Daily Star :
« Quel lien voyez vous entre les élections prochaines en Palestine et la possible reprise de négociations avec Israël ? »
Hanane Ashraoui :
« Nous devons adopter une approche globale , car on ne peut pas isoler des priorités ou fragmenter des réalités qui doivent traiter de prime abord du processus de construction nationale en terme de réforme et de construction des institutions, et de la mise en place d’un système de gouvernement correct. Cela nous devons le faire malgré l’occupation et les blocages sérieux que nous subissons, dus en priorité aux incursions israéliennes, aux assassinats, à l’état de siège etc.
Le peuple palestinien veut une direction honnête, responsable, qui donnera du pouvoir au peuple et procurera des services et une protection aux Palestiniens. Ceci doit se faire rapidement. En même temps les gens doivent s’approprier l’agenda politique, il leur faut donc des dirigeants qui seront ouverts, qui donneront de l’information et créeront un système de prise de décision collectif. Les gens ne veulent pas une direction secrète, qui travaille en coulisse. Il veulent faire partie du processus de décision ; ce qui nécessite l’accès à l’information et une transparence totale. Les gens veulent une politique responsable et fiable. »
DS :
« Vous êtes en train de dire que cela était absent de la scène palestinienne ces dernières années ? »
HA :
« absent, faible, partiel ou sporadique. C’est pourquoi, en terme d’individus, il est probable que nous assisterons à une période de transition de l’ancienne génération et de la direction de l’OLP et de ceux qui sont rentrés après Oslo, qui se sont unis et ont travaillé ensemble -et les gens ont en général travaillé avec eux, pour éviter le désordre ou l’écroulement. Mais le rôle de cette génération qui est au pouvoir depuis des décennies doit être transitoire, ils doivent en quelque sorte se rendre obsolètes. Il nous faut de la place pour la nouvelle génération et pour des dirigeants qui ont été d’une certaine sorte écartés. »
DS :
"Quel est le rôle des prochaines élections ? "
HA :
" Nous avons des élections locales à partir du 23 décembre qui vont continuer pendant 6 mois, l’élection présidentielle le 9 janvier 2005, les élections législatives en mai et celles du Fatah en août. Ces élections sont absolument cruciales, et pas seulement pour la démocratisation en Palestine. Elles sont cruciales pour qu’apparaisse une direction qui aura la crédibilité, le statut, la légitimité et le pouvoir de prendre des décisions. La source de la légitimité et du pouvoir continuera à être le peuple, par le biais d’élections libres et justes. En même temps ceci entraîne une nouvelle dynamique très importante sur le terrain partout en Palestine. Cela donne aux gens quelque chose de constructif et de positif vers quoi se tourner, cela leur donne une prise sur une réalité dont ils n’ont jusqu’à lors été que les réceptacles, surtout à cause de l’occupation israélienne mais aussi d’un secteur public et d’un pouvoir exécutif ineptes.
Ceci introduit un nouvel état d’esprit, l’idée que nous nous impliquons, que nous faisons quelque chose pour notre réalité quotidienne, que nous exerçons notre pouvoir et nos droits en tant qu’individus. Ce changement est tangible, perceptible. »
DS :
« Comment une nouvelle direction élue mènera-t-elle les négociations avec Israël ? »
HA :
« Les négociations devront se tenir avec une direction qui aura du pouvoir, une base solide et donc capable de diriger et décider. Les élections pourront permettre cette légitimité mais ne donneront pas à cette légitimité l’espace qu’avait Arafat. Arafat avait un espace, jouissait d’une sorte de mansuétude a priori et même d’une suspension de responsabilité qui étaient dus à son statut spécial près de son peuple. La nouvelle direction sera observée très attentivement et tenue pour responsable de chaque mot, chaque action. Et il ne s’agira pas d’un individu, ou d’un personnage historique, mais d’un ensemble de responsables détenteurs de positions et fonctions différentes qui avaient toutes été tenues par Arafat.
La nouvelle direction devra être plus collective, plus responsable et plus transparente par nécessité et non par choix. Les nouveaux dirigeants seront passés au crible et évalués, ils devront être collectifs.
Quant la politique pour les négociations, elle doit s’accorder à un système démocratique. On n’aura pas un consensus total ou on ne s’accordera pas sur un calendrier qui inclura tout le monde, du Hamas au Jihad, au Front Populaire jusqu’au Fatah, aux Brigades Al Aqsa et d’autres.
