Photo : Maisons en cours de démolition par les autorités israéliennes à Silwan, Jérusalem, 10 août 2021 © Activestills
Dimanche matin, vers 7 heures, les forces israéliennes ont fait irruption au domicile d’Asmahan Shweikeh, âgée de 72 ans, et lui ont donné une heure pour rassembler ses affaires avant de saisir la maison par la force.
Située dans un quartier de Silwan, à Jérusalem-Est, appelé Batan Al-Hawa, près des remparts de la vieille ville, cette maison est celle où Mme Shweikeh a vécu toute sa vie, où son fils a été abattu à l’âge de 16 ans par l’armée israélienne en 1990, et où son mari est mort asphyxié par les gaz lacrymogènes tirés lors d’une descente de police pendant la deuxième Intifada.
Lorsque la police est revenue vers 8h30 pour forcer Shweikeh et ses 11 proches à sortir dans la rue et vider la maison de son contenu, elle s’est évanouie sous le choc, obligeant les médecins israéliens à la transporter hors de chez elle sur une civière. Son petit-fils, Mohammed, a été arrêté sur place (il a ensuite été libéré et condamné à trois jours d’assignation à résidence et à une amende de 1 000 NIS, soit 300 dollars).
Presque simultanément, la police a fait irruption au domicile de Juma’a Odeh, âgé d’une soixantaine d’années, situé au rez-de-chaussée du même immeuble. Une scène similaire s’est déroulée : après être entrés de force, les policiers et les employés municipaux ont commencé à jeter des meubles, des vêtements et des ustensiles de cuisine dans la rue pour les charger dans des camions et les emporter dans un entrepôt.
En quelques heures, les colons israéliens et les équipes municipales ont érigé une clôture métallique autour du toit de l’immeuble, démoli la barrière en béton qui le séparait d’une propriété voisine appartenant à des colons et relié les deux bâtiments par un escalier en fer. Le soir venu, quatre drapeaux israéliens flottaient sur le toit tandis que les colons faisaient résonner de la musique et célébraient leur dernière acquisition.
La prise de contrôle par les colons des maisons des familles Shweikeh et Odeh intervient près de cinq mois après que la Cour suprême israélienne a rejeté l’appel conjoint des familles contre leur expulsion. La cour a plutôt donné raison à Ateret Cohanim, une organisation de colons qui œuvre depuis des décennies à la prise de contrôle des maisons palestiniennes à Silwan afin de « restaurer la vie juive au cœur de la Jérusalem antique ». Fin septembre, le gouvernement israélien a émis des ordres d’expulsion définitifs pour les deux propriétés.
Au cours des semaines qui ont précédé son expulsion, des colons masqués et des policiers se sont présentés à plusieurs reprises devant la porte de Mme Shweikeh pour photographier la maison et son contenu. « Ils nous ont dit : « Laissez la clé dans la porte » », a-t-elle raconté au magazine +972. Mais les expulsions de dimanche ont tout de même été une surprise, car elles ont eu lieu deux jours avant la date d’entrée en vigueur officielle de l’ordre, ce qui suggère une tentative délibérée de prendre les résidents au dépourvu.
Moins de 24 heures auparavant, les habitants de Batan Al-Hawa, jeunes et vieux, s’étaient rassemblés pour la première fois depuis deux ans aux côtés de militants juifs israéliens le long de la rue principale du quartier pour protester contre les expulsions imminentes. Pour quelque 80 habitants répartis dans six foyers appartenant aux familles Shweikeh, Odeh et Nasser Rajabi (l’expulsion de cette dernière est prévue dans les prochaines semaines), cette manifestation était un dernier combat après plus d’une décennie de lutte devant les tribunaux israéliens.
Chaque échelon de la bureaucratie israélienne a approuvé les expulsions avant qu’elles ne soient sanctionnées par la Cour suprême, souvent considérée comme le dernier rempart contre la descente inexorable d’Israël vers l’autoritarisme. « Les colons sont présents dans tous les ministères : l’éducation, l’intérieur, la municipalité, ils travaillent tous ensemble de l’intérieur du système », explique Zuheir Rajabi, qui dirige le comité de quartier de Batan Al-Hawa et fait lui-même l’objet d’un ordre d’expulsion. « Ces institutions sont au service des colons, en partie parce que ce sont les colons qui les dirigent. »
Les expulsions de dimanche, ainsi que l’expulsion imminente de la famille Nasser Rajabi, porteront à neuf le nombre de familles palestiniennes expulsées de leurs maisons à Batan Al-Hawa rien que cette année. Elles rejoignent au moins 16 autres familles qui ont été déplacées depuis le début des années 2000. Toutes leurs maisons sont désormais occupées par des colons juifs.
