrontant le monde entier. Y a-t-il en Israël quelqu’un qui puisse se comparer à lui ?
À LA mauvaise époque de Golda Meir, l’un des groupes qui divertissaient l’armée israélienne chantait une joyeuse chanson qui commençait par les mots : ‟Le monde entier est contre nous : mais on s’en fout…” Le groupe dansait sur cette musique.
Pour une raison ou pour une autre, des Juifs se réjouissent d’une condamnation par le monde entier. Cela confirme ce que nous avons toujours connu : que toutes les nations nous haïssent. Cela prouve notre particularité et notre supériorité. Cela n’a rien à voir avec notre propre comportement, Dieu merci. C’est tout simplement du pur antisémitisme.
Nétanyahou est parti pour mettre ses pas dans ceux de Golda. La vieille dame baisse maintenant les yeux sur lui depuis le ciel (ou les lève vers lui depuis ailleurs ?) jalousement.
LE SIONISME ÉTAIT supposé libérer Israël de ces vieux complexes juifs. Nous étions supposés devenir une nation normale, des Israéliens au lieu de Juifs ‟exilés”, admirés par les autres nations. Il semble que nous n’y soyons pas vraiment arrivés.
Mais il y a un grand espoir. En fait un espoir gigantesque. Il a un nom : Donald Trump.
Il a déjà tweeté qu’après sa prise de pouvoir, tout changera par rapport aux Nations unies.
Mais sera-ce le cas ? Quelqu’un – y compris lui-même – sait-il réellement ce qu’il a en tête ? Nétanyahou peut-il en être tout à fait sûr ?
Certes il envoie un sioniste Américain juif d’ultra-droite enragé comme ambassadeur à Tel Aviv (ou à Jérusalem, nous verrons.) Un individu tellement à droite qu’il fait ressembler Nétanyahou lui-même à un homme de gauche.
Mais dans le même temps Trump a choisi pour son assistant le plus proche un raciste blanc radical plein de références antisémites.
Peut-être, comme certains le pensent, cela dépend-il entièrement de l’humeur de Trump. Qui sait quelle sera son humeur le matin du premier vote important aux Nations unies sur Israël ? Sera-t-il Trump le sioniste ou Trump l’antisémite ?
EN RÉALITÉ IL peut être l’un et l’autre. Sans aucun problème.
L’objectif avoué du sionisme est de rassembler tous les Juifs du monde dans l’État juif. L’objectif avoué des antisémites est d’expulser les Juifs de tous leurs pays. De chaque côté on veut la même chose. Pas de conflit.
Theodor Hertzl, le père fondateur du sionisme, l’a reconnu dès le début. Il se rendit dans la Russie tsariste qui était gouvernée par des antisémites pour proposer un marché : nous vous prenons les Juifs, vous nous aidez à les convaincre de partir. Cela se passait en pleine époque des pogroms meurtriers. Mais les Juifs qui quittèrent la Russie allèrent en masse en Amérique, très peu en Palestine sous autorité ottomane.
Ce ne fut pas un épisode unique. Tout au long de l’histoire sioniste, il y eut de nombreuses tentatives pour appeler des antisémites à aider à la réalisation du projet sioniste.
Avant même la naissance du mouvement sioniste, des évangéliques américains et britanniques prêchaient le rassemblement des Juifs de l’exil en Terre Sainte. Il est possible qu’ils aient inspiré Herzl. Cependant ce message de rédemption pour les juifs comportait une clause secrète. Le retour des Juifs en Palestine permettrait la seconde venue du Christ. Mais alors les juifs devraient se convertir au christianisme. Ceux qui refuseraient seraient anéantis.
EN 1939, quand le danger nazi devint évident, le dirigeant sioniste extrémiste Vladimir (Ze’ev) Jabotinsky convoqua une rencontre de ses partisans en Pologne. Les dirigeants de l’Irgoun clandestin en Palestine y participèrent. L’un d’eux était Abraham Stern, dont le nom de guerre était Ya’ir.
La rencontre décida d’approcher les dirigeants antisémites de l’armée polonaise pour leur proposer un marché : vous armez et formez de jeunes Juifs polonais et nous libérerons la Palestine et y transférerons les Juifs polonais. Les commandants acceptèrent et des camps d’entrainement furent créés en Pologne. La Seconde Guerre mondiale mit un terme au projet.
Quand la guerre éclata, Jabotinsky, anglophile passionné malgré tout, donna à l’Irgoun l’ordre d’arrêter ce genre d’actions pour coopérer avec les Britanniques. Stern proposa la démarche opposée. Son credo était : notre ennemi c’est la Grande Bretagne. La guerre nous fournit l’occasion de les expulser. L’ennemi de notre ennemi est notre ami, Adolf Hitler est un antisémite mais, pour le moment, il est notre allié potentiel.
