Ça a commencé vendredi quand je me suis réveillé aux cris de mon jeune frère : "Au feu ! C’est de la folie ! Au feu !"
Je me suis levé du lit, dans ma maison située dans un camp de réfugiés de la bande de Gaza assiégée. Le vendredi est un jour de repos ici, et je m’étais endormi après un repas copieux. Il était maintenant midi, et pendant un moment, j’ai pensé que quelque chose dans notre maison s’était accidentellement enflammé. "Que s’est-il passé ?" J’ai crié.
"Le feu !" a répondu mon frère. "La guerre !"
J’ai rapidement bu de l’eau et je me suis dirigé vers notre balcon. Mon téléphone n’avait plus de batterie et il n’y avait pas d’électricité dans la maison ; à chaque fois que cela se produit, le balcon devient ma station d’information.
Bien sûr, j’ai vu plusieurs familles dans la rue, principalement des enfants et des femmes, marchant rapidement d’est en ouest en portant des sacs sur leur dos. On aurait dit que cela se passait vraiment à nouveau.
À 19 heures, j’ai enfin pu charger mon téléphone et consulter les informations. J’ai vu la photo d’un père tenant le cadavre de sa fille de cinq ans - celui d’Alaa Qaddoum. Il y avait d’autres photos d’une maison qui avait été bombardée.
Photo : Une femme palestinienne pleure devant une morgue après une frappe aérienne israélienne à Gaza le 5 août 2022. (Mohammed Zaanoun/Activestills)
Des flashs de souvenirs des guerres passées m’étouffaient mais j’essayais de ne pas les laisser prendre le dessus sur moi. J’avais besoin de quelque chose pour me distraire.
Nous avons nos propres rituels familiaux en temps de guerre. Ma mère se promène de pièce en pièce, essayant de trouver où mettre mes sœurs pour qu’elles soient en sécurité. Mais où, maman ? Mon père, qui travaille dans une banque, a peur que son salaire ne soit pas déposé - sinon, comment allons-nous vivre ?
À 20h30, les sirènes des ambulances hurlent comme des tambours de guerre. Elles sont le seul son dans la rue, et rien autour de moi n’est calme. Des voitures passent, des matelas et des oreillers attachés à leur toit. Des centaines de personnes marchent pour se mettre à l’abri. Et je suis resté là, sur le balcon, à scruter leurs sacs à dos.
Le sac à dos est devenu un symbole de Gaza en temps de guerre. Il contient généralement des choses pratiques : votre passeport, quelques documents personnels, votre diplôme universitaire, votre assurance médicale. Le sac à dos est ce qui vous aide à construire votre nouvelle identité après que les avions de guerre ont détruit votre maison et tous vos biens. Il devient une partie de qui vous êtes.
Photo : Des Palestiniens constatent les dégâts suite à une frappe aérienne israélienne dans le quartier de Sheikh Acleyn dans la ville de Gaza le 6 août 2022. (Mohammed Zaanoun/Activestills)
Alors que je regarde les dizaines de sacs à dos qui se déplacent lentement devant moi, mon frère crie d’en bas. "Viens vite ! Ils vont faire sauter la boulangerie d’Abu Muhammed !"
Je me précipite vers la boulangerie de l’autre côté de notre rue, et je vois des dizaines de personnes rassemblées là, qui essaient d’attraper des sacs de nourriture dans le magasin. Mais je me rends vite compte que ce n’est pas à cause d’une attaque aérienne imminente - les gens ont peur que le pain vienne à manquer, alors ils prennent ce qu’ils peuvent.
Alors que je regarde tout cela, ma petite sœur, inconsciente de ce qui se passe, me touche l’épaule. "Prends-moi en photo", me demande-t-elle, vêtue de sa nouvelle chemise.
"Tu crois vraiment que c’est le moment de faire des photos ? !" Je lui réponds en hurlant. "Va, va-t’en." Mais une pensée terrifiante traverse alors mon esprit - le pire scénario qui pourrait arriver à ma sœur dans un moment comme celui-ci. Alors je cède, et je prends rapidement deux photos d’elle. En temps de guerre, les humains doivent devenir plus gentils.
Photo : Des Palestiniens constatent les dégâts après une frappe aérienne israélienne dans le quartier de Sheikh Acleyn dans la ville de Gaza le 6 août 2022. (Mohammed Zaanoun/Activestills)
J’essaie de dormir mais je n’y arrive pas à cause de la chaleur étouffante. Il n’y a pas d’électricité, ce qui signifie qu’il n’y a ni ventilateur ni climatiseur. Israël nous a empêché d’importer du gaz depuis lundi - lorsque l’armée a commencé à renforcer le blocus avant son assaut - et notre unique centrale électrique ne fonctionne plus. Des perles de sueur me recouvrent. Puis, soudain, le courant revient ! Je me dépêche d’allumer le ventilateur et de fermer les yeux.
En temps de guerre, le bourdonnement constant des drones israéliens, que l’on entend partout à Gaza, ne fait que s’amplifier. Des dizaines d’entre eux planent dans le ciel à tout moment ; parfois, ils tirent un missile. Le vent frais du ventilateur m’aide à m’endormir enfin. Le bruit blanc et le grincement des pales noient le bourdonnement provenant de l’extérieur de ma fenêtre.
Ismail est le pseudonyme d’un journaliste de Gaza âgé de 28 ans qui a demandé à rester anonyme par crainte de représailles.
Traduction et mise en page : AFPS /DD