Depuis mars 2006, elle tient son blog qu’elle a ainsi intitulé : « De Gaza, avec amour ».
Dans sa première livraison, elle précisait ses intentions : ouvrir une fenêtre au monde pour découvrir ce qu’est la vie dans cette grande prison qu’est Gaza. « Nous devons continuer ou plutôt continuer à nous battre pour vivre », disait-elle. « Oui, nous le pouvons parce que nous le faisons depuis des années. Et nous continuerons à le faire, à nous battre et à résister à l’occupation jusqu’à ce que la justice l’emporte, jusqu’à ce que notre pays soit vraiment libre et que tous nos efforts puissent enfin se concentrer sur une meilleur qualité de vie des Palestiniens qui souffrent depuis des décennies. Nous n’avons jamais eu l’attitude de victimes. Nous n’avons jamais été un peuple qui attend la charité du monde. Nous avons toujours été des combattants de la liberté et nous continuerons à nous battre pour elle ».
Du temps a passé... Sa dernière livraison :
Gaza, fin 2006
Tout au long du mois de décembre, j’ai été très occupée par l’organisation des secours à des centaines de familles vivant ici toutes sortes de difficultés. Avec des collègues et des dizaines de volontaires, nous avons distribué des rations alimentaires, de la viande, des couvertures, du lait et des médicaments aux enfants malades, aux cancéreux et aux étudiants nécessiteux.
J’organise et je coordonne ce travail possible grâce aux dons que nous font des individus et des organisations en Palestine et au dehors. Trois médecins, amis et collègues travaillent avec moi. Un groupe de volontaires, essentiellement des femmes, nous seconde.
Nous travaillons dur pour, chaque jour, atteindre les personnes nécessiteuses présentes aux quatre coins de cette minuscule et surpeuplée bande de Gaza où nous sommes emprisonnés. Depuis six mois, les frontières n’ont été ouvertes que quatorze fois. Le poste frontalier avec l’Egypte est actuellement envahi, bondé de centaines de voyageurs attendant de part et d’autres de pouvoir continuer ou terminer leur chemin.
Quitter Gaza n’est possible que dans des conditions aussi difficiles qu’inhumaines. Qui part n’est jamais certain de pouvoir revenir. Ceux qui attendent actuellement du côté égyptien ne peuvent que prendre leur mal en patience. Qui sait quand la frontière ouvrira ? Ce peut être dans quelques heures, dans quelques jours ou dans quelques mois ? Impossible de le savoir. Et tant pis pour les étudiants qui doivent reprendre leurs cours, les malades qui stationnent là sans traitement.
Moi, je dois partir dans les jours prochains. Je suis invitée par la Campagne de solidarité Palestine à Londres pour donner une conférence. Je ne pense pas qu’il va m’être facile d’effectuer ce voyage. Peut-être même vais-je devoir y renoncer. Et pourtant, c’est important que je puisse le faire. J’espère... Mais après tout, n’est-ce pas un désir de luxe que le mien quand tant d’entre nous vivent dans des conditions si difficiles. Tous autant que nous sommes, nous nous sentons en danger, sans pouvoir rien garantir à nos enfants.
Je suis entourée de milliers de gens qui dépendent de l’aide locale ou internationale pour leurs besoins quotidiens les plus simples, tout simplement pour pouvoir continuer à vivre et à résister.
Ici, résister à l’occupation, c’est tout simplement déjà continuer à vivre dans des conditions aussi horribles qu’inhumaines et misérables.
Vivre à Gaza, c’est ne jamais rien prévoir. Rien jusqu’à cette chose aussi simple qu’organiser un dîner avec des amis.
Vivre à Gaza, c’est ne jamais rien prévoir, jusqu’à rendre visite à votre vieille mère qui habite seulement à vingt minutes en voiture de chez vous.
Mercredi 27 décembre
Aujourd’hui, veille de l’Aid, cérémonie musulmane commémorant ce moment où Abraham a promis de donner à Dieu son fils en sacrifice, les Israéliens ont ouvert le barrage à l’est de Gaza pour évacuer le trop plein d’eau de pluie qui les menaçaient. J’aurais aimé rendre visite à ma mère de 84 ans qui habite Khan Younis, à vingt kilomètres de Gaza où je vis. Je n’ai pas pu : toutes les routes encore ouvertes après le bombardement du pont par les Israéliens en juillet étaient inondées des eaux que nous a envoyées Israël pour ne pas noyer ses terres (nos terres de Palestine)... Et demain, jour de fête, ce sera trop tard. Les routes seront fermées.
