Le but de cette réforme est de limiter le pouvoir de la Cour suprême au profit du parlement et du gouvernement. (La Cour suprême – plus haute instance judiciaire israélienne – vérifie la constitutionnalité des lois votées et effectue le contrôle juridictionnel des décisions du gouvernement… ce qui n’est pas du goût ni de Netanyahou, empêtré dans de multiples affaires judiciaires ni de sa majorité parlementaire nettement dominée par l’extrême droite). Si cette réforme devait être adoptée, il s’ensuivrait une limitation de la séparation des pouvoirs, caractéristique fondamentale des régimes démocratiques, à laquelle s’opposent les gouvernements dits illibéraux (Trump, Bolsonaro hier, Modi, Orban, Netanyahou… aujourd’hui).
La question de la démocratie est donc bien centrale dans cette affaire qui concerne les Israéliens, seulement eux ? Certes non ! Et l’intérêt de la situation actuelle est le (re)surgissement de la question coloniale, alors que, pour certains protestataires, elle n’est pas à l’ordre du jour. En effet, les principaux dirigeants du mouvement, issus de l’élite israélienne aux moyens financiers importants (high-tech, grandes entreprises, banques, assurances…), ne se préoccupent que des atteintes du projet du pouvoir à la démocratie libérale. Or, la durée de la protestation et sa massivité font que des centaines de milliers de personnes se mêlent de politique, qu’il est possible de discuter et que les oreilles s’ouvrent pour écouter. Il est aujourd’hui possible de parler de la crise systémique qui touche Israël, notamment la crise sociale et les questions liées à la colonisation de la Palestine. Pour l’avocat Michael Sfard (opposé à la colonisation), « si on ne s’occupe pas de l’occupation et qu’on ne lutte pas pour l’arrêter, Israël ne sera jamais une démocratie ».
Aujourd’hui, le rôle des organisations (comme Standing together [Debout ensemble] qui rassemble des juifs et des Palestiniens d’Israël) et de personnalités (avocats, universitaires) anti-occupation se renforce et leur parole devient de plus en plus audible : (« Aujourd’hui, on peut même parler de l’apartheid sans se faire tabasser », disait récemment l’un d’eux). Le 28 juillet dernier, Standing together a organisé un rassemblement d’une centaine de personnes dans la colonie de Kedumim (près de Naplouse) où réside Bezalel Smotrich, ministre des Finances et figure de proue des suprémacistes juifs, pour manifester leur opposition à l’occupation. Le face-à-face avec les colons fut tendu, mais il n’y eut pas d’incidents violents.
Le 25 août, une nouvelle manifestation de quelque 150 personnes fut organisée à Kiryat Arba, une des plus anciennes colonies créée en 1970 à proximité d’Hébron par les fondateurs du sionisme religieux et qui est devenue le fief d’Itamar Ben Gvir, chef du parti d’ultra-droite « Puissance juive ». Ben Gvir, ancien voyou, est aujourd’hui ministre de la Sécurité nationale. Belle promotion ! La manifestation a été organisée au parc Kahane, du nom du fondateur du Kach, parti interdit en Israël en 1994 pour apologie du racisme par la Cour suprême, dont Ben Gvir se proclame héritier. À côté de ce parc se trouve la tombe de Baruch Goldstein, l’assassin de 29 Palestiniens dans la mosquée d’Ibrahim (Caveau des patriarches pour les chrétiens et les juifs) le 25 février 1994. Ce membre du Kach est devenu une véritable icône pour les colons intégristes. Les participants à la manifestation du 25 août provenaient aussi bien d’organisations anciennes (Breaking the Silence, B’Tselem, Standing together…) que nouvelles (Regarder l’occupation dans les yeux [2021]). Pour ces organisations, la colonisation étant au cœur de la question démocratique, c’est dans les colonies, et notamment à Hébron qui en est l’épicentre, qu’il faut aller manifester : « Les colons qui vivent en Cisjordanie sont maintenant entrés au gouvernement. Ils veulent prendre le contrôle de l’État pour ensuite prendre le contrôle de la Palestine », note Mossi Raz, ancien député du Meretz (gauche). La manifestation est peu appréciée des colons qui font face aux manifestants. Les deux camps s’insultent mutuellement de part et d’autre d’une zone tampon sous contrôle policier.
Cette confrontation dure dans Kiryat Arba apparaît clairement, bien que minoritaire, comme l’essence de l’opposition actuelle en Israël entre partisans et adversaires de la réforme judiciaire dont le but ultime vise à constitutionnaliser et institutionnaliser la suprématie raciste juive dans tout le territoire compris entre la Méditerranée et le Jourdain. C’est un véritable coup d’État qui est en préparation… dont les Palestiniens seront les premières victimes.
Jacques Fontaine