1.Quelles sont les armes “classiques”
utilisées par l’armée israélienne ?
On entend par armes« conventionnelles »
toutes celles qui ne sont ni nucléaires,
ni bactériologiques, ni chimiques. L’armée
israélienne en a fait un usage massif et
indiscriminé. La liste qui suit est confirmée
par toutes les sources.
Les bombes à phosphore
Ce sont des bombes explosives incendiaires.
Le phosphore, qui existe sous
deux formes (blanc et rouge), est un
matériau pyrophore. Le phosphore blanc
connu sous le nom de Willy Pete (WP),
est le plus instable ; il est hautement
soluble dans les lipides d’où une pénétration
rapide dans la peau. Un obus au
phosphore cause des brûlures très graves
et une mort lente, terriblement douloureuse.
La réaction chimique continue
jusqu’à ce que toute la matière soit consumée,
faute d’oxygène. Cette arme est
aussi utilisée à des fins de signalisation,
comme moyen de repérer des cibles,
pour l’éclairage et comme projectiles
perforants contre des blindés, d’où son
classement dans la catégorie des « armes
conventionnelles ».
L’utilisation du phosphore est corroborée
par des différentes sources. Le quotidien
Ha’aretz du 13 septembre dernier
cite des témoignages de militaires. « Il
est clair que les soldats de l’armée israélienne
ont tiré des obus au phosphore
pour provoquer des incendies et délimiter
les périmètres à bombarder. Un
commandant a admis avoir vu des
camions chargés d’obus au phosphore
en route vers les équipes d’artillerie ».
Timor Goksel, porte-parole pendant 20
ans des observateurs de la FINUL, a
dénoncé pendant des années l’usage de
bombes au phosphore au sud du Liban.
En juillet 2006, il réitérait ses accusations,
après avoir examiné des cadavres
civils à la morgue de l’hôpital de Tyr.
Y-a-t-il eu un usage important de ces
munitions ? Difficile de donner des
chiffres. Ce que l’on sait c’est qu’elles
ont été utilisées contre des populations
civiles, dans des zones densément peuplées.
Les bombes thermobariques à effet de souffle
Elles sont aussi appelées bombes à implosion
ou bombes à vide. Cette arme combine
des effets thermiques, d’onde de
choc et de dépression. Elle contient deux
charges explosives. Après la mise à feu,
la première explosion ouvre un réservoir
qui disperse généralement du fioul (d’où
le nom de Fuel-Air explosive). La deuxième
charge explose ensuite, créant par
la combustion de l’oxygène une formidable
dépression : tout l’air est alors
« aspiré ». Cette alternance explosive cause
des brûlures graves, très difficiles à soigner,
et des traumas particuliers, notamment
pulmonaires, dus à la dépression.
L’ampleur inédite des destructions (îlots
entiers d’habitations effondrés dans la
banlieue sud de Beyrouth, villages du
Sud-Liban détruits pour certains à 80%,
comme à Khiam), atteste de l’utilisation
importante des bombes à implosion.
Principale pourvoyeuse de ces munitions,
l’armée américaine continue à les développer de manière à en intensifier l’onde de choc et la pression.
Les bombes « bunker-buster »
Comme leur nom l’indique, elles sont
conçues pour pénétrer des cibles fortifiées
ou enterrées en profondeur. Développées
par le constructeur d’armes américain
Lockheed à la demande du Pentagone
dans la perspective de la seconde
guerre du Golfe, ces bombes de deux
tonnes et demi larguées par des F15 et
des F16 pénètrent à plus de 30 mètres sous
terre et dans 6 mètres de béton armé. De
par leur système de guidage très précis,
à laser, elles ne laissent aucune chance
aux populations réfugiées dans des abris
souterrains.
Ces bombes, comme celles à implosion,
ont été utilisées, entre autres, à Cana, le
30 juillet 2006.
