« Un vent nouveau souffle
sur l’Europe ». Après ses
visites officielles à
Londres puis à Paris, mi-juin, au
lendemain des carnages qui ont décimé
des familles entières dans la bande de
Gaza, le Premier ministre israélien n’a
pas caché sa satisfaction. L’Europe,
autrefois honnie, accusée d’une politique
« pro-arabe » et « pro-palestinienne » au
prétexte qu’elle défendait sinon en actes
du moins dans ses principes le droit
international, est aujourd’hui appelée à
devenir la partenaire de ses projets. Pure
propagande pour forcer la main des
chancelleries ? Pas seulement. Car les
décisions accumulées par l’Union
européenne et ses Etats membres ces
derniers mois indiquent bel et bien un
rapprochement avec Tel-Aviv que permet
une relecture des responsabilités du
conflit et de ses impasses politiques.
D’un côté, en effet, les satisfecit dispensés
aux gouvernements Sharon puis
Olmert depuis le désengagement de
Gaza, présenté comme un acte de paix
courageux, en dépit de son pendant officiel
: l’accélération, en Cisjordanie, de
la colonisation et de la construction illégale
du mur d’annexion, dans une perspective
de définition unilatérale des frontières.
De l’autre, des sanctions politiques
et économiques contre le peuple palestinien,
quelques jours seulement après
la nomination de son gouvernement,
que dirige le mouvement de la résistance
islamique, le Hamas, vainqueur
des élections législatives.
« Deux poids, deux mesures » ?
Le 10 avril dernier, au Luxembourg, le
conseil des ministres des Affaires étrangères
de l’Union européenne a ainsi
décidé, à la suite des Etats-Unis et du
Canada, de suspendre toute aide financière
à l’Autorité nationale palestinienne,
à l’issue des élections législatives qui
ont donné la majorité au mouvement
Hamas. Une décision qui a sérieusement
aggravé la crise humanitaire
qu’impose l’occupation à la population
palestinienne.
A la suite de ses partenaires du « quartette
pour le Proche-Orient », l’UE a
fixé au gouvernement du Hamas trois
conditions pour reprendre son aide : la
reconnaissance d’Israël, celle des accords
signés depuis Oslo par l’OLP et l’arrêt
des violences. Sans jamais exiger la réciproque
de la puissance occupante. Ni
la reconnaissance de l’Etat palestinien
dans les frontières de 1967, ni le droit
international, ni la mise en oeuvre des
accords signés à commencer par le gel
de la colonisation, ni l’arrêt des violences,
à commencer par les assassinats
« ciblés » et leurs cortèges de morts
« collatéraux ».
Depuis plusieurs années, les ONG françaises
et européennes de défense des
droits humains et de solidarité avec le
peuple palestinien réclament pourtant la
fin de l’impunité israélienne et une conditionnalité
des relations économiques de
l’Europe avec Tel-Aviv. Elles demandent,
notamment, que l’application de
l’accord d’association conclu à l’issue du
sommet de Barcelone de 1995 soit soumise
au respect par Israël du droit international,
de ses obligations internationales
et au respect des droits humains,
conformément à son article 2. Une
demande reprise à son compte à plusieurs
reprises par une majorité des parlementaires
européens. Le 10 avril 2002,
notamment, durant l’offensive israélienne
dite « Remparts » contre la Palestine,
qui a abouti à la réoccupation par
Israël de tous les territoires palestiniens
et à la destruction de ses institutions, ils
ont réclamé, à une nette majorité, la suspension
de cet accord d’association. Les
gouvernements européens et la commission
ont toujours refusé d’envisager
cette hypothèse. Les résolutions de la
Cour internationale de Justice du 9 juillet
2004 déclarant illégal le mur israélien
en Cisjordanie et requérant de la communauté
internationale qu’elle prenne
ses responsabilités pour que la construction
en soit interrompue, que les parties
déjà construites soient abattues, et que
les terres et les biens confisqués soient
restitués aux Palestiniens, sont restées sans
suite, en dépit du vote de l’Assemblée
générale des Nations unies du 20 juillet,
au cours duquel les 25 Etats membres
de l’UE ont pourtant approuvé ces recommandations.
