Une équipe de reconnaissance de la Brigade des Golani, unité d’élite des Forces de Défense Israéliennes [NDT : nom officiel de l’armée israélienne], a perpétré un crime haineux contre des Palestiniens d’un camp de réfugiés de Naplouse mais leurs commandants ont décidé de ne pas punir les troupes impliquées.
C’est ce que montre une enquête de Haaretz qui prouve que quand l’incident a été connu des officiers supérieurs de la brigade d’infanterie, dont son commandant, il a été décidé de couvrir l’affaire. Les plus hauts gradés des FDI n’ont appris ce qui s’était passé qu’après que le quotidien israélien les ait sollicités pour qu’ils répondent de leurs actes, plus de deux ans après les faits.
L’incident de Naplouse, qui s’est déroulé dans la nuit du 15 au 16 février 2018, trouve son origine dans un autre évènement : deux jours avant, un accident impliquant plusieurs véhicules s’est produit sur la Route 6, dans lequel trois membres de la Brigade des Golani ont été tués. Leur lieutenant s’appelle Guy Eliahu.
Les soldats se déplaçaient en convoi de trois Hummer de camouflage, roulant lentement, proches les uns des autres, seulement éclairés de faibles lumières rouges. À un moment, ils se sont arrêtés brutalement, sans laisser le temps au chauffeur du camion qui les suivait de freiner. Le dernier dernier véhicule du convoi a été percuté, deux soldats furent tués sur le coup et un troisième est mort de ses blessures. Les autres ont été légèrement blessés.
Une enquête de l’édition en hébreu de Haaretz en mars dernier a fait la lumière sur une série de défaillances dans la conduite de ceux impliqués dans cet accident (à la fois avant et après celui-ci), en révélant ce qui semble être des témoignages concertés, des tentatives d’obstruction à la justice, un document falsifié et des officiers supérieurs qui ont fermé les yeux sur ce qui s’est réellement passé. Le lieutenant Guy Eliahu a finalement été puni beaucoup plus tard à une très courte peine d’emprisonnement.
D’après ces informations, il semblerait que l’accident du 13 février 2018 fasse partie de la suite des évènements qui se sont déroulés à Naplouse. Deux jours après, Guy Eliahu et ses hommes sont arrivés à la colonie de Shavei Shomron, au nord de la Cisjordanie, où le bataillon d’élite s’est installé tout en menant des opérations de routine.
Ce jour là, les soldats ont le moral au plus bas et le commandant du bataillon, le Lieutenant-Colonel Shimon Siso, estime que la meilleure chose à faire est qu’ils reprennent rapidement leurs habitudes. « Ils doivent reprendre leur activité pour ne pas déprimer », aurait dit Siso aux officiers du bataillon.
Il est alors décidé d’envoyer Eliahu et son équipe en opération nocturne dans le camp de réfugiés de Naplouse. À leur retour avant l’aube à Shavei Shomron, aucun événement inhabituel n’est signalé.
Mais plus tard dans la matinée, un soldat de l’Administration Civile, l’organisme israélien qui gère les territoires occupés, arrive à la base. Il demande à parler aux responsables et se retrouve devant Shimon Siso. Le soldat lui dit qu’il a reçu des informations de Palestiniens selon lesquelles les soldats de l’équipe d’Eliahu ont vandalisé des voitures dans le camp de réfugiés.
Le Lieutenant-Colonel Shimon Siso ordonne une enquête sur l’incident. Quand il est apparu clairement que tout avait été consigné et que les autres officiers des FDI étaient au courant, le Lieutenant Guy Eliahu a avoué les actes de vandalisme. Il a raconté que ses soldats avaient ressenti le besoin de prendre leur revanche sur les Arabes parce que le chauffeur du camion qui avait provoqué l’accident sur la Route 6 était un Arabe de Jérusalem-Est.
Au cours de son interrogatoire,le lieutenant Eliahu a reconnu qu’après avoir procédé à des arrestations pendant la fameuse nuit, un de ses soldats s’était mis à vandaliser une voiture pour « se défouler ». Quand les autres membres de la brigade ont vu cela, ils ont décidé de participer, en endommageant d’autres véhicules et en menaçant les Palestiniens qui étaient dans le coin. Guy Eliahu les a laissé faire. « J’ai eu l’impression que je devais les laisser se défouler », a-t-il dit . « Nous voulions venger l’attaque [c.à.d., l’accident] ».
Une fois l’enquête terminée, Shimon Siso s’est concerté avec les autres officiers de la brigade et a fait venir le lieutenant Eliahu. Le supérieur a décidé de ne rien faire, ni de punir Eliahu, ni de parler de ça à qui que ce soit.
Mais des membres de la brigade vivaient mal cette dissimulation si bien qu’à un moment, l’incident de Naplouse est revenu aux oreilles du commandant de la brigade, le Colonel Shlomi Binder. Pourtant, le temps a passé sans que rien ne se produise ; Binder a même été promu brigadier-général et commande aujourd’hui la 91ème division, division territoriale du Commandement Septentrional des FDI, basée en Galilée.
Il y a eu des soldats et des commandants pour essayer de soulever la question du fiasco de Naplouse devant des officiers supérieurs des Golani. Mais le message reçu a été que l’histoire devait rester au sein du bataillon de la brigade Golani et qu’il n’était pas prévu d’agir contre quelque membre que ce soit de l’équipe d’Eliahu.
Le silence a été maintenu au sein de la brigade, même quand des rapports sur ce qui est arrivé à Naplouse sont parvenus aux médias. Ces rapports ont d’abord affirmé que des militants d’extrême-droite étaient responsables des actes de vandalisme dans le camp , que des colons juifs étaient venus dans les parages et que les forces de sécurité faisaient une enquête sur l’incident. Chez les Golani, silence. Le porte-parole des FDI est resté muet.
C’est ainsi que deux années supplémentaires se sont écoulées jusqu’à ce que Haaretz contacte l’armée pour avoir le fin mot de l’histoire. La demande a été reçue avec surprise : les officiers supérieurs des FDI, y compris les membres du service du Procureur militaire, ignoraient totalement que les responsables du vandalisme dans le camp de Naplouse étaient des chasseurs d’élite de l’unité Golani.
Finalement, le porte-parole de l’armée s’est contenté de cette réponse :
Il s’agit d’un incident exceptionnel et grave, au cours duquel un soldat a inutilement crevé un certain nombre de pneus lors d’une action opérationnelle. Immédiatement après, cet évènement a fait l’objet d’une enquête effectuée par le commandant du bataillon et il a été décidé de suspendre le chasseur du reste du déploiement opérationnel et de réprimander le commandant de l’équipe pour n’avoir pas fait cesser ses hommes. Après l’incident, sa gravité a été soulignée devant tout le bataillon et il a été expliqué que de tels incidents seraient à l’avenir traités avec sévérité.
Toutefois, l’information obtenue par Haaretz indique qu’en dépit de la réponse de l’armée, aucun soldat n’a été suspendu.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers