Introduction
Samah Nasser a 17 ans et vit à Jérusalem Est. Elle a été arrêtée le 14 février 2016 rue Salah al-Deen, elle avait alors 14 ans. Elle a passé deux mois en détention avant que le tribunal de Jérusalem décide de la placer en résidence surveillée jusqu’à la tenue de son procès. Elle a passé près d’un an assignée à résidence, sans autorisation de sortie, pas même pour aller à l’école. L’endroit où elle était enfermée n’était pas le domicile familial comme l’exige la loi de la résidence surveillée qui doit être appliquée dans un autre quartier que celui d’origine de la personne appréhendée. Au bout d’un an, Samah a été autorisée à rejoindre le domicile familial, sans autorisation de sortie sauf les deux derniers mois pour aller à l’école. Le 15 février 2018, au terme de la procédure, Samah a été condamnée à 8 mois de détention à la prison de Hasharon. Une fois encore, elle se retrouvait exclu de tout processus éducatif : « Je n’ai reçu aucun enseignement pendant ma détention. Nous, les filles et femmes de la prison, avons réclamé un professeur à plusieurs reprises mais personne n’est jamais venu », raconte Samah.
Près de 800 enfants palestiniens de Jérusalem ont été arrêtés en 2018, dont deux ont été placés en détention administrative. À la fin de l’année, au moins 41 enfants de Jérusalem Est se trouvaient en détention. Selon le droit international, chaque enfant, même s’il est emprisonné, a droit à une éducation convenable. Pourtant, ce droit n’est pas appliqué dans les prisons israéliennes. Normalement, un enfant devrait recevoir une vingtaine d’heures de cours par semaine – contre 35 heures hebdomadaires pour une scolarité normale. Les enseignements dispensés sont en général l’arabe et les maths, parfois l’hébreu. La plupart du temps, le niveau des cours n’est pas adapté aux enfants détenus et certains enfants n’assistent à aucun cours pendant leur détention. Le manque de professeur est souvent évoqué pour justifier de cette situation. Une enquête confirme que les enfants sont répartis dans des classes sans aucune considération de leur âge ou de leur niveau scolaire.
Entre septembre et décembre 2018, Addameer et Terre des Hommes – Italie ont conduit de nombreux entretiens avec des enfants de Jérusalem Est dans le cadre d’une enquête intitulée « Évaluer la diversité – l’éducation inclusive pour les enfants de Jérusalem Est ». Les entretiens ont été menés à la fois avec des enfants en détention et d’autres après leur libération. Ils révèlent que 25% d’entre eux n’ont reçu aucun enseignement quand ils étaient en prison quand les autres ont eu des cours d’arabe, de maths et d’hébreu. Toutefois, ces derniers ont estimé que ces enseignements n’étaient pas adaptés à leur niveau.
Même s’ils ne sont pas entièrement représentatifs de la totalité de la population carcérale infantile de Jérusalem Est, ces cas constituent une base significative pour montrer que le droit à l’éducation est bafoué quand il n’est pas tout simplement ignoré, dans les prisons israéliennes. Chaque établissement dispose généralement d’une salle de classe équipée d’un tableau et de bureaux pour les élèves et le professeur. Des stylos et des cahiers sont distribués à certains enfants mais il y a un manque réel et constant de fournitures scolaires. Ahmad Ali, 15 ans, a été arrêté en juillet 2018 et a passé 4 mois en détention avant d’être assigné à résidence à sa sortie du centre pénitentiaire de Meggido, en octobre 2018. « Le trimestre a commencé en septembre 2018, quand le professeur a commencé à venir en prison. Nos livres étaient différents de ceux que l’on utilise à l’école. Le professeur apportait les stylos et les cahiers qu’il nous distribuait mais il en manquait et certains enfants étaient obligés de cantiner pour s’équiper. »
Incarcération de l’esprit
De plus, les enseignements prodigués en prison ne correspondent pas du tout au niveau des enfants. Yousef Omar a 16 ans, il est détenu à Megiddo et exprime la négligence don il est victime à travers l’éducation en prison : « C’est très mauvais ici, je ne retire rien de bon de ça. En fait, pendant les heures de cours, les professeurs passent leur temps à nous faire jouer aux échecs ou à des jeux de société. Ils nous enseignent deux trois choses mais ça ne dépasse pas une heure par jour. »
En Palestine occupée, le diplôme d’études secondaires s’obtient après l’examen national appelé « Enjaz/Tawjehi » : il requiert une année de préparation et aussi une inscription à l’université. Dans les prisons israéliennes, passer un examen n’est pas autorisé, les prisonniers s’arrangent donc pour l’obtenir de façon illégale. Pourtant, selon le règlement sur l’éducation en prison adopté en 2004 et amendé en 2006, les prisonniers sont autorisés à passer des examens en détention dont le Tawjehi avec l’aide d’IPS pour l’organisation : elle précise quels cours peuvent être dispensés ou pas, même choses pour les livres autorisés. Les enseignements – et les livres – proscrits sont la biologie, la chimie, les sciences physiques, la technologie, toute matière qui requiert une table à dessin ou qui, selon leur estimation arbitraire, menace la sécurité d’Israël. En d’autres mots, seules les sciences sociales sont autorisées en prison.