A la lutte contre l’impunité du gouvernement
et de l’armée israéliens, qui
aurait été un message fort au peuple
palestinien et à ceux qui, en Israël, se
mobilisent pour une paix fondée sur le
droit, l’Union européenne a préféré le
« dialogue » avec Tel-Aviv en dépit de
son inefficacité. Pire : l’UE et ses Etats
membres ont développé une coopération
économique mais aussi stratégique
sans précédent avec Israël. Jusqu’à la
mise en oeuvre de la « politique européenne
de voisinage », qui se veut une
étape bien supérieure à celle permise
par la ratification de l’accord d’association,
intégrant de facto Israël au marché
européen et à ses programmes de
recherches. Cette politique de voisinage,
pourtant, s’appuie sur l’affirmation de
valeurs et de principes communs, aux premiers
rangs desquels la promotion de
la paix et la défense de la démocratie.
Le bât blesse, mais le « dialogue » se
poursuit au rythme des contrats.
D’un côté, donc, une stratégie du dialogue
et de la coopération avec la puissance
occupante et son gouvernement, en dépit
du terrorisme d’Etat qu’il pratique et
qui fauche des vies quasi-quotidiennement.
De l’autre, la classification du
Hamas sur la liste des organisations terroristes
malgré la trêve observée depuis
18 mois, et un gouvernement palestinien
sommé de se soumettre, lui, aux
conditions fixées par l’UE. Et c’est à
l’encontre du peuple palestinien et de
ses représentants démocratiquement élus
que surgissent, pour la première fois
dans ce conflit, la décision et la mise en
oeuvre de sanctions. Ce n’est pas seulement
un choix fondé sur un « deux
poids, deux mesures », c’est aussi une
inversion des termes du conflit, celui d’une occupation par Israël des territoires
palestiniens.
La mauvaise foi de l’UE
Dans une tribune au quotidien Le Monde
le 9 mai dernier, Benita Ferrero-Waldner,
commissaire européenne pour les
relations extérieures, oubliant totalement
l’acteur israélien et le fait de l’occupation,
tente de convaincre que l’Europe
déploierait une double volonté : celle de
« ne pas punir » le peuple palestinien
pour son choix démocratique en poursuivant
une partie de son aide, et celle
d’amener progressivement le gouvernement
du Hamas à intégrer, au fond, la
logique d’Oslo.
Elle entend donc d’abord dédouaner
l’Europe : « la Commission n’a pas suspendu
son aide au peuple palestinien.
L’engagement, en février 2006, de 120
millions d’euros d’aide a permis de subvenir
aux besoins élémentaires de la
population. Ces 120 millions représentent
cinq fois les fonds engagés en 2005
à la même époque et la moitié du budget
consacré chaque année en moyenne
à l’aide palestinienne (...) Cette suspension
frappe uniquement l’aide budgétaire
accordée directement au gouvernement
de l’Autorité palestinienne,
ou passant par lui. C’est une mesure de
précaution contre un emploi des fonds
européens par le Hamas. Elle a été unanimement
approuvée par les 25 ministres
des affaires étrangères. » Et d’user de
comparaisons internationales. « La situation
humanitaire dans les territoires
(sic) est très préoccupante. La Commission
n’en a que trop conscience.
Mais nous ne pourrions pas à nous seuls
empêcher une catastrophe humanitaire,
même si nous mobilisions en un jour la
totalité de notre aide financière annuelle.
