Basel al-Badawi est âgé de 16 ans, élève en 10ème année, le descendant de réfugiés et aussi frère endeuillé : son frère aîné a été tué sous ses yeux il y a un an. Omar avait 22 ans quand les Forces de Défense Israéliennes l’ont tué par un tir à courte distance et ont affirmé ensuite qu’elles pensaient que la serviette qu’il tenait - avec laquelle il essayait d’éteindre un feu dans sa maison - était un cocktail Molotov.
Nous sommes allés voir la maison quelques jours après qu’Omar a été tué, au coeur du camp de réfugiés de Al-Arroub, entre Hébron et Bethléem, pour connaître les circonstances de sa mort. Il y a deux semaines – quatre jours après le premier anniversaire de son assassinat – des soldats des FDI sont retournés au bâtiment sur les marches duquel ils ont tué Omar. Cette fois, ils sont venus au coeur de la nuit pour arrêter son frère cadet, Basel. Ils l’ont enlevé de chez lui alors qu’il était pieds-nus, ne portant que des vêtements de nuit, et l’ont emmené pour presque une journée entière de détention et d’interrogatoire. Ce n’est qu’à l’aube que ses interrogateurs lui ont apporté une paire de chaussures.
Cette maison ne s’est pas encore remise de son deuil pour Omar. Une soeur, Maram, nous ouvre la porte et immédiatement se retourne et s’en va, en nous regardant de travers. La petite salle de séjour colorée est ornée de photos de Omar et d’affiches vieilles d’un an en sa mémoire. Al-Arroub se trouve sur le versant d’une colline – un petit camp surpeuplé et pauvre qui en rappelle un de la Bande de Gaza.
La famille ici continue à compter les jours de deuil. Depuis combien de temps Omar a-t-il été tué ? « Une année et 20 jours », répond son frère aîné, Ahmad, 26 ans, qui est au chômage à cause des circonstances. Ils se rendent aussi sur la tombe, à quelques centaines de mètres de la maison, presque tous les jours. Quand nous sommes arrivés au camp cette semaine, nous avons constaté que les soldats des FDI avaient verrouillé le principal portail d’entrée, en y entassant encore plus étroitement les 15.000 habitants. Pourquoi ? Pourquoi pas ?
Le jour précédent trois soldats étaient entrés à pied dans le camp en passant par son centre, une action clairement destinée à provoquer les jeunes. Ensuite deux jeeps de l’armée sont entrées et les jeunes leur ont jeté des pierres. Pourquoi les jeeps sont-elles entrées ? Pourquoi pas ? En réponse, les soldats ont arrêté tous ceux qu’ils rencontraient ; ils ont réussi à attraper neuf jeunes, dont cinq ont été libérés peu de temps après, tout en plaçant les quatre autres en détention. Routine dans un camp de réfugiés où il y a nulle part où aller et rien à faire.
- Le camp de réfugiés de Al Arroub en Cisjordanie. Crédit : Alex Levac
Selon les données de l’association israélienne des droits de l’homme B’Tselem, 157 enfants et jeunes palestiniens [2] étaient toujours incarcérés en Israël à la fin de septembre – 18 d’entre eux ayant moins de 16 ans. Un rapport publié conjointement cette semaine par les associations Yesh Din-Bénévoles pour les Droits de l’Homme, Médecins pour les Droits de l’Homme et Breaking the Silence, sur les descentes
nocturnes dans les foyers palestiniens et sur les dommages psychologiques qu’elles provoquent, constatent que 64 % des familles qui ont témoigné ont déclaré que les soldats ont fait incursion dans leur foyer plus d’une fois, et que dans 88 % des cas les descentes avaient eu lieu la nuit. Selon les données des Nations Unies pour 2017 et 2018, les soldats sont entrés 6.402 fois par effraction dans les foyers palestiniens dans l’ensemble de la Cisjordanie, une moyenne de 267 incursions par mois, environ 10 par nuit.
La nuit de samedi à dimanche, les 15 et 16 novembre, Basel et Ahmad étaient dans leur chambre au second étage de la maison. Ahmad dormait, Basel jouait à des jeux sur son téléphone. Les écoles de l’endroit ne sont ouvertes ces jours-ci que de façon intermittente, à cause de la pandémie de coronavirus, et les jours où il n’y a pas de cours il va se coucher tard. C’est un jeune costaud, solidement bâti, avec les premiers soupçons d’une barbe ; les manifestations du deuil de son frère, dont il a été le témoin direct de la mort, sont toujours sensibles dans son attitude et dans le ton de ses paroles.
