Photo : Une ferme d’élevage de moutons à l’est de l’avant-poste d’Avigayil, dans le sud de la Cisjordanie, cette année. La ferme a été créée peu après la décision de la Haute Cour sur ce cas, et elle élève au moins un troupeau. Crédit : Guy Botavia, Ta’ayush.
L’État autorise six élevages de moutons gérés par des Israéliens à fonctionner à Masafer Yatta, une région du sud de la Cisjordanie qui a été déclarée zone de tir, après que les juges de la Haute Cour de justice ont autorisé l’expulsion de ses résidents palestiniens. Chacune de ces fermes possède au moins un troupeau. Les fermes ont été construites à proximité des avant-postes illégaux de Mitzpeh Yair, Avigayil et Havat Ma’on. Les Palestiniens qui suivent les événements dans la région rapportent que deux de ces fermes ont été établies avant la décision de la Haute Cour de mai 2022, et qu’au moins trois ont été construites par la suite. Le coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires déclare qu’il ne connaît pas ces fermes et que si elles sont identifiées, des mesures légales seront prises à leur encontre. Cependant, Haaretz a appris que l’administration civile, qui est subordonnée au COGAT, a émis des injonctions administratives - des ordres d’arrêt des travaux et de démolition - à l’encontre de ces fermes. Les autorités ont démoli l’une des fermes dans le passé, mais elle a été reconstruite.
Un Israélien vivant à proximité a déclaré à Haaretz que des colons et des officiers des Forces de défense israéliennes lui avaient dit que les propriétaires de troupeaux juifs de la région avaient reçu des permis de pâturage à Masafer Yatta, mais qu’ils ne lui avaient montré aucun document confirmant leurs affirmations. Le COGAT n’a pas répondu à une demande de Haaretz concernant l’attribution de zones de pâturage dans une zone de tir de l’armée.
Malgré les injonctions, les résidents palestiniens locaux et les militants israéliens des droits de l’Homme ont constaté une activité continue et intense autour de ces fermes, avec des camions qui déchargent, un camion de ciment qui pose une surface en béton et des véhicules tout-terrain qui entrent et sortent des fermes, ainsi que des personnes à cheval. Les anciennes bergeries et tentes, ainsi que les nouvelles qui ont été ajoutées récemment, sont visibles de loin. L’une des fermes élève également des chameaux. Les Palestiniens de la région disent qu’ils voient souvent des soldats à proximité des bergers israéliens, les accompagnant dans la zone de tir.
Trois fermes ont été construites à l’est de Mitzpeh Yair, dans une zone que les Palestiniens appellent Wadi al-Gat. La première a été construite il y a deux ans. La deuxième, située un peu au sud de la première, a été construite il y a un an, prenant possession de grottes d’habitation utilisées par les Palestiniens depuis des décennies. La troisième ferme a été construite il y a quelques semaines, plus profondément à l’intérieur de la zone de tir déclarée, dans une zone où l’on peut clairement voir des clôtures en pierre et des grottes aménagées pour l’habitation il y a des années par les Palestiniens locaux.
La quatrième ferme a été construite à l’est de l’avant-poste d’Avigayil peu avant la décision de la Haute Cour. Elle possède au moins un troupeau. Deux autres fermes ont été construites sur la colline de Mashakha, à l’est de Havat Ma’on, sur l’ancien site de ce même avant-poste, qui a été déplacé par l’armée en 2004. Les résidents locaux et les activistes notent que ces fermes sont occupées principalement par des jeunes religieux qui emmènent les troupeaux paître pendant la journée et passent la nuit sur place. Des colons plus âgés, connus de la communauté des colons et de l’armée, vivent dans les avant-postes les plus anciens et sont apparemment ceux qui sont directement responsables de l’exploitation de ces fermes.
Ce mode de fonctionnement est familier à d’autres élevages de moutons et de bovins qui ont été créés en Cisjordanie : un adulte ou une famille responsable reçoit un troupeau de moutons, tandis qu’un groupe de jeunes religieux vit et travaille à la ferme, emmenant les moutons paître. Ce phénomène s’est particulièrement développé et consolidé au cours de la dernière décennie. Il existe actuellement 23 fermes de ce type (dont ces six-là) rien que dans les collines du sud d’Hébron.