Il faut rester lucide sur l’influence réelle
de la communauté internationale », dit-elle,
sans jamais souligner que c’est
l’occupation israélienne, qui avait transformé
la Palestine en marché captif et
en bassin de main d’oeuvre bon marché
avant de jouer la carte de la « séparation
», c’est-à-dire de l’accaparement
des territoires et de l’enfermement des
populations, qui accule l’économie palestinienne
à la faillite. Une politique de
confiscation des terres et des ressources,
de destructions des infrastructures, en
particulier celles financées avec des fonds
européens, de bouclages, d’interdictions
de circulation des personnes, des biens
et des capitaux... En ce sens, l’aide internationale,
en particulier celle qui se
déploie depuis les accords d’Oslo, ne
saurait en rien se définir comme un généreux
apport caritatif à un peuple en mal
de développement. Elle n’est en réalité
rien d’autre qu’une (faible) compensation
à l’absence de solution politique
susceptible de mettre fin à l’occupation.
Et un alibi facile au désengagement
de l’Union européenne sur ce terrain.
Mais les dirigeants israéliens ne seront
montrés du doigt - bien timidement-
que pour leur dernière infraction : « Du
côté israélien, le gel des recettes fiscales
palestiniennes comme le bouclage des territoires
(re-sic) sont des problèmes
majeurs. Ces recettes fiscales, qui sont
la propriété des Palestiniens, représentent
une somme bien plus élevée que
toute l’aide extérieure. Ceux qui craignent
les retombées de la suspension de
l’aide européenne doivent savoir que
plus de 90 % des salaires publics sont
habituellement financés par ces recettes
fiscales. » Benita Ferrero-Waldner ne
rappelle pas les obligations de la puissance
occupante définies par la Quatrième Convention de
Genève, et ne définit à
aucun moment les pressions
que compte adopter
la Commission pour
contraindre Israël à restituer
ces sommes. Car de
pressions, il n’y aura pas sur
Israël. La commissaire a dès
lors beau jeu d’en appeler aux
« contribuables européens, nos
pourvoyeurs de fonds », lesquels
« attendent de nous que
nous soutenions ceux qui oeuvrent
pacifiquement pour la paix ».
Précisément : les contribuables
en question réclament, notamment
par la voix de leurs parlementaires
européens, que des pressions économiques
s’exercent sur Israël pour que
les financements apportés en Palestine
occupée ne ressemblent plus au
tonneau des Danaïdes, qui se déverse
au rythme des bombardements et des
coups de bulldozers israéliens.
Ensuite, la commissaire désigne le seul
coupable : le gouvernement palestinien.
Curieuse hypocrisie qui consiste à affirmer
le respect du verdict des urnes, à
l’issue d’élections saluées comme transparentes
et démocratiques, et à en refuser
le résultat tout en prétendant ne pas
accuser les électeurs pour leur choix.
« Comment agir face à un gouvernement
mené par les membres d’une organisation
que tous les Etats européens qualifient
de « terroriste » ? Que faire face à
des autorités qui, récemment encore, tentaient
de justifier les attentats-suicides en
Israël ? C’est à ces questions que nous
sommes confrontés. Et notre réponse est
double : aider le peuple palestinien, rester
très ferme vis-à-vis du gouvernement
palestinien tant que sa position sur les
sujets essentiels identifiés par le Quartet
n’évolue pas. » C’est là non seulement
revendiquer la politique du « deux
poids deux mesures » vis-à-vis de l’occupant
et de l’occupé, mais aussi s’aveugler
sur les raisons d’un vote pourtant
analysé par tous les observateurs : la
population palestinienne dans le territoire
occupé a voté pour « la réforme et
le changement », après plusieurs années
de pouvoir solitaire d’un Fatah dont
certains cadres sont accusés de corruption
politique,
et alors que le processus
de paix s’est transformé en processus
de colonisation à outrance et qu’au
programme de paix et de négociation de
Mahmoud Abbas n’a répondu que l’unilatéralisme
des faits accomplis et des
projets d’annexion de la Cisjordanie,
camouflé par le retrait des colons de
Gaza. Applaudissant cette politique,
saluant le redéploiement de Gaza comme
un acte courageux et se taisant sur la
poursuite de la construction du mur,
l’Europe n’a fait qu’encourager cette
stratégie, portant dès lors une lourde part
de responsabilité dans les résultats du
scrutin qu’elle dénonce aujourd’hui.