Grâce au New York Times et à The Times
(britannique) du 22 juillet, on sait qu’à
la demande expresse du gouvernement
israélien, l’administration Bush a expédié
une grosse cargaison de GBU-28
(Guided Bomb Unit) à son partenaire
quelques jours après le déclenchement de
l’agression. Les avions transporteurs,
venant des Etats-Unis, ont fait escale
en Ecosse pour se réapprovisionner en
carburant. De sources concordantes, au
moins 100 bombes GBU-28 ont été livrées
à Israël. Une livraison faisant partie des
ventes d’armes américaines à Israël,
approuvées par le Congrès en 2005. Y
en a-t-il eu davantage, notamment des prototypes
de nouvelle génération, la GBU-39 qui peut détruire des cibles à 70 mètres
de profondeur ? Nul ne sait.
Les « bunker-busters » ont été utilisés
pour la première fois en 2003, lors de
l’invasion américaine de l’Irak. Mais à
deux reprises uniquement, en raison du
retard de livraison du constructeur. Sachant
que l’emploi d’une arme dans les conditions
réelles de guerre vaut plus que
n’importe quel test, l’utilisation de la
GBU-28 par l’aviation israélienne au
Liban sera, sans nul doute, extrêmement
précieuse pour Lokheed.
Les bombes à fragmentation
Cette bombe explose avant d’atteindre
sa cible ou à l’impact, en libérant des milliers
d’éclats qui se propagent à haute
vitesse dans des directions aléatoires. La
charge explosive ne constitue qu’un quart,
voire moins, de la masse totale de la
bombe. Le reste de l’engin se divise en
une multitude de projectiles meurtriers
et incandescents. Les éclats provoquent
des dégâts terribles en déchiquetant les
objets et les personnes à une portée excédant
largement le souffle de l’explosion.
Même à des centaines de mètres, les projectiles
peuvent être meurtriers.
Les chercheurs de Human Rights Watch
ont photographié des munitions à fragmentation
dans des unités israéliennes
d’artillerie stationnées sur la frontière
israélo-libanaise, lors d’une visite le 23
juillet dernier. Les photos montrent des
obus de type « Munitions Conventionnelles
Améliorées à Double Usage M483
A1 », produites et livrées par les Etats-
Unis. Selon certaines sources [1] , 150.000
bombes à fragmentation ont été larguées
par Israël sur le Liban.
Les bombes à sous-munitions(BASM)
Il s’agit d’une bombe à fragmentation de
nouvelle génération, composée d’un
conteneur principal (la bombe mère) qui
s’ouvre au-dessus de la cible et largue
une grande quantité de mini-bombes (88
ou 644, selon les modèles). Celles-ci - appelées des sous-munitions- explosent
à l’impact et s’éparpillent autour de
l’objectif sur une superficie d’au moins
230 m2. Elles sont de divers types et produisent
des effets différents (antipersonnel,
antivéhicule, anti-infrastructure, antipiste,
incendiaire, toxique), certains
modèles pouvant combiner les effets.
Conçues pour percer les chars, mais surtout,
selon Handicap International, « pour
saturer, pourrir et interdire une zone »,
les BASM mutilent ou tuent sur un grand
périmètre en provoquant des « souffrances
indicibles » [2]. Cette arme est dite de « saturation
de zone » car après largage, « personne
ne maîtrise plus la dispersion ni la
cible finale. Elle est donc indiscriminée
par nature » [3]. L’imprécision de ces
bombes comme leur capacité aveugle à faire
de grands dommages contre des cibles
indéterminées, avec une marge d’erreur
de 1,2 km par rapport à l’objectif fixé, en
font une arme très controversée.
L’essentiel des BASM, larguées par l’aviation
ou tirées par l’artillerie israéliennes,
est importé des Etats-Unis. Seul le modèle
M85 est fabriqué en Israël.