Comme dans d’autres parties de la Cisjordanie, les témoignages de Masafer Yatta indiquent que les bergers israéliens recourent à l’intimidation et à la violence pour chasser les bergers et les résidents palestiniens des pâturages qu’ils utilisent depuis des décennies, et pour leur bloquer l’accès aux citernes d’eau qu’eux-mêmes ou leurs parents ont creusées il y a longtemps. Selon des témoignages, les bergers israéliens de Masafer Yatta lâchent leurs troupeaux dans les champs d’orge palestiniens ou à travers leurs bosquets, comme dans d’autres parties de la Cisjordanie, les troupeaux décimant les récoltes. L’armée avait précédemment fermé certaines de ces parcelles, les déclarant zones militaires interdites aux Israéliens après que des colons y eurent pénétré et que des affrontements eurent éclaté.
L’avocat Roni Pelli, de l’Association des droits civils en Israël, l’organisation qui, avec l’avocat Shlomo Lecker, représente les résidents palestiniens de Masafer Yatta depuis 1999, a déclaré à Haaretz que "les documents historiques montrent que, même il y a 40 ans, le fait de déclarer une zone zone de tir avait pour but d’expulser ses résidents. À la suite d’une telle décision, l’armée rend les choses plus difficiles, rendant la vie des habitants insupportable. Récemment, des avant-postes ont vu le jour dans la région, avec une violence croissante de la part des colons.
"Comme dans d’autres endroits de Cisjordanie, les habitants de Masafer Yatta ont été abandonnés à leur sort, l’armée ne faisant rien pour protéger leurs vies et leurs biens. La différence avec les autres endroits est que personne ne cache l’intention de les expulser de la zone, tous les moyens pour le faire étant considérés comme légitimes. Il faut savoir que l’expulsion de résidents protégés est interdite et peut constituer un crime de guerre, même si elle se fait en leur rendant la vie impossible."
À Masafer Yatta, au sud-est de la ville de Yatta, il y a des hameaux-cavernes depuis le 19e siècle, occupés par des bergers qui y vivent la majeure partie de l’année, cultivant du blé, de l’orge et des légumes pour leur propre usage. Vers la fin du printemps et en été, certains d’entre eux se déplaçaient vers l’ouest, dans les villages de Yatta, Dura et Samoa. Les hameaux troglodytes, comme d’autres petits villages palestiniens à travers le pays, ont d’abord été formés comme des extensions naturelles et reconnues de villages existants, là où la population avait augmenté, ou lorsqu’il était nécessaire d’étendre les pâturages, ou de chercher de nouvelles sources d’eau. Au fil du temps, ils sont devenus des villages réguliers et permanents.
Dans le village de Jinba, des habitations en pierre ont été construites au début du 20e siècle. Les FDI ont fait sauter la plupart d’entre elles en 1966. Au début des années 80, les FDI ont déclaré une zone s’étendant sur 30 000 dounams (7 413 acres) comme zone de tir 918, à la suite d’une recommandation faite par le ministre de la défense Ariel Sharon aux responsables de la défense, afin de bloquer l’expansion et la consolidation des villages palestiniens existants dans la région. Malgré cette déclaration, les habitants de 12 petits villages ont continué à vivre dans la région, dans leurs grottes et dans les tentes qu’ils ont érigées au fil du temps à l’extérieur de celles-ci. Les exercices militaires, s’il y en avait, se déroulaient dans des zones limitées. Néanmoins, les autorités israéliennes ont interdit la construction d’habitations permanentes ou tout raccordement aux infrastructures d’eau et d’électricité.
En 1999, en plein processus d’Oslo et alors qu’Ehud Barak était Premier ministre et ministre de la défense, les FDI ont expulsé 700 habitants des petits villages de la région, démolissant leurs structures et leurs citernes. À la suite d’une requête, la Haute Cour a émis une injonction temporaire, leur permettant de revenir, mais pas de reconstruire leurs structures ou leurs citernes, ni d’en construire de nouvelles. Il leur a également été interdit de construire des routes de liaison. De nombreuses structures qui, faute de choix, ont été reconstruites par la suite ou construites sans permis ont été déclarées illégales par l’administration civile.
Après de nombreuses tergiversations de la part de l’État et malgré plusieurs tentatives de rapprochement entre les résidents et les autorités israéliennes, l’État a insisté pour considérer ces résidents comme des envahisseurs de la zone de tir. Les résidents ont poursuivi leurs recours en justice contre la démolition de leurs maisons et leur expulsion. En mai 2022, les juges ont rejeté le recours contre l’existence de la zone de tir et ont obligé les plaignants, parmi les plus pauvres des Palestiniens, à payer 40 000 shekels (10 700 dollars) de frais de justice. Depuis cette décision, Israël n’a pas expulsé ces résidents dans la pratique, mais a pris des mesures pour leur rendre la vie encore plus difficile. Il a accéléré la démolition d’habitations et d’une école, confisqué des véhicules, ajouté des barrages militaires et continue d’arrêter des bergers palestiniens de temps à autre.
Traduction : AFPS