Photo : Nedaa Salah retrouve sa famille après avoir été libérée de prison dans le cadre de l’accord d’échange, le 20 janvier 2025 © Quds News Network
Alors que l’attention du monde entier était focalisée sur la libération de trois otages israéliens du Hamas dimanche soir, on a beaucoup moins parlé de la libération de 90 Palestiniens de la prison israélienne, dont la plupart étaient détenus depuis des mois sans inculpation. Les premiers échanges prévus par l’accord de cessez-le-feu à Gaza devaient avoir lieu plus ou moins simultanément, mais Israël a retardé d’environ sept heures les libérations de la prison d’Ofer, en Cisjordanie occupée, laissant les familles des prisonniers attendre jusqu’à une heure du matin pour retrouver leurs proches.
Israël a imputé ce retard à la Croix-Rouge, tandis que les autorités palestiniennes ont affirmé qu’il y avait un problème avec la liste israélienne des prisonniers à libérer. Dans l’ensemble, le processus de libération a été marqué par la punition collective qui caractérise le traitement réservé par Israël aux Palestiniens dans les territoires occupés.
Des milliers de Palestiniens - dont des familles de prisonniers, des militants et d’anciens prisonniers - se sont entassés sur la place principale de Beitunia, près de Ramallah, attendant pendant des heures dans le froid pour accueillir leurs proches, sans savoir quand les 72 prisonniers et détenus arriveraient (12 autres, qui devaient être libérés à Jérusalem-Est, ont également été retardés). La foule a allumé des feux pour se réchauffer et certains jeunes ont brûlé un tas de pneus pour tenter de bloquer les avancées attendues de l’armée israélienne.
Les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne sont ensuite venues éteindre les incendies afin de ne pas donner à Israël une excuse pour retarder la libération des prisonniers. Cependant, il semble qu’entre l’armée israélienne, qui s’était engagée à empêcher les scènes de fête dans les rues de Cisjordanie, et les colons, irrités par la libération des prisonniers palestiniens, nombreux étaient ceux qui souhaitaient ardemment que la libération soit reportée.
Lors du précédent échange de captifs, en novembre 2023, des bus de la Croix-Rouge avaient transporté les prisonniers de la prison d’Ofer jusqu’au centre de Ramallah, où ils avaient été accueillis par une foule en liesse. Cette fois-ci, Israël a décidé de les emmener à Beitunia, à la périphérie de la ville, pour tenter de minimiser une autre grande manifestation publique de la fierté nationale palestinienne.
Cela n’a servi à rien : une fois que les forces israéliennes qui avaient accompagné les bus de la Croix-Rouge se sont retirées de la zone, après avoir tenté de repousser la foule et tiré des gaz lacrymogènes alors que de jeunes Palestiniens leur lançaient des pierres, des célébrations massives ont immédiatement eu lieu. Des feux d’artifice ont illuminé le ciel, tandis que la foule scandait des slogans nationalistes et brandissait des drapeaux palestiniens et du Hamas. Des personnes sont montées sur les bus et ont tenté d’ouvrir les portes jusqu’à ce que la police palestinienne arrive pour les repousser (les forces de l’AP ont également détenu le reporter d’Al Jazeera, Givara Budeiri, qui couvrait les événements, pendant environ une heure, à la suite d’une décision prise au début du mois d’interdire à la chaîne d’opérer en Cisjordanie).
Lorsque les prisonniers - dont l’âge varie entre l’adolescence et la soixantaine - ont débarqué et retrouvé leurs familles, certains ont été ramenés chez eux immédiatement, tandis que d’autres sont restés pour s’entretenir avec les dizaines d’équipes de journalistes présentes. Ils portaient des survêtements gris portant le logo de l’administration pénitentiaire israélienne, qui ont à peine été nettoyés ou remplacés depuis que les conditions de vie des Palestiniens dans les prisons israéliennes se sont considérablement détériorées après le 7 octobre.
Parmi les prisonniers libérés qui se sont adressés aux médias, même ceux qui n’ont pas explicitement attribué leur libération au Hamas ont remercié la population de Gaza pour son sacrifice. « Le soutien au Hamas en Cisjordanie ne fera que croître », a déclaré un journaliste local. « À maintes reprises, les prisonniers ne sont libérés qu’à la suite d’enlèvements et d’accords d’échange. »
Pendant ce temps, alors que des milliers de Palestiniens attendaient la libération des prisonniers, des colons israéliens ont commencé à se déchaîner en Cisjordanie, se livrant à des « actes de vengeance » en réponse à l’accord de cessez-le-feu et à la libération des prisonniers palestiniens. Ils ont incendié des véhicules et des maisons dans les villages de Sinjil et Ein Siniya, tandis que d’autres ont endommagé des biens à Turmus Ayya et attaqué des voitures palestiniennes près d’Al-Lubban Ash-Sharqiya.
L’armée israélienne avait indiqué avant l’entrée en vigueur du cessez-le-feu qu’elle « se préparait à d’éventuelles attaques en Judée et en Samarie [la Cisjordanie] pendant les 42 jours de l’accord ». Mais elle ne semblait pas préparée - ou ne voulait pas se préparer - à l’éventualité que la violence vienne des colons.
Il n’y a pas de vie en prison
La prisonnière la plus connue libérée hier est Khalida Jarrar, 62 ans, ancienne membre du Conseil législatif palestinien représentant le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP). Jarrar, qui avait déjà purgé quatre peines de prison, était maintenue en détention administrative sans inculpation ni jugement depuis décembre 2023. Elle n’a été condamnée qu’une seule fois pour son appartenance au FPLP et a été maintenue à l’isolement pendant des mois au cours de sa dernière période d’incarcération.
Lorsque Mme Jarrar est descendue du bus, elle semblait épuisée et malade, et avait du mal à parler. « C’est un sentiment difficile. Il y a de la joie à être libérée, et je remercie tout le monde pour cela », a-t-elle déclaré aux journalistes. « D’un autre côté, je souffre de la perte de tant de martyrs [à Gaza]. Les conditions de détention sont extrêmement dures. J’espère que tous les prisonniers seront libérés. » Sa famille l’a rapidement emmenée à l’hôpital pour des examens médicaux.
Tous ceux qui ont parlé à la presse ont souligné les conditions difficiles qu’ils subissaient à l’intérieur de la prison. « C’est la première fois en 14 mois que je vois la lune autrement qu’à travers des barreaux, c’est très étrange », a déclaré Janin Amro, 23 ans, qui avait été placée en détention administrative à la prison de Damon. « Je veux reprendre ma vie, étudier et travailler - il me reste une année à l’université », a-t-elle ajouté, entourée de membres de sa famille qui avaient déposé une couronne de fleurs sur sa tête.
« Il n’y a pas de vie en prison », a poursuivi Mme Amro. « C’était essentiellement un cimetière. On ne voit rien, on n’a pas de vêtements, on ne dort pas bien, [les gardiens de prison] entrent dans les cellules à l’improviste pour des inspections, utilisent des gaz et nous battent. [Les conditions] sont inadaptées aux humains, c’est très difficile ». Avant de partir avec sa famille, elle a ajouté : « J’espère qu’il y aura beaucoup d’autres accords et que tout le monde reviendra ».
Hanan Malwani, 24 ans, était détenue depuis septembre pour incitation et soutien au terrorisme, mais n’avait pas encore été condamnée. « Nous sommes libérés aujourd’hui au prix du sang des martyrs », a-t-elle déclaré. « Notre bonheur est incomplet à cause des habitants de Gaza, et nous voulons les remercier pour cette réussite. »
Ola Joudeh, également âgée de 24 ans, était détenue depuis le mois de juin sans avoir été condamnée, car elle était soupçonnée d’incitation et de soutien au terrorisme. Ils nous ont dit : « Ne dites rien. Si vous parlez, nous vous renverrons en prison », a-t-elle expliqué. « C’était très dur. Ils nous maltraitaient, nous plaçaient la tête par terre [avec les poignets] attachés. Ils entraient constamment dans les cellules pour faire des descentes et des fouilles, et prenaient tous nos biens ». Serrant son père dans ses bras, elle montre les marques laissées par les menottes sur ses poignets.
Amal Shujaiya, 22 ans, qui a été détenue pendant sept mois sans condamnation pour incitation et soutien au terrorisme, a décrit son transfert entre les prisons le jour de sa libération comme « surréaliste. Il y a eu une fouille à nu et certaines femmes se sont vu retirer leurs vêtements ».
Bien qu’elle n’ait pas réussi à empêcher les célébrations, l’armée israélienne - peut-être sous la pression des dirigeants des colons - a fermé presque toutes les sorties de Ramallah dans les heures qui ont suivi la libération des prisonniers, ce qui a rendu difficile le retour de milliers de personnes, y compris les prisonniers libérés qui ne vivent pas dans la ville. À certains points de contrôle, les files d’attente ont duré des heures, tandis que d’autres ont été complètement fermés. Des fermetures similaires ont eu lieu dans d’autres villes de Cisjordanie, mises en œuvre à la fois par l’armée et par les colons.
Dans un groupe de discussion de colons sur les réseaux sociaux, créé avant la libération des prisonniers, un membre a écrit : « Un grand nombre des terroristes qui ont été libérés dormiront à Ramallah ce soir au lieu de dormir chez eux à cause des barrages mis en place par les juifs vertueux qui ont quitté leurs maisons et n’ont pas laissé les terroristes se promener librement sous leurs pieds ! »
Tout en appréciant le soulagement d’être sortis de prison et de retrouver leur famille, de nombreux détenus libérés craindront probablement d’être à nouveau arrêtés - comme cela s’est produit pour plusieurs des 150 Palestiniens libérés dans le cadre de l’accord de novembre 2023. Une banderole accrochée à la porte de la prison d’Ofer, en arabe, en hébreu et en anglais, exprime peut-être le mieux l’esprit de la punition collective infligée par Israël aux Palestiniens, alors même que de nombreux prisonniers sont détenus sans procès ni inculpation. Attribuée au Psaume 18 (bien que la première partie ne provienne pas de la Bible), elle se lit comme suit : « La nation éternelle n’oublie pas. Je poursuivrai mes ennemis et je les atteindrai ».
Traduction : AFPS