J’aimerais que quelqu’un me dise comment, nous, habitants des territoires occupés, nous pourrions tolérer, ou accepter, ou coexister avec Israël, avec ses agissements racistes, cette façon continuelle qu’a Israël de nous traiter comme des citoyens de dixième zone, partout, jusque sur nos frontières et dans notre propre pays.
Occupation, occupation, occupation. L’occupation est inhumaine et fait de nos vies un enfer jusque sur notre propre territoire. L’occupation est illégale et elle n’existe qu’en Palestine et en Irak, imposée par ces pays que l’on nous dit les plus démocratiques du Nouveau-Monde, Israël et les Etats-Unis.
Sans une compréhension claire de la situation, sans une solution juste au conflit israélo-palestinien, une solution fondée sur l’autodétermination des Palestiniens et le droit au retour des réfugiés, sans la fin de l’occupation et l’arrêt de l’ingérence sans fin des Etats-Unis dans la région, il me paraît évident que la situation n’ira que de mal en pis en Palestine comme dans la région. Et jusqu’où ?
Pour ma part, je n’ai pas de réponse. Si quelqu’un en a une, qu’il me le fasse savoir.
Avec amour et solidarité, de Gaza
Lundi 25 décembre
Il pleut. Il tombe une pluie terrible depuis trois jours. Nous n’avons pas d’électricité. Il fait très froid. J’ai entendu dire qu’il y avait des problèmes à la centrale électrique bien que, depuis le mois dernier, les choses étaient rentrées dans l’ordre après cinq mois de rationnement en énergie : juste quelques heures d’électricité par jour.
Je ne peux pas regarder la télévision. Je me sens isolée du monde. Abandonnée par le monde. Je n’ai même plus le désir d’écrire ou de sortir. Je me sens si faible.
Lundi 18 décembre
Je suis triste, en colère et pas fière de ce qui se passe dans les rues de Gaza en ce moment, de ces tirs entre Palestiniens. L’occupation israélienne nous regarde. Elle doit se réjouir de nous voir nous diviser. Diviser pour régner : n’est-ce pas cette politique qui a toujours été la sienne ? Quelle perte d’énergie et d’efforts pour atteindre notre but pour une Palestine libre et indépendante, pour une paix fondée sur la justice...
Je n’ai pas pu atteindre mon travail aujourd’hui. J’ai été confinée chez moi. Je vis trop près des bureaux de la Présidence. Je n’ai même pas pu voir, de ma fenêtre, ce qui se passait. C’était trop dangereux de regarder les échanges de tirs entre le Hamas et le Fatah. Des deux côtés, les tirs ont été violents.
J’espère que ces combats inutiles vont prendre fin, qu’ils ne nous mèneront pas à la guerre civile. La seule façon de se sortir de là est de nous doter d’un gouvernement d’unité nationale avec la participation et le concours des différents partis. Un gouvernement qui aurait le pouvoir, la détermination et la sagesse de faire cesser les sanctions qui nous frappent et obligerait le monde à soutenir les droits inaliénables du peuple palestinien.
Dimanche 17 décembre
Les échanges de tirs inter-palestiniens ont repris. Des dizaines de personnes ont été tuées ou blessées. Les écoles sont fermées. Je ne peux pas rejoindre le Croissant rouge pas plus que l’hôpital Al Awda ou sortir acheter du lait. Je suis confinée dans mon appartement. La situation n’est vraiment pas sûre, ni pour moi ni pour Sondos, ma fille.
Nous vivons tout prés de la Présidence. De ma fenêtre, je peux voir des hommes en armes. Beaucoup sont masqués, tendus ; en alerte. J’entends des tirs tout prés, sans savoir d’où ils viennent. Il y a en ce moment d’énormes explosions.
Si j’ai pu être témoin dans le passé de scènes de ce type, auparavant, elles ne se passaient pas entre Palestiniens. Le mois dernier, en novembre, c’était les hélicoptères Apaches, les F16, les tanks et les vedettes militaires israéliennes qui nous menaçaient. Ce qui se passe actuellement nous placent dans la même situation. Nulle part, à Gaza, nous ne pouvons vivre en sécurité.