La Palestine mise sous tutelle
Pourtant, l’Europe s’inquiète. A ses
portes, la crise humanitaire due à
l’asphyxie imposée par le siège israélien
et renforcée par la suspension de
l’aide internationale, crise annoncée depuis
des mois par les ONG autant que par les
diverses institutions de l’ONU, a commencé
de faire des dégâts. Sociaux, mais
aussi politiques (voir page 9). Tel-Aviv
parie sur l’effondrement de l’Autorité
nationale palestinienne. Washington sur
celui du gouvernement Hamas. L’Europe
est plus circonspecte. Car elle ne veut pas
que s’écroulent les bribes d’institutions,
embryons du
futur et hypothétique Etat
palestinien duquel elle a contribué à
la construction. D’où le jeu dangereux
de la différence affichée entre une présidence
reconnue et un gouvernement
isolé avec qui les gouvernements européens
ne veulent aucun contact. En tout
cas dans l’attente d’éventuelles inflexions.
« Nous ne cherchons pas à acculer un
gouvernement à l’échec, mais bien à lui
proposer une issue pour sortir de l’impasse », affirme Benita Ferrero-Waldner. C’est dans cette perspective que
Bruxelles s’est attelée à chercher des « modes
alternatifs d’acheminement de l’aide », avec
« un mécanisme international de supervision ».
A l’origine sur une proposition de Jacques
Chirac, formulée fin avril, à l’occasion de la
visite en France du président palestinien.
Le 9 mai, le quartette a donc chargé l’Europe
d’étudier des scénarios acceptables par
l’ensemble des donateurs et par la Banque
mondiale. Le 18 juin, alors que les salaires de
quelque 165000 fonctionnaires -faisant vivre
plus du quart de la population palestinienne des
territoires occupés- n’étaient toujours pas
payés, les 25 ont adopté un mécanisme qui
permet d’acheminer des fonds en Palestine
occupée, tout en confirmant sa mise sous
tutelle. Il s’agit d’un mécanisme en trois volets :
d’une part, la mise en place d’un fonds transitant
par la Banque mondiale et chargé du
financement du secteur de la santé ; d’autre
part la création d’un plan de secours d’urgence
susceptible de financer, notamment, l’énergie
; enfin, l’approvisionnement d’un fonds
d’allocations sociales pour les plus démunis,
permettant de verser de l’argent directement
sur des comptes individuels, selon des mécanismes
pas encore définis. Le quartette a donné
son aval à ce mécanisme. Sans que nul ne
s’interroge sur le fait que le gouvernement
israélien, qui avait osé prétendre mettre le
peuple palestinien « à la diète », souhaite reverser
par cette entremise une partie des taxes
qu’il détourne.
On comprend qu’au-delà des protestations du
gouvernement palestinien, qui dit « apprécier
les efforts déployés par les parties internationales
pour alléger le siège économique
imposé au peuple palestinien » mais « regrette
profondément l’insistance du quartette à poser
des conditions » et refuse de céder à ce qu’il
considère comme un chantage, le président
Mahmoud Abbas ait jugé ce mécanisme
d’autant plus « insuffisant » qu’il « annule le
rôle du gouvernement et de l’ANP ».