Les BASM, plus que toute autre arme, ont
été utilisées massivement et sans aucune
limitation : selon Handicap International,
quelque 2,8 millions de sous-munitions
ont été dispersées sur l’ensemble
du territoire libanais, en particulier au
Sud du pays. Toutes les grandes organisations
de défense des droits humains, et
les services de déminage, ainsi que les plus
hauts responsables de l’ONU, ont accusé
l’armée israélienne d’avoir délibérément
frappé des quartiers d’habitations. « Les
jardins, les maisons, les champs d’oliviers
sont infestés... »
Dans un article qui a fait grand bruit [4],
Meron Rapoport, journaliste à Ha’aretz,
a cité les témoignages de soldats expliquant
comment leurs supérieurs leur avaient donné l’ordre d’« inonder la zone
(ndlr : le sud-Liban) de bombes à fragmentation,
sans cible précise ».« Les
ordres étaient de saturer la zone ». Un officier
d’une unité de missiles a confirmé
l’utilisation massive de MLRS (Multiple
Lauch Rocket System) malgré leur
imprécision notoire. [5] « Nous n’avions
aucune possibilité de viser des cibles
isolées, notre commandement le savait
parfaitement (...).Ce que nous avons fait
était dingue et monstrueux », conclut-il.
De façon absolument criminelle, l’essentiel
des bombardements au phosphore et
de sous-munitions ont eu lieu, selon
l’ONU, durant les 72 dernières heures
précédant le cessez-le-feu.
La particularité redoutable de ces armes
est qu’elles n’explosent pas toutes à
l’impact au sol, mais demeurent actives,
devenant, de fait, des mines. Une fois la
guerre terminée, ces « bombes à redardement
» continuent donc à tuer et à mutiler.
Au Liban, leur taux d’échec terriblement
élevé est sans précédent : il a
été estimé à 40% par les Nations unies.
2. Ces armes sont-elles autorisées ?
De façon générale, le droit international
oppose les armes conventionnelles (ou
armes classiques), aux armes de destruction
massive (appelées aussi NBC ,
pour nucléaires, bactériologiques et chimiques
ou NBCR depuis l’inclusion des
armes radiologiques), frappées, elles,
d’interdiction absolue.
Il a fallu des dizaines d’années de négociations,
les efforts inlassables du CICR
et les campagnes d’opinion des ONG,
pour finalement obtenir des Etats qu’ils
reconnaissent que certaines armes
« conventionnelles » étaient, aussi, parfaitement
« inhumaines ». La « Convention
sur l’interdiction ou la limitation de
l’emploi de certaines armes classiques
pouvant produire des effets traumatiques
excessifs ou frappant sans discrimination
», adoptée le 10 octobre 1980, constitue,
à ce titre, une immense avancée des
lois de la guerre. A cet accord-cadre,
entré en vigueur en 1983, est rattaché
une série de protocoles, désignant les
armes interdites ou devant être restreintes.
C’est le cas des armes blessant par des
éclats non localisables (par rayons X)
(protocole I, 1983), des armes incendiaires
(protocole III, 1983) et des armes
au laser aveuglantes (protocole IV, 1995).
Les mines antipersonnel (protocole II)
sont, elles, formellement prohibées depuis
l’adoption, en 1997, du traité d’Ottawa.
Que peut-on en conclure ? Soulignons
d’abord une ambiguïté : hormis les mines
antipersonnel, les armes conventionnelles
« inhumaines » ne sont pas illégales
en toutes circonstances, seules leurs
conditions d’utilisation peuvent l’être.
En revanche, et le point est essentiel,
leur usage est strictement interdit, cette
fois « en toutes circonstances », contre des
cibles civiles et des « biens à caractère
civil ». Mais également contre les « cibles
militaires situées à l’intérieur d’une
concentration de civils ». Le phosphore
blanc entre absolument dans cette catégorie.
Les bombes à sous-munitions
(BASM) ne font pas encore
l’objet d’un protocole particulier,
mais pour le CICR, Amnesty
International et Handicap International,
il ne fait aucun doute
que « leur emploi au coeur de
zones peuplées au Liban (...)
constitue une grave violation
du droit international humanitaire
» [6]. Pour elles, les BASM sont, « de fait, des mines antipersonnel ».
L’Etat d’Israël, qui s’est fait une
spécialité assassine de ne signer
ni de ne ratifier - à une exception
près - aucun traité international [7], a envoyé au créneau
ses communicants pour expliquer que
ses armes conventionnelles étaient parfaitement
« légales » et que la Convention
de 1980 se contentait d’en fixer les règles
d’utilisation.