Quelque 700 habitants de Batan Al-Hawa sont toujours empêtrés dans des batailles juridiques pour éviter le même sort, avec au moins 11 autres procès en cours devant différents tribunaux. Les dates d’expulsion sont échelonnées entre les familles, ce qui perturbe les efforts d’organisation collective et garantit que l’attention du public se manifeste par vagues plus petites.
Le jour même où la police a expulsé les familles Shweikeh et Odeh, elle a remis à la famille d’Umm Nasser Rajabi, une femme de 70 ans à la tête d’un foyer de 18 personnes, un nouvel ordre d’expulsion qui prendra effet le 1er décembre. Contrairement à la précédente notification reçue par sa famille, qui ne précisait pas de date d’expulsion et laissait la famille dans l’incertitude, celle-ci est définitive. Son voisin et neveu, Kaid Rajabi, âgé de 50 ans, a reçu l’ordre de quitter son domicile avant le 6 janvier.
« Aujourd’hui, c’est nous. Mais demain, ce sera lui, puis lui », a déclaré Kaid Rajabi en désignant ses voisins lors de la manifestation. « Tout le monde est une cible. »
Un effacement graduel de la vie palestinienne
Après avoir occupé Jérusalem-Est en 1967, Israël a redessiné les limites municipales de la ville pour y inclure 28 villages palestiniens situés au sud, à l’est et au nord. L’un d’entre eux était Silwan, où se trouve Batan Al-Hawa, dont la population a augmenté avec l’arrivée de réfugiés palestiniens après la Nakba de 1948, puis à nouveau après la guerre de 1967.
L’annexion officielle de Jérusalem-Est en 1980 a été suivie d’une campagne agressive de colonisation, la plupart des terres situées à l’intérieur des limites municipales étant attribuées à la construction juive, tandis que les quartiers palestiniens étaient systématiquement restreints. Aujourd’hui, ces communautés sont entourées de 16 colonies juives qui abritent environ 222 000 colons ; 10 autres colonies situées juste à l’extérieur des limites de la ville abritent environ 80 000 Juifs israéliens supplémentaires. Ensemble, ces localités – toutes illégales au regard du droit international – représentent près de la moitié de tous les colons de la Cisjordanie occupée.
Pour les 350 000 habitants palestiniens de Jérusalem-Est, il est pratiquement impossible d’obtenir des permis de construire et la municipalité a constamment négligé leurs besoins en matière d’infrastructures et de services sociaux, leur a imposé des taxes excessivement lourdes et a utilisé la politique dite du « centre de vie » comme une arme pour révoquer leurs droits de résidence. Ensemble, ces politiques ont toutes contribué à l’effacement progressif de la présence palestinienne dans la ville.
Mais même après des décennies de judaïsation agressive et une explosion démographique des colons, la zone entourant la vieille ville de Jérusalem au nord, au sud et à l’est est restée majoritairement palestinienne. Depuis le début des années 2000, des groupes de colons comme Ateret Cohanim ont mené la charge pour modifier cet équilibre démographique.
Situé à seulement 300 mètres du mur sud du complexe du Mont du Temple/mosquée Al-Aqsa, Batan Al-Hawa est un quartier incroyablement dense, composé de couloirs étroits et de maisons empilées, avec peu de routes et aucun trottoir. Les passages s’entremêlent en un labyrinthe d’escaliers et de ruelles, et les habitants apprécient leur proximité avec la vieille ville. « Le matin, j’entends le muezzin d’Al-Aqsa », a déclaré Umm Nasser Rajabi à +972 avec un sourire.
Pourtant, la plupart des ménages vivent en dessous du seuil de pauvreté et ont toujours été privés de services municipaux tels que l’eau et l’électricité. Il n’y a pas un seul terrain de jeu ou espace vert pour les enfants, et un nombre important d’hommes du quartier ont purgé des peines de prison ou ont vu des proches assassinés par les forces israéliennes. Et contrairement aux colonies israéliennes en Cisjordanie, les colons juifs vivent juste à côté des familles palestiniennes.