Unilatéralisme et tracé des frontières
Deux poids deux mesures encore. C’est avec
le tapis rouge que Londres puis Paris ont reçu
le nouveau Premier ministre israélien Ehud
Olmert, à la mi-juin. Celui-ci est venu plaider
en faveur d’un soutien européen à son projet dit de « regroupement ». Le projet, qui
a l’aval du parti travailliste d’Amir Peretz,
vise à « regrouper » les quelque
70000 colons des petites colonies les
plus « isolées » en Cisjordanie dans les
grands blocs de colonies en pleine expansion,
notamment dans et autour de Jérusalem
et dans la vallée du Jourdain [1].
L’échec d’une négociation avec la partie
palestinienne à laquelle Olmert nie
toute légitimité tant que l’actuel gouvernement
sera en place servirait de prétexte
à l’annexion pure et simple de ces
colonies, à l’horizon 2008. Se concentrant
sur l’évacuation des petites colonies
et négligeant le corollaire du programme,
la même Benita
Ferrero-Waldner a qualifié le plan de
très courageux [2].
La France défend officiellement une
autre vision. Elle considère que la politique
unilatérale n’est pas une solution
et se dit favorable à une solution concertée
sur la base de la « Feuille de route ».
En recevant Ehud Olmert à Paris, Jacques
Chirac a eu l’occasion de le rappeler :
la France, officiellement, considère qu’une
frontière déclarée de façon unilatérale
ne pourrait pas être reconnue, ni recevoir
une validation internationale. La précision
n’est pas mince. Il n’empêche :
lorsque Ehud Olmert se dit dialoguiste
et renvoie la balle du refus dans le camp
palestinien, Paris ne dit mot. Et lorsque
Paris réfute une démarche unilatérale
israélienne, c’est avec le sourire dû à
« l’homme de paix », et sans envisager
la moindre pression. Au contraire.
Entre nouveaux marchés et guerre des civilisations
Comment lire cette politique européenne,
comprendre ses ressorts ? Réalignement
sur les positions américaines, au
nom d’intérêts économiques que la critique
radicale de la guerre contre l’Irak
par une partie de la « vieille Europe », et
singulièrement par la France, a réduit ?
Les entreprises des pays récalcitrants
sont privées d’accès aux marchés, non
seulement celui de la « reconstruction »
de l’Irak réparti par les majors américains,
mais plus largement ceux d’une économie
mondialisée. Intégration de la lecture
néo-conservatrice américaine du
monde divisé en civilisations antagonistes,
en l’occurrence le monde occidental
réputé « démocratique », en état
de permanente légitime défense préventive
contre la menace terroriste, ne
violant les droits humains dans l’horreur
de Guantanamo ou d’Abou Ghraib
que pour préserver ses bons citoyens
sous contrôle ou ses valeurs normatives,
et de l’autre « le » monde de l’islam, a
priori suspect ?
Dans un contexte de propagation du discours
sécuritaire qui balaie tous les
domaines de la vie sociale de manière
indifférenciée jusqu’à préconiser, en
France, l’identification précoce des
signes précurseurs de la délinquance en
observant dès la crèche les risques de
comportements déviants, une telle lecture
populiste du monde bénéficie d’un
terreau que le simplisme nourrit dangereusement.