En juin 2011, les forces israéliennes d’occupation ont toutefois interdit toute éducation supérieure dans les prisons – ce qui inclut le Tawjehi. Il faut comprendre cette décision comme une punition collective après la capture de Gilad Shalit. Quelques organisations de défense de la société civile ont bien de tenter de faire appel de cette décision mais la Haute cour de justice a rejeté leur requête en 2015.
Les enfants détenus doivent préparer les échéances derrière les barreaux, ils sont aussi contraints de préparer et d’organiser les examens eux-mêmes puisque c’est illégal. En 2018, des détenues de la prison de Hasharon ont fait face à de nombreuses difficultés pour préparer le Tawjehi non seulement parce qu’elle n’avaient pas eu de professeurs depuis un an mais aussi parce que l’administration pénitentiaire n’a eu de cesse de les harceler dans leur préparation : interruption des révisions organisées par les détenues, menace de les interdire mais aussi de fermer les salles de classe. Samah Nasser, 17 ans, raconte : « La plupart des filles voulaient préparer le Tawjehi et comme nous n’avions pas de professeur, une de nos co-détenue a proposé de nous préparer et d’organiser la passation. Nous avons étudié avec Khalida Jarrar, l’anglais, les sciences mais aussi les droits de l’homme. L’administration de la prison a tout fait pour que rien ne se passe sans heurts et Khalida a été informée qu’elle devait arrêter les cours d’anglais et d’arabe. Parfois, ils fermaient la classe en disant qu’ils en avaient besoin . Je suis vraiment reconnaissante à Khalida de m’avoir donné de bonnes bases en maths, c’est grâce à elle. »
En comparaison avec les enfants palestiniens, « les enfants israéliens emprisonnés à Ofer participent à de nombreux programmes d’éducation différenciée qui correspondent aux besoins affectifs et académiques de tout enfant détenu en les préparant à passer l’examen qui leur ouvrira les portes de l’université. »
Ce processus éducatif est pensé à travers le prisme du développement psychologique, social, économique et politique du jeune, mais aussi nutritionnel et hygiénique. Les enfants des territoires occupés grandissent dans un environnement saturé de violence ; ceux qui vivent l’expérience, traumatisante, de la détention souffrent énormément de ses effets. L’impact psychologique et social de la prison commence au moment de l’emprisonnement mais ne prendra pas fin avec la libération. De nombreux enfants devront continuer à se battre pour se concentrer, exercer leur mémoire, apprendre à s’orienter, à se contrôler au moment de prendre une décision, à combattre une confiance en soi défaillante et à gérer une hyper-sensibilité dans leur rapport avec les autres.
L’impact de la prison sur l’éducation des enfants
Selon des recherches entreprises par le Justice Policy Institute, la détention interrompt l’éducation des jeunes gens dont nombre d’entre eux aura du mal à reprendre le cours après la prison. Établissant la centralité de l’expérience carcérale dans la société palestinienne, les données sur le décrochage scolaire sont vraiment révélatrices. Des statistiques de 2018 indiquent un taux de décrochage de 34% dans les territoires occupés (42% de garçons et 27% de filles). Plus précisément, l’escalade de violence parmi les étudiants de Jérusalem fait grimper leur taux de décrochage à près de 40% particulièrement depuis que beaucoup sont absorbés par le marché du travail précaire en Israël. Ces abandons ne sont pas la conséquence de la seule détention mais elle reste un élément qui façonne l’environnement violent dans lequel évolue tout enfant palestinien.