L’approche de Stern causa une division dans l’Irgoun. Un vif débat éclata dans toutes les cellules secrètes. En tant que membre âgé de 16 ans j’y pris part. Étant réfugié de l’Allemagne nazie, je rejetai la thèse de Stern.
Stern constitua son propre groupe (appelé plus tard Lehi, initiales hébraïques de Liberté d’Israël, connu également comme le ‟groupe Stern”.) Il dépêcha en Turquie neutre un émissaire qui remit à l’ambassadeur allemand une lettre pour ‟Mr Hitler”, proposant sa coopération. Le Führer ne répondit pas. Cela se passa, bien sûr, avant l’Holocauste.
Stern fut arrêté par les Britanniques et ‟abattu alors qu’il tentait de s’enfuir”. Quand la guerre prit fin, et que la Russie soviétique devint l’ennemi de la Grande Bretagne et de l’Occident, les héritiers de Stern approchèrent Staline pour lui offrir leur collaboration. Staline dont l’antisémitisme devenait plus prononcé à l’époque, ignora la proposition.
Pendant la guerre, l’un des architectes de l’Holocauste fut Adolf Eichmann, l’officier SS qui était chargé d’organiser le transport des Juifs hongrois à Auchwitz. À Budapest il prit contact avec un groupe de sionistes dirigé par Israel Kastner avec lequel il passa un marché. Dans un geste de bonne volonté il l’autorisa à envoyer quelques centaines de Juifs en Suisse neutre.
Eichmann dépêcha un membre du groupe, Yoel Brand, à Istanboul, porteur d’une proposition insensée à la direction sioniste de Jérusalem : si les alliés fournissaient un millier de camions aux nazis, la déportation des Juifs hongrois serait arrêtée.
Contrairement aux instructions reçues, Brand traversa la frontière de la Syrie occupée par les Britanniques et se fit arrêter par eux. La déportation des Juifs hongrois – dix mille par jour – se poursuivit.
Quel était le dessein des nazis dans cette affaire bizarre ? Ma propre théorie c’est que Heinrich Himmler était déjà déterminé à détrôner Hitler pour conclure une paix séparée avec les alliés occidentaux. Eichmann servit son projet de prise de contact avec les alliés. En antisémite invétéré Himmler était convaincu que les Juifs dirigent le monde.
Quelque temps après la guerre, en captivité en Israël, Eichmann écrivit ses mémoires. Il y affirmait croire que les sionistes étaient l’élément ‟biologiquement positif” de la race juive.
Mahmoud Abbas, par ailleurs, lors de ses études à l’université de Moscou, rédigea sa thèse de doctorat sur la collaboration nazi-sioniste.
EST-IL possible que l’on trouve aujourd’hui chez les assistants de Trump à la fois des sionistes enragés et des antisémites enragés ?
Bien sûr que c’est possible.
Cette semaine notre ministre de la Défense d’extrême droite, Avigdor Lieberman, a condamné le projet français de réunir (à Paris d’ici quelques jours) une conférence sur la paix israélo-palestinienne. Le gouvernement israélien craint que le Secrétaire d’État John Kerry n’aille y présenter son projet concret détaillé d’accord de paix comportant l’instauration de l’État de Palestine. Ce projet serait adopté par la conférence et ensuite par le Conseil de Sécurité des Nations Unies.
Ce serait la flèche du Parthe d’Obama. Pas de véto.
(Par ailleurs, le projet de Kerry est presqueidentique à un projet que mes amis et moi avions publié en 1957, il y a 59 ans, sous le titre ‟Le manifeste hébreu”.)
Furibard, Lieberman a comparé cela à l’Affaire Dreyfus. Il y a quelque 120 ans, un capitaine juif de l’armée française avait été condamné à tort pour espionnage en faveur de l’Allemagne et envoyé à l’Ile du Diable de la Guyane française. Il fut plus tard acquitté. La mythologie sioniste considère que Theodor Hertzl, alors correspondant à Paris d’un journal de Vienne, fut tellement choqué par l’évènement qu’il en conçut l’idée du sionisme.
La prochaine conférence de Paris, a déclaré Lieberman en colère, est la réédition de l’Affaire Dreyfus, cette fois contre l’ensemble du peuple juif.
Mais il n’y a pas lieu de s’inquiéter : Donald Trump et ses sionistes antisémites vont remettre les choses en ordre.