Le chercheur de terrain de B’Tselem, Musa Abu Hashhash, demande à Basel pourquoi il est triste, mais il reste silencieux. A 2h15, ce matin-là, Basel a entendu du bruit venant de la direction de la porte d’entrée. Quelqu’un était en train de la forcer. Vite il a réveillé Ahmad. Dans le même temps, leur soeur adolescente, Maram, s’est précipitée dans leur chambre pour les réveiller. Basel a ignoré notre question de savoir s’il avait eu peur, mais cela était la première fois que des soldats revenaient dans la maison depuis l’assassinat de Omar.
En descendant les escaliers, déclare Basel, il a vu sept ou huit soldats, en armes
et portant un équipement de protection et un masque. Des dizaines de soldats supplémentaires se pressaient dehors. Un clip vidéo, filmé par un bénévole de B’Tselem qui habite dans le camp, montre le début de l’incident : les occupants de la maison sont debout les bras levés, les soldats pointent leur fusil sur eux, les rues étroites sont remplies presque jusqu’à l’éclatement et la tension est au point de rupture. Ainsi que cela s’est passé, en plus de parents et de trois de leurs enfants, les deux autres soeurs de Basel et leurs enfants en bas âge étaient aussi logés là. Il y avait environ 15 personnes dans la maison.
« Kullu tamam », dit un des soldats dans la vidéo –« tout va bien ». A partir de ce moment-là, toutefois, rien n’allait bien. Les femmes et les enfants ont tous été enfermés dans une seule pièce, les soldats les y poussant alors qu’ils étaient tous hébétés de sommeil. Basel, en voyant un des soldats pousser sa mère, Hajar, s’est mis en colère et a poussé un soldat sur le bras. Le soldat a pressé Basel contre le mur, lui a lié les mains dans le dos et l’a emmené dans la cuisine, où il lui a bandé les yeux au milieu d’un torrent de malédictions. Il a ensuite emmené Basel dehors dans le froid de la rue.
Le père du jeune, Haitham, a essayé de lui donner ses chaussures, mais les soldats lui ont crié dessus et l’ont repoussé à l’intérieur ; on peut entendre leurs voix sur une autre vidéo. Le langage des soldats est grossier et sale : « Shtok, ya ben sharmut » (« La ferme, toi fils de pute ») – les entend-on dire à plusieurs reprises, avec les cris des femmes en arrière-fond. Les chaussures des soldats étaient recouvertes de boue et l’un des habitants leur a demandé de ne pas salir les tapis. En guise de réponse un soldat est aussi monté sur un fauteuil de la salle de séjour en le salissant. « Est-ce mieux pour vous maintenant » ? a-t-il demandé.
C’est un Basel aux yeux bandés, vêtu seulement de son pyjama, qui a été mené nu-pieds le long d’une route qui était encore humide à cause de la pluie qui était tombée la nuit précédente. Un voisin a essayé aussi de lui donner une paire de chaussures, pour n’être que poussé à l’écart par les soldats. Alors que Basel était mené au véhicule militaire, son cousin, qui habite dans le bas de la rue, lui a crié : « N’aies pas peur, Basel » ! L’adolescent menotté et les yeux couverts a répondu, « Ne t’inquiètes pas ». Il l’a payé : un soldat l’a frappé à la tête avec la crosse de son fusil, en criant « La ferme ! »
A côté de leur véhicule blindé, se rappelle Basel, deux soldats l’ont tiré dans des sens opposés, probablement en rivalisant pour savoir lequel d’entre eux le ferait monter dans le véhicule. Puis ils l’ont poussé à l’intérieur et l’ont frappé à coups de pieds, jusqu’à ce qu’ils tombent sur le plancher. En route les soldats l’ont insulté. Quand il a demandé, « Pourquoi vous m’insultez » ? Il lui ont donné des coups de pieds alors qu’il était était couché par terre.
Basel a été emmené vers une base des FDI à quelques minutes de voiture de là, apparemment dans la colonie de Karmei Tzur, au Nord de Hébron ; il a été forcé de s’asseoir sur le sol, dehors dans le froid, avant d’être traîné vers une chaise. Les menottes en plastique lui rentraient dans les mains, liées derrière le dos. Il a demandé qu’elles soient desserrées, et elles l’ont été, mais il a toujours une
petite cicatrice à la main en guise de souvenir.