Sameer Muhammad, 16 ans, habite Jérusalem Est. Il a connu la prison en Israël et n’a reçu aucun enseignement. À sa libération, il n’est pas retourné à l’école et n’a pas l’intention d’y retourner : « Quand j’étais enfermé à Megiddo, je n’ai suivi aucun cours. Quelques prisonniers m’ont donné du matériel éducatif mais rien d’officiel, je ne sais pas pourquoi. De toute façon, je ne peux pas retourner à l’école maintenant, ça fait trop longtemps que je n’y suis pas allé, ça ne m’intéresse pas. J’aimerais plutôt suivre un apprentissage, quelque chose de pratique. »
Selon le droit humanitaire international, Israël, en tant que puissance occupante, a l’obligation de respecter les droits des Palestiniens de Cisjordanie, dont Jérusalem Est, ainsi que de Gaza.
Cadre juridique
L’article 26 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 stipule que « toute personne a droit à l’éducation, même privée de sa liberté. » L’article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ratifié par Israël en octobre 1991 pose plusieurs exigences qui garantissent le plein exercice du droit à l’éducation. En outre, la Convention relative aux Droits de l’enfant (CDE) signée en novembre 1989 et entrée en vigueur en septembre 1990 garantit le droit à l’éducation pour tous ; Israël a adhéré à la CDE en 1991.
Outre les droits énoncés dans la Déclaration universelle des Droits de l’homme, en particulier ceux qui constituent le noyau des droits indérogeables, les enfants bénéficient également de la protection du droit international humanitaire. Plus de 25 articles des quatre Conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels de 1977 concernent spécifiquement les enfants vivant dans un territoire occupé. Par exemple, l’article 94 de la quatrième Convention de Genève stipule que « la puissance occupante encouragera les activités intellectuelles, éducatives et de divertissement, les sports et les jeux pour les détenus ». Plus précisément, l’article ajoute : « L’éducation des enfants et des jeunes doit être assurée ; ils seront autorisés à fréquenter les écoles sur le lieu de détention ou à l’extérieur. » Le Comité des droits de l’enfant (CDE) a publié à plusieurs reprises des recommandations relatives au traitement des enfants palestiniens par Israël. Les forces d’occupation israéliennes continuent néanmoins de violer systématiquement les droits de ces enfants.
Le droit humanitaire international
Bien qu’Israël soit signataire de la Convention relative aux Droits de l’enfant et de la Convention sur l’éradication de toutes formes de discrimination raciale et contraint par conséquent de respecter les dispositions du droit international, coutumier comme humanitaire, les droits des prisonniers palestiniens, y compris à l’éducation, continuent d’être bafoués. En 1997, un enfant prisonnier, Mohammad Farahat, et un groupe de prisonniers, ont déposé la pétition No 97/400 au Tribunal de district de Tel-Aviv pour que la justice oblige l’administration pénitentiaire à appliquer le droit à l’éducation aux enfants palestiniens comme il est respecté pour les enfants israéliens. Dans une parodie de justice, le tribunal a rappelé que les enfants palestiniens prisonniers ont le même droit à l’éducation que les enfants israéliens, basé sur leur programme officiel. Cependant, ce rappel stipulait également que « ce droit était limité aux conditions de sécurité. »
La loi israélienne
Les enfants palestiniens souffrent de restrictions d’accès à l’éducation en prison, imposées par les forces d’occupation israéliennes. Le droit à l’éducation est régulièrement violé par Israël et cette des-éducation est une politique délibérée imposée par l’administration pénitentiaire. Le système législatif israélien ne respecte ni ses obligations ni les droits des enfants de Jérusalem. Tout cela n’est qu’une partie d’un système de coercition imposé aux Palestiniens de la Ville Sainte pour les forcer à partir.
Conclusion
Nous appelons les autorités israéliennes à respecter le droit et à remplir ses obligations selon les critères du droit international.
Nous appelons également les pays tiers à assumer leur responsabilité et à faire pression sur les forces d’occupation pour qu’elles respectent ses obligations en conformité aux lois internationales.
Traduit de l’anglais par EM pour l’AFPS