« C’est un faux débat », rétorque le délégué
au Liban de Human Rights Watch,
N. Houry. « Les civils sont en train de
mourir, d’armes conventionnelles ou
non conventionnelles. Notre priorité en
tant qu’organisation est de démontrer
qu’Israël ne distingue pas entre civils
et militaires ». Omar Nachabé, docteur
en criminologie, partage cet avis, faisant
remarquer : « Même les armes conventionnelles
utilisées non conventionnellement
sont interdites » [8].
3.L’armée israélienne a-t-elle utilisé des
armes de destruction massive ?
Des doutes graves portent sur l’emploi
par Israël de « bombes sales » et de munitions
à têtes chimiques. En l’état, seule
une enquête approfondie militaire, scientifique
et médicale menée par des experts
indépendants permettrait de lever toutes
incertitudes.
Les bombes sales à l’uranium appauvri
Leur utilisation semble quasiment acquise.
On appelle « bombes sales » des armes
qui favorisent la dissémination de produits
toxiques radiologiques. Les cent
bombes américaines à guidage laser GBU
28 (cf.“bunker-buster”) contenaient très
probablement des ogives à l’uranium
appauvri (UA).Même Amnesty International, toujours prudente, reprend à
son compte cette information dans un
communiqué.
La photo (ci-dessous) prise par le photographe
David Silverman, travaillant à l’agence
Getty Images News, a été publiée le 15
juillet dans The Guardian, avant de disparaître
totalement.On y voit le dard de
l’UA sur les obus.
C’est ce qu’affirme,
entre autres et avec force, l’ancien commandant
Dough Rokke. L’homme sait
de quoi il parle : il a servi pendant plusieurs
décennies dans l’armée américaine
et fut chargé au début de la guerre
du Golfe, en 1991, de préparer les soldats
à l’utilisation d’armes de destruction
massive (NBC), avant d’être dépêché en
Irak à la tête d’une équipe pour éliminer
les matériaux contaminés. Souffrant,
depuis, de diverses maladies connues
sous le nom de « syndrôme de la guerre
Golfe », il est, aujourd’hui, l’un des critiques
les plus véhéments des méfaits de
l’uranium appauvri. Pour lui, l’UA est chimiotoxique
et radiotoxique et les risques
sanitaires liés à son exposition sont évidents
(poumons, reins, peau, signes débilitants,
cancers, malformations congénitales
etc.). Il reste que la radioactivité
de l’UA est sujette à d’intenses polémiques.
L’OMS semble minimiser les
risques mais reconnaît, en même
temps, qu’il y a « de grandes lacunes
dans les connaissances » surtout à
long terme. Rappelons qu’aucun traité
spécifique n’interdit nommément les
armes à l’UA.
Ce n’est pas la première affaire d’uranium
appauvri qu’a à connaître le
Liban. En mai 2000, le correspondant
de RFI au Liban, Paul Khalifé,
avait rendu compte d’un branle-bas politique
et diplomatique, après la découverte
de débris de roquettes israéliennes
portant en anglais la mention de « Radioactive
material », aux côtés de deux combattants
du Hezbollah affreusement mutilés.
Des faits survenus trois semaines
avant le retrait israélien du Sud-Liban...
Bombes à tête chimique
Des présomptions sérieuses pèsent sur leur
utilisation, mais les preuves manquent.
Wayne Madsen affirme avec assurance
que l’armée israélienne a bien eu recours
à ces armes. Cet ancien officier de la
Marine américaine affecté à la NSA
(National Security Agency) sous la présidence
de Reagan, spécialiste de la
sécurité informatique et aujourd’hui
reconverti dans le journalisme d’investigation,
s’appuie sur des sources provenant
du renseignement militaire américain
pour l’attester. Selon lui, les bombes
américaines thermobariques fournies à
Israël contiennent du phosphore blanc
et d’autres substances chimiques. Cette
arme à bi et multi-usage ferait partie de
celles que les néoconservateurs ont faussement
accusé Saddam Hussein de détenir.
L’engin commercialisé comme une
bombe anti-mine à explosion différée
aurait une charge utile pouvant inclure
des produits chimiques.