Il faut un système démocratique où le désaccord et l’opposition peuvent s’exprimer pacifiquement et politiquement et où la politique s’élabore sur la base de la volonté de la majorité. On parle d’une direction nationale unifiée pour amener tous les Palestiniens à travailler ensemble, mais ce n’est pas si facile. Les élections en ce moment sont le seul moyen d’inclusion et de participation populaire active qui détermine le poids de chacun dans le processus et le mandat pour prendre part à la prise de décision. Si on a ces institutions démocratiques, alors on peut faire participer tout le monde. Mais les gens doivent se présenter, ils doivent se faire élire, il faut qu’ils s’adressent à l’opinion. »
DS :
« Voyez- vous dans les mois ou années à venir la perspective d’un accord de paix crédible avec Israël ? »
HA :
"Le réel obstacle à la paix n’a jamais été la direction palestinienne ou sa position malgré quelques incompétences ici ou là. Le réel obstacle est le gouvernement israélien avec ses positions dures, le manque de volonté de la part d’Israël - particulièrement le gouvernement d’ extrême droite de Sharon- à s’engager dans des négociations. Il a suspendu les négociations depuis le premier jour. Il n’a jamais voulu d’un processus politique. Le deuxième obstacle a été l’émergence d’une administration américaine idéologique qui a adopté la position d’Israël et de Sharon. Ces deux obstacles sont toujours présents.
Le seul changement qui pourrait apparaître serait une volonté de recommencer à parler. Sharon veut une coordination sur les problèmes de sécurité. Il ne veut pas de négociations politiques et ne veut pas se lancer dans des accords, comme il l’a dit clairement. Il veut un arrangement intérimaire à long terme. Il veut ajuster la politique américaine et le processus de paix à son désengagement unilatéral."
DS :
"Quelle réponse les Palestiniens devraient y apporter ?"
HA :
« Nous voulons voir le retrait de Gaza et de Cisjordanie et le démantèlement des colonies etc., mais si cela fait partie de la feuille de route, cela doit se faire comme une étape d’un processus dans lequel on ne nie pas l’autre, et avec des termes de référence, des critères et des objectifs clairs. On ne va pas à la pêche ! On ne peut pas permettre à Sharon d’isoler Gaza, de la transformer en prison, d’exiger des compensations en Cisjordanie, de poursuivre l’extension des colonies et du Mur, ou de faire entrer les Américains afin qu’ils récompensent Sharon parce qu’il se débarrasse de Gaza en lui permettant d’annexer des groupes de colonies en Cisjordanie et de nier le droit au retour des Palestiniens. L’unilatéralisme israélien est basé sur la négation du partenaire palestinien, la négation de nos droits, et même la déconstruction de la possibilité d’un état palestinien.
Les Américains ont fait avaler ça aux Arabes, aux Européens et même aux Palestiniens, comme si c’était une opportunité, un élément de la feuille de route. Mais ils n’ont démontré ou prouvé à personne que le désengagement unilatéral fait partie de la feuille de route, ce que sont les étapes et objectifs qui en découlent, ou comment on en arrive à la solution de deux état, parce que Sharon a détruit cette possibilité sur le terrain.
C’est ça le vrai défi. Je pense que la direction palestinienne est prête à négocier. Le problème c’est qu’il n’y a pas de partenaire pour la négociation du côté israélien, où il reste un occupant et une mentalité d’occupation."
DS :
"La nouvelle direction palestinienne élue devrait-elle être plus agressive ou passive devant cette réalité ?"
HA :
"Elle devrait être plus favorable à l’action. Jusqu’à maintenant les caractéristiques de la position et de la décision palestiniennes se sont placées sur un mode défensif, plus que sur un mode actif et collectif. Je pense que nous devons formuler notre propre ligne politique et nos initiatives et défier les Israéliens et les Américains. Il n’y a rien à gagner à boycotter quuiconque ou à refuser de communiquer. Il faut s’engager. Mais dans quels termes, avec quel calendrier ? Voilà les vraies questions.
Il me semble que maintenant la direction palestinienne peut se tourner vers les Arabes. En ce moment même il y a un mouvement pour s’adresser au monde arabe et le mobiliser, re-engager le Quartette, les Européens, et finalement lancer un dialogue stratégique avec les Etats-unis et en appeller directement à l’opinion publique israélienne. Car Sharon et les siens ont incité à la peur, l’ont créée et provoquée afin de se maintenir au pouvoir et de poursuivre leur ligne politique dure.
Alors peut-être est-il temps que les Israéliens s’expriment sur leur propre sort, qu’ils comprennent que maintenant que leur bouc émissaire si pratique n’existe plus, le vrai problème c’est la politique et l’occupation israéliennes.
Entretien avec Rami Khouri, du daily Star, quotidien libanais, le 23 12 2004