La précarité du quartier a été exploitée par les colons. Lorsque Zuheir Rajabi a été approché par des colons souhaitant acheter sa maison, ceux-ci lui ont demandé pourquoi il avait choisi de vivre dans de telles conditions de délabrement. « Je suis heureux dans ce quartier que vous qualifiez de poubelle », leur a-t-il répondu. « Je suis né ici. Je ne souffre pas des virus présents dans l’eau ; je suis immunisé contre ces bactéries. »
Kaid Rajabi a également été approché par des acheteurs intéressés au fil des ans. « Ils ont essayé de me faire un chèque et m’ont dit de fixer mon prix, en dinars jordaniens, en monnaie israélienne, peu importe ce que je voulais », a-t-il déclaré à +972. Ils ont proposé de couvrir les frais de déménagement et d’installation pour lui et sa famille dans des quartiers palestiniens plus huppés de Jérusalem-Est, comme Beit Hanina et Beit Safafa. « Mais Batan Al-Hawa est l’endroit où je vis », a-t-il affirmé.
« Dès le premier jour où les colons sont arrivés dans le quartier, nous avons commencé à souffrir. »
Ateret Cohanim a saisi les tribunaux pour la première fois en 2001, lorsque trois de ses employés ont pris le contrôle du Benvenisti Trust, un fonds créé en 1899 pour héberger les immigrants juifs yéménites à Silwan, qui ont ensuite fui vers d’autres régions pendant la Grande Révolte palestinienne de 1936-1939 contre la domination britannique.
En 2002, l’État a accordé au trust la propriété de 5,2 dunams de terrain à Batan Al-Hawa, et Ateret Cohanim a immédiatement intenté des poursuites judiciaires contre des dizaines de familles palestiniennes vivant sur ces parcelles, sans jamais prouver leur lien avec la dotation initiale. Grâce au trust, Ateret Cohanim a ensuite pris le contrôle de trois dunams supplémentaires dans la région.
En vertu de la loi israélienne de 1970 sur les questions juridiques et administratives, les Juifs sont autorisés à réclamer les biens situés à Jérusalem-Est qui leur appartenaient avant la guerre de 1948 et qui sont ensuite tombés sous le contrôle jordanien jusqu’à l’occupation israélienne en 1967, même si l’État a déjà indemnisé ces résidents pour la perte de leurs biens. Ce droit ne s’étend pas aux centaines de milliers de Palestiniens qui ont été dépossédés de leurs biens à l’intérieur de ce qui est devenu l’État d’Israël pendant la Nakba.
En 2004, Ateret Cohanim avait transféré 11 familles juives à Silwan en faisant pression sur les résidents palestiniens pour qu’ils vendent leurs biens. Les colons ont apporté avec eux tout un dispositif de sécurité : le quartier s’est transformé du jour au lendemain en une zone fortement militarisée, gardée 24 heures sur 24 par des agents de sécurité privés financés par le ministère israélien du Logement, aux côtés d’agents de la police des frontières et de soldats.
« Dès le premier jour où les colons sont entrés dans le quartier, nous avons commencé à souffrir, en particulier nos enfants », a déclaré Kaid Rajabi à +972 la semaine dernière.
Au cours de ces premières années, les habitants étaient régulièrement victimes de raids nocturnes, d’arrestations de mineurs, de tirs à balles réelles, d’agressions physiques et de harcèlement de la part des colons et des forces de sécurité israéliennes. Une grande partie de ces intimidations quotidiennes ont été filmées par Zuheir Rajabi, qui a installé dix caméras de sécurité avec l’aide de l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem en 2003. Depuis son salon, Rajabi surveille en permanence les images projetées sur un écran plat, contraint de transformer sa propre maison en miroir de la machine de surveillance qui l’entoure.
« Je les ai installées ici parce que les colons et la police m’ont battu, et que mon père est mort asphyxié par les gaz lacrymogènes », a-t-il déclaré. « Nous n’avions aucune preuve ni aucun élément à présenter à la police pour porter plainte. » Il a ajouté que bon nombre de ses enregistrements avaient été confisqués par la police et ne lui avaient jamais été rendus.
Une décennie de guerre juridique menée par les colons
En 2015, les expulsions ont commencé à Batan Al-Hawa. La famille Abu Nab a été la première à être expulsée, en juin de cette année-là, à la suite des poursuites judiciaires engagées en 2002 ; les tribunaux ont statué qu’elle vivait sur des terres appartenant au Benvenisti Trust et qu’elle devait quitter ses maisons sous peine d’être expulsée de force. En 2016, Ateret Cohanim avait déposé des plaintes contre 81 familles du quartier, touchant 87 foyers et près de 700 personnes.