Madsen rapporte également que des gaz
lancés par les Israéliens sur les villages
du sud Liban ont provoqué de violents
vomissements parmi la population.
Diverses sources corroborent l’utilisation
du « Baccilus Globogii ».
Difficile de recouper ces affirmations...
En revanche, on peut soutenir que l’Etat
d’Israël a toujours, et ce depuis sa création,
mené un programme de développement
d’armement à caractère offensif
comprenant d’« importantes capacités
en matière de guerre chimique et biologique
». Un rapport officiel de l’Agence
suédoise de recherche en matière de
défense, publié en décembre 2005 [9],
l’écrit en toutes lettres. Ce programme
d’armes de destruction massive est présenté
comme une force de dissuasion.
Le centre de gravité de toutes ces activités
se situe à Ness Ziona, au sud de
Tel Aviv, un lieu entouré du plus grand
secret. C’est là que se trouve, par exemple,
l’Institut pour la recherche biologique
(IIBR), depuis sa création en 1952. En
1992, la coordination et le financement
de l’IIBR ont été placés sous la direction
du Bureau des moyens spéciaux du
ministère de la Défense.
Israël entretient, bien entendu, le plus
grand flou autour de ces questions. Il n’a
jamais fait la moindre déclaration sur
ces activités, tout comme sur son programme
nucléaire. N’oublions pas qu’il
s’est toujours refusé à signer la Convention
relative aux armes biologiques et
toxiques du 10 avril 1972 - qui impose
l’interdiction de leur fabrication, de leur
stockage et de leur emploi ainsi que leur
destruction, ratifiée par 155 Etats- sans
jamais fournir la moindre explication.
S’il a signé la Convention sur les armes
chimiques du 13 janvier 1993, il ne l’a
jamais ratifiée. A la différence de 180 Etats
dans le monde.
Pour conclure, rappelons simplement
deux faits. D’abord, bien sûr, la catastrophe
de Bijlmer en 1992. Les dizaines d’enquêtes mises en place pour découvrir
les causes exactes du crash du Boeing
707 d’El Al sur ce quartier résidentiel
d’Amsterdam (43 morts et plusieurs
dizaines de blessés) n’ont jamais abouti
alors que les problèmes de santé publique
persistent encore jusqu’à ce jour. Bien
qu’une partie du contenu de la cargaison
demeure inconnue, les autorités ont
dû reconnaître que trois des quatre composants
du gaz innervant -le sarin- ainsi
que 190 litres de dimethyl methylphosphate
y étaient présents.
Autre fait : le 4 octobre 1998, le Sunday
Times de Londres citait une source militaire
israélienne faisant état d’exercices
de simulation au cours desquels des équipages
de F-16 avaient été entraînés à
charger en quelques minutes des armes
chimiques et biologiques sur leurs avions.
4.L’armée israélienne a-t-elle expérimenté de nouvelles armes ?
De nombreux témoignages recueillis par
des hôpitaux, des artificiers et des journalistes,
ainsi que des avis d’“experts”,
convergent : la guerre du Liban pourrait
avoir été un laboratoire d’expérimentations
d’armes nouvelles - testées dans
des conditions réelles de guerre pour être
perfectionnées.
« On parle de corps dont les tissus sont
nécrosés mais qui n’ont pas de blessures
apparentes ; de corps apparemment
“rapetissés” ; de blessés dont les jambes
à moitié emportées continuent à se nécroser
malgré l’amputation et qui meurent ;
de cas de blessures internes comme celles
provoquées par une explosion, mais sans
traces d’éclats ; ou bien de cadavres
noircis alors qu’ils ne sont ni calcinés, ni
présentant des brûlures, ou d’autres qui,
bien que blessés, ne semblent pas avoir
saigné... Tout cela suggère la possibilité
que des armes nouvelles aient été utilisées
: des armes à énergie directe, des
agents chimiques et biologiques, en une
sorte d’expérimentation macabre de la
guerre future dans laquelle on ne respecte
rien : ni règles internationales (de
la convention de Genève aux traités sur
les armes chimiques et biologiques), ni
réfugiés, ni hôpitaux et Croix-Rouge, sans
parler des civils et de leur avenir, de leurs
enfants, de l’environnement, tellement
empoisonné qu’y vivre sera une condamnation.