En jurant, les soldats tournaient autour de lui, jusqu’à ce qu’il n’en soit resté qu’un seul qui lui a marché sur ses pieds nus en lui faisant mal. Basel déclare qu’il est demeuré environ une heure dehors, et un soldat est arrivé et l’a tiré par ses mains liées dans une pièce, le faisant s’asseoir sur le sol. On a fait rentrer deux autres personnes arrêtées venant de Al-Arroub. Il entendu les soldats prononcer leur nom : Walid Swailam, 41 ans, et Qusay Badawi, 17 ans, qui est un membre de la famille élargie de Basel. Un médecin militaire est arrivé pour les examiner, et par précaution contre la contamination au coronavirus, leur a demandé s’ils avaient toussé au cours des derniers jours. Basel pouvait voir un peu de ce qui se passait à travers son bandeau sur les yeux.
Vers 6 h du matin, lui et Qusay ont été emmenés dans une jeep de l’armée vers la base de Etzion, où ils ont été laissés, menottés, jusqu’à 8 h où Basel a été emmené dans une salle d’interrogatoire. L’interrogateur lui a donné une paire de chaussures. Il les a toujours et nous les montre, avec répugnance ; des chaussures marron en lambeaux qu’une autre personne arrêtée a sans doute laissées dans la salle d’interrogatoire.
L’interrogateur lui a posé des questions au sujet d’un cocktail Molotov qui a été lancé cette semaine sur un véhicule militaire ; Basel a nié être l’auteur de l’acte. L’homme lui a montré une photo et affirmé qu’il était sur celle-ci, mais Basel a dénié que ce soit lui. L’interrogatoire a continué pendant plusieurs heures, avec un interrogateur disant s’appeler Moshe, un autre du nom de Yossi et un troisième sans aucun nom, un bon et un mauvais, la procédure habituelle. En arrière-fond, des chansons en hébreu étaient diffusées en permanence sur un ordinateur.
Basel déclare ne pas savoir s’ils étaient des policiers ou des agents du Shin Bet. Le « méchant flic » l’a criblé d’accusations, en réclamant des noms, en frappant sur la table, en le traitant de menteur. Un interrogateur a suggéré qu’il admette au moins avoir jeté une pierre sur une barrière, mais il a refusé. Un autre, en colère, l’a finalement poussé dehors. Ils lui ont donné de l’eau, la seule subsistance qu’il ait reçu pendant toutes ces heures. Cependant, dit-il, ils ne lui ont pas permis, cependant, pendant toute la durée, d’aller aux toilettes.
Basel connaît Yossi depuis un interrogatoire précédent. Le 11 décembre 2019, un mois après que Omar a été tué, il a été convoqué, par le biais de son père, aux installations de Etzion et interrogé sur le fait d’avoir jeté des pierres. Cela n’a pas nécessité la courageuse descente nocturne de dizaines de soldats et tout le reste : un appel téléphonique à son père a suffi pour l’amener à la salle d’interrogatoire. Il y serait allé cette fois, aussi, ajoute-t-il, s’il avait été convoqué.
La nuit est déjà tombée quand le frère de Basel, Ahmad a reçu un appel lui ordonnant de venir chercher son frère. Les interrogateurs ont enlevé à celui-ci les menottes et l’ont mis dehors d’un coup de pied, en le laissant près du portail de la base. Il était 19h30, 17 heures après qu’il a été arrêté. De retour chez lui, il a dévoré le repas que sa mère lui a préparé : une omelette, de la salade, du houmous.
Il n’a pas réussi à s’endormir avant 3h du matin.
- Crédit : Alex Levac
L’Unité du Porte-parole des FDI a apporté cette semaine la réponse suivante à une question de la part de Haaretz : « La nuit du 15 au 16 novembre 2020, le suspect a été arrêté par les forces de sécurité sous le soupçon d’être impliqué dans le jet de cocktails Molotov et de pierres sur des véhicules israéliens.
Au cours de l’arrestation, la force armée a rencontré une violente résistance et à une émeute de la part de la famille du suspect, qui habite dans la maison. En conséquence, et afin de réduire les risques encourus par les combattants et par l’activité opérationnelle, la force armée a séparé le suspect de sa famille et a quitté la maison avec le suspect dans un court laps de temps.
« Contrairement à ce qui est prétendu, à aucun moment de l’activité d’arrestation la force armée n’a remarqué que quelqu’un de la famille se soit approché (du suspect) pour lui donner des effects personnels. En outre et contrairement à ce qui est prétendu, quand le suspect est arrivé à la base militaire, on lui a donné un traitement approprié et une boisson chaude, la possibilité d’aller aux toilettes. Après quelques heures, le suspect a été transféré à la Police israélienne pour continuer à s’occuper de lui ».
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT prisonniers de l’AFPS