Lundi 11 décembre
Appel de Gaza
De Gaza, d’où nous vous écrivons, nous, individus ou représentants de différentes Ong intervenants dans le domaine de la santé, nous vous envoyons nos profonds remerciements pour votre soutien. Nous le considérons comme une véritable tentative de dire « stop, assez aux violations continuelles faites par Israël dans le domaine du droit à la santé et des droits de l’Homme en général ».
Durant ces quatre derniers mois, ces attaques n’ont cessé de s’intensifier.
Lors du dernier assaut lancé contre le village de Beit Hanoun dans le nord de la bande de Gaza, les civils ont été les premiers visés. Des femmes en couche ont ainsi dû donner naissance sur les routes faute d’avoir obtenu l’autorisation nécessaire pour se rendre à l’hôpital. D’autres sont décédées d’hémorragie faute de disposer de cette même possibilité. Quatre urgentistes ont été tués au cours de leurs interventions alors qu’ils pouvaient être clairement identifiés comme tels.
Depuis plusieurs semaines, le mouvement des ambulances n’a cessé d’être entravé par les forces armées.
Nous, personnels de santé palestiniens engagés dans le secteur de la santé exprimons notre plus profonde inquiétude quant à la détérioration rapide des conditions de santé dans la bande de Gaza.
Toute une nation d’un million quatre cent mille personnes vit actuellement dans des conditions qui ne peuvent mener qu’à un désastre humanitaire.
Depuis quatre mois, nous tentons de faire face à la situation, sans électricité. Nous assistons impuissants à l’augmentation dramatique du nombre de décès des patients atteints du cancer faute d’avoir pu franchir la frontière entre Gaza et l’Egypte où ils auraient pu aller se faire soigner. Les sanctions économiques imposées par les gouvernements des pays occidentaux ont placé 70% de la population de Gaza en dessous du seuil de pauvreté. Les cas d’anémie se multiplie. Les troubles post-traumatiques atteignent des taux catastrophiques : désormais 60% des enfants du nord de Gaza où les atrocités ont atteint leurs niveaux maximums en sont atteints.
Nous, médecins, nous travaillons désormais sous le feu. De nombreux hôpitaux ont été attaqués ou assiégés, empêchant les blessés de se faire secourir comme cela s’est passé récemment à Beit Hanoun.
Il est temps pour nous tous qui croyons en la justice et en la paix, en une humanité universelle, en une solidarité entre tous les travailleurs de santé de part le monde de prendre sérieusement position : d’engager par une action non violente des sanctions contre les institutions de santé israéliennes, ces différentes universités et ces hôpitaux qui soutiennent les actes inhumains commis par l’occupation israélienne contre le peuple palestinien.
Dans le même temps, nous avons besoin de renforcer nos relations avec ces institutions et organisations de santé israéliennes qui refusent les actions brutales de l’occupation et œuvre pour la paix et la stabilité dans la région, une paix fondée sur la reconnaissance des droits inaliénables du peuple palestinien.
Depuis notre grande prison où nous sommes incarcérés dans notre propre pays, où nous ne trouvons aucune place où nous sentir en sécurité, où nous ne pouvons même pas protéger nos enfants et nos malades, nous vous remercions pour votre solidarité. Nous espérons un avenir meilleur aux générations à venir, une fois le conflit achevé et l’occupation israélienne entrée dans l’histoire comme y est entrée il y a quelques années le régime d’apartheid sud-africain
Signataires :
Le Réseau des organisations non gouvernementales palestiniennes (Pngo)
Les organisations de santé du PNGO (Pngo)
L’Union des comités de santé (HWC)
Le Croissant rouge palestinien
Le programme “Gaza community mental health”
L’Union des comités palestiniens de santé publique
Le Secours médical (PMRS)
L’Association palestinienne des professeurs d’université
L’Association indépendante palestinienne pour la poursuite des criminels de guerre israéliens
Le Forum arabe
Le Courant nassériste
L’hôpital Al Awada
Les infirmiers et médecins du camp de réfugiés de Jabalia
Les ambulanciers de l’hôpital Awda
L’Union des femmes palestiniennes
L’Association Adameer pour les droits de l’Homme
Le dr. Mona Elfarra,
Le dr. Rmuhanna,
Le dr. Yousef Moussa,
Le dr. Aed Yagi,
Le dr. Tayseer Sultan,
et beaucoup d’autres personnes vivant et travaillant à Gaza