» [10]
Ce texte n’est pas de n’importe qui. Il est
signé Angelo Baracca (professeur de physique
à l’université de Florence), Paola
Manduca (professeure de génétique à
l’université de Gênes) et Monica Zoppe
(biologiste, laboratoire de thérapie génétique
et moléculaire à Pise). Tous interviennent
dans des colloques scientifiques
de renommée internationale. Ils sont à
l’initiative d’un appel aux chercheurs du
monde entier afin qu’ils apportent leurs
compétences. Ils exigent des garanties
quant à la préservation d’échantillons
biologiques prélevés sur les victimes et
demandent la constitution d’une commission
internationale d’enquête indépendante
des gouvernements.
« Les cadavres des huit
victimes examinées
(Rmeilé, 17 juillet)
étaient noirs, comme
carbonisés, mais
dessous, la couche cutannée et
les muscles étaient intacts et
c’est ça qui est suprenant. Leurs
cheveux et même leurs habits
étaient intacts, ils n’avaient pas
d’éclats d’obus dans le corps et
ne présentaient pas des traces
d’hémorragie ... » [11]
Dr Mario Aoun, président de l’Ordre des médecins
libanais et Dr Bachir Cham, chirurgien dirigeant un
hôpital à Saïda.
Durant la guerre, l’armée israélienne a
distribué de nouvelles directives de censure
interdisant de faire état de « l’utilisation
de types uniques de munitions et
d’armements » au Liban. Une note a été
envoyée le 23 juillet par le colonel Sima
Vaknin-Gil, chef de la censure militaire,
aux organes de presse israéliens couvrant
les opérations terrestres [12] . Pour pouvoir
travailler, ces derniers, photographes compris,
ont dû signer une décharge. Cette
nette allusion à des prototypes pourrait
confirmer l’utilisation d’armes nouvelles.
Une nouvelle génération d’armes est
aujourd’hui développée, non plus “cinétiques”
(à l’aide d’un projectile) mais à
énergie directe.Les premières classifications
distinguent les armes laser, les armes
au plasma et à impulsions (le projectile,
chargé électriquement, est composé d’électrons,
protons et neutrons), et les armes
à micro-ondes.
Le rabougrissement et le rétrécissement
des corps de certaines victimes libanaises
pourraient avoir été provoqués par des
armes à énergie directe. Le Dr Mario
Aoun, président de l’ordre des médecins
libanais, a fait état de rapports de médecins
venant de Tyr « soupçonnant l’utilisation
de bombes avec des matières paralysantes,
à partir du comportement de certains blessés ».
Depuis 1995, les
Etats-Unis et Israël
ont activement
développé une
arme à infra rouge
avancée, dans le
cadre d’un programme
commun
anti missile, secret,
connu sous le nom
de Tactical High
Energy Laser
(THEL). Il s’agit
d’une arme laser
chimique mobile.
On peut aussi
concevoir que les
Etats-Unis aient poussé Israël à parfaire et
à expérimenter sur le terrain une arme
nouvelle testée en Irak, le « Rayon de la
Mort » [13] qui consiste en l’envoi sur une
personne d’ondes courtes électro-magnétiques
semblables à celles des micro-ondes.
La criminalité de cette nouvelle génération
d’armes, pas toutes létales mais qui
provoquent -pour certaines- des douleurs
nerveuses insupportables, est l’impossibilité
pratique de distinguer le civil du
combattant. Elles portent donc en elles
la configuration des nouvelles guerres
totales, sans limites, où les lois de la guerre
deviennent, en pratique, obsolètes.
5. Quelle est l’ampleur des terres du Liban-Sud minées ?
Au total, plus d’un million de bombes à
sous-munitions larguées par l’armée israélienne
n’ont pas explosé et polluent, selon
Handicap International, près de « 500
sites » (villes, villages, champs cultivés,
terrains). L’agence Reuters estime, pour
sa part, que 170 villages seraient tapis de
mini-bombes. Dans certaines zones, Jan
Egeland, secrétaire général adjoint de
l’ONU, évalue le taux d’échec des BASM
à 70% ! C’est dire l’ampleur de la catastrophe.