« Où passe la frontière entre l’islam et
le terrorisme, le musulman fréquentable
et l’agent de Ben Laden, le bon « citoyen »
et le vilain « communautariste », le Palestinien
résistant à une impitoyable occupation
militaire et le “suppôt des intégristes
” ? A la lecture des discours
dominants en Europe et en France, il
devient de plus en plus difficile de le dire
(...) » écrivent Esther Benbassa et François
Burgat [3] dans une tribune parue
dans le quotidien Libération le 5 juin
dernier. Et les chercheurs poursuivent :
« En fait, le Hamas ne menacerait donc
pas seulement l’existence de l’Etat le
plus puissant de la région, soutenu par
la première puissance mondiale. Il mettrait
aussi en péril la « modernité », la
rationalité des « Lumières » et, argument
suprême sans cesse réitéré, les droits
des femmes et ceux de toutes les minorités
! Là résident les motifs non avoués
des mesures prises contre le nouveau
gouvernement palestinien. Tout cela sans
se demander pourquoi les Palestiniens
ont voté pour le Hamas. Et sans mesurer
les risques d’une guerre civile qui
plongerait le pays dans la détresse et
l’impasse. Notre intérêt passionné pour
la « libération des femmes musulmanes »,
menacées par les « intégristes », en vient
insensiblement, dans le cas de la Palestine,
à prendre le pas sur la défense de
leur humanité la plus élémentaire. Elles
ne méritent en effet notre sollicitude
humaniste qu’à cause de la nature de
la menace identifiée : la violence machiste
de ces hommes barbus qu’elles ont pourtant
massivement élus, et non celle des
bulldozers ou des balles de l’armée qui
perpétue son occupation. Ces femmes
et leurs proches sont-ils asphyxiés économiquement
et financièrement, expropriés
de leurs habitations ou éliminés
par les balles de l’armée d’occupation ?
Peu importe : conservons intact notre
émoi pour « lutter contre l’intégrisme »
du Hamas. Quitte à cautionner l’humiliation
et la misère qui résultent de la
suspension de l’aide internationale et
de la confiscation des taxes douanières
par Israël, et qui ne sont clairement pas
de nature à faire reculer l’intégrisme
ni le terrorisme mais, au contraire, à
les nourrir. »
Dans un discours prononcé à Herzliya
en décembre 2004, Nicolas Sarkozy,
ministre de l’Intérieur et candidat probable à la présidentielle
de
2007, ne se
contente pas
de saluer la
coopération
franco-israélienne
telle
que le projet
de tramway la
c o n c r é t i s e
jusque dans
les colonies. Il
va jusqu’à
évoquer le
combat commun
francoisraélien
de
1956. C’est-à-
dire l’expéd
i t i o n
franco-britannico-israélienne contre
la nationalisation égyptienne du canal
de Suez, un peu plus de dix ans avant
la guerre des Six jours et la condamnation
gaullienne de l’occupation.
Une étude globale sur les perceptions
réciproques entre « musulmans »
et « occidentaux » réalisée par le Pew
Research Center et dont l’International
Herald Tribune du 23 juin [4]
publie des extraits, donne un aperçu
du divorce consommé. A la question :
« Pensez-vous que les relations
actuelles entre musulmans dans le
monde et populations des pays occidentaux
tels que les Etats-Unis et
l’Europe sont généralement bonnes
ou mauvaises ? », l’énorme majorité
des uns et des autres répond
« mauvaises ». C’est le cas à 70% en
Allemagne et 66% en France, à 64%
en Turquie et 54% en Egypte... Parmi
les musulmans, beaucoup mettent en
exergue le conflit entre Israël et Palestine
comme l’une des causes majeures
de cette rupture, soulignant la politique
de deux poids et deux mesures
adoptée dans la lutte contre le terrorisme,
rappelle le Herald Tribune.
La politique européenne, avec d’un
côté des sanctions contre le gouvernement
palestinien et la mise sous
tutelle des institutions d’une population
asphyxiée, et, de l’autre, le
développement des relations économiques,
scientifiques, technologiques,
culturelles, politiques et stratégiques
avec Israël, en dépit de sa
politique illégale, n’est pas seulement
injuste et dangereuse pour toute
la région. Elle l’est aussi pour nos
sociétés où elle vise à nourrir tous les
fantasmes islamophobes d’un côté,
tous les ressentiments, qui ne peuvent
que les accompagner, de l’autre, et
à délégitimer du même coup les luttes
communes et solidaires contre les
injustices et pour le droit. C’est aussi
d’une certaine façon dans cette prétention
simplificatrice et anesthésiante
que le néo-conservatisme américain
et ses prolongements européens,
et le fondamentalisme d’al-Qaida,
se font miroir. La démocratie, elle,
a tout à y perdre.
Isabelle Avran