Le danger permanent menaçant
les civils libanais serait pire qu’en Irak,
en 2003, en Afghanistan, en 2001, ou au
Kosovo en 1999.
La dépollution du territoire libanais et sa
sécurisation prendront, dans le meilleur
des cas, un an. Les experts les plus pessimistes- comme ceux de LandMine
Action (GB)- parlent plutôt en décennies.
On rappelle que le Laos, victime
de la première génération des BASM en
1975, compte encore aujourd’hui des victimes.
Dès la fin août, Amnesty international
et Human Rights Watch, mais surtout
Kofi Anan, exigeaient d’Israël des cartes
précises des régions polluées. Ils ne les ont
toujours pas.
« Le Hezbollah a ramassé un grand nombre
de ces bombes et les a mises dans des
boîtes pour les éloigner des enfants. On
ne peut le leur reprocher, ils risquent leur
vie », raconte Tekimiti Gilbert, chef des opérations
du Centre de coordination de
l’action contre les mines de l’ONU au
Liban. Mais ce genre de ramassage spontanné
rend, selon lui, plus difficile la localisation
de celles cachées -ensevelies sous
la terre ou sous les gravats des maisons
détruites. En effet, la « présence d’une
seule est une confirmation absolue qu’il
y en a beaucoup d’autres dans le voisinage
immédiat (...). Le Liban est petit et
le Sud encore plus. Larguer des bombes
à fragmentation dans des espaces aussi
confinés est mortel », conclut-il.
6. Quelles en sont les conséquences sur la
vie et la sécurité quotidiennes ?
Malgré le cessez-le-feu, la guerre n’est
pas terminée. Depuis le 14 août, avec le
retour des refugiés dans leurs foyers,
quatre Libanais, en moyenne, meurent
ou sont gravement blessés tous les jours.
37% des victimes ont moins de 18 ans. Les
enfants, qui prennent souvent les mines
pour des jouets, sont les premiers atteints.
Au 10 octobre, 129 civils avaient trouvé
la mort ou ont été mutilés (mains, bras, pied
arrachés, fragmentations dans le corps...).
« Jour après jour, le nombre de blessés
augmente avec l’ampleur des retours,
comme autant d’actes de guerre différés
contre les populations civiles. Ce sont de
véritables pièges », s’indigne Jean-Baptiste
Richardier, président d’Handicap
International.
Hormis la sécurité des personnes, les
BASM empêchent toute véritable reprise
économique. Traditionnellement rural (à
70%) et pauvre (le plus fort taux de chômage
du Liban), le Sud-Liban a déjà perdu
cet été ses récoltes de tabac- sa première
source de revenus. La cueillette des olives,
prévue en octobre, risque fort d’être aussi
compromise. Les agriculteurs devront
alors affronter un dilemme mortel : soit
risquer, malgré tout, la moisson, soit laisser
pourrir les olives dont ils dépendent
pour vivre. On sait que pour le moment,
les opérations de déminage se sont concentrées
sur les villages, les écoles et les terrains
de jeux, plutôt que sur les terres
agricoles.
L’Etat d’Israël a mené au Liban une guerre
totale, asymétrique, sans loi ni limites,
assimilant de facto les populations civiles
à « l’ennemi terroriste ». Les armes utilisées
sont autant d’aveux : elles disent un
modèle de guerre, éprouvé en Irak, où les
civils sont traités comme de « la viande à
griller » comme dans les guerres coloniales
du début du XIXè siècle. La question
de l’impunité des crimes israéliens se
pose non seulement humainement mais
ouvre de très sombres perspectives politiques.
En l’absence d’enquêtes internationales
indépendantes, de sanctions et
de réparations, la règle entérinée du « deux
poids deux mesures », alimente, jour après
jour, des haines inextinguibles. Lesquelles,
tôt ou tard, finiront par rendre bien réelle,
côté victimes, l’invention américaine folle
de la « guerre de civilisation ».
Claire Moucharafieh