Les familles ont tenté de déposer une seule plainte pour faire appel ensemble des expulsions, mais les autorités israéliennes ont refusé, les obligeant à déposer des plaintes individuelles ou en petits groupes. En fragmentant les recours juridiques, les autorités affaiblissent la résistance collective et empêchent la formation d’un front uni.
Cette stratégie de fragmentation présente également un avantage juridique. « Quelle que soit la décision rendue par le tribunal dans une affaire individuelle, il s’appuiera sur ce précédent dans ses décisions ultérieures », explique Zuheir Rajabi. « Alors, que font-ils ? Ils fragmentent les décisions. » En effet, chaque décision défavorable renforce la capacité des tribunaux à rejeter les futurs recours des familles.
Néanmoins, la famille Rajabi a immédiatement déposé un recours en 2015 pour contester la légalité des revendications d’Ateret Cohanim sur leur propriété. Les familles Shweiki et Odeh ont déposé un recours conjoint au cours de la même période.
Mais alors même que les plaintes étaient en cours d’examen, les colons et les responsables israéliens ont intensifié leurs exactions à l’encontre des résidents palestiniens. Pendant des années, un groupe de soldats a empêché les Palestiniens d’emprunter la rue étroite qui mène au quartier et en sort, alors qu’ils accompagnaient chaque matin les enfants des colons à l’école. Les résidents ont rapporté que les soldats provoquaient également les habitants, volant des ballons de football, arrêtant des parents qui se rendaient précipitamment à leur travail et pointant leurs armes sur des groupes d’adolescents.
Après le 7 octobre, les décisions de justice concernant les ordres d’évacuation à l’encontre des familles palestiniennes ont été accélérées, et le harcèlement s’est intensifié, les colons et les forces de sécurité se sentant de plus en plus enhardis par leurs armes. Les enfants des colons brandissaient souvent leurs armes devant les Palestiniens. « Les colons sont armés de M16 et de gaz lacrymogènes, et les gardes et l’armée qui les accompagnent font de même », a expliqué Kaid Rajabi. « Ils sont ensemble. »
Le tribunal de district de Jérusalem a statué contre les familles Rajabi, Shweiki et Odeh à l’été 2024, décidant qu’Ateret Cohanim avait effectivement des droits légaux sur leurs maisons, et les familles ont alors saisi la dernière option disponible : faire appel devant la Cour suprême.
Le 16 juin de cette année, la Cour a rejeté l’appel des familles. Six jours plus tard, elle a rejeté l’appel de la famille Rajabi. Le 29 septembre, la police s’est présentée au domicile des familles Rajabi, Odeh et Shweikeh et leur a remis à toutes des avis d’expulsion.
« Bientôt, vous ne verrez plus aucun Arabe ici »
À l’intérieur de la maison d’Umm Nasser Rajabi, le rez-de-chaussée bourdonne du bruit des machines qui bipent, des fils emmêlés et des équipements stérilisés. Ce n’est pas un salon ordinaire : au fil des ans, elle et sa famille ont aménagé cette pièce pour accueillir son petit-fils immobile, Awad, qui a eu un accident vasculaire cérébral il y a cinq ans et qui a besoin de soins 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Il vit dans un lit de type hospitalier et se nourrit par voie intraveineuse.
À l’exception d’un hôpital – où les soins sont coûteux et difficiles d’accès lorsque les colons, la police ou les soldats bloquent les routes –, il ne peut survivre nulle part ailleurs. « Si l’électricité est coupée, mon petit-fils meurt », dit-elle.
Lorsque les autorités viendront l’expulser, Umm Nasser ne sait pas où elle ira, comment elle transportera ses enfants, ni si elle aura les moyens de reconstruire la pièce équipée pour s’occuper d’Awad. « Nous n’avons pas d’autre choix », dit-elle. « Les maisons coûtent aujourd’hui les yeux de la tête. »
Elle vit dans cette maison de quatre étages à Batan Al-Hawa depuis plus de 50 ans. Entre ces murs – dont la façade est peinte de fleurs, d’oiseaux et d’yeux colorés dans le cadre du projet I Witness Silwan – elle s’est mariée adolescente, a donné naissance à 11 enfants et continue d’élever sa grande famille.
La maison était autrefois le lieu de rassemblement de toute sa famille pendant les vacances, mais aujourd’hui, elle ne peut plus accueillir que ses filles. « Les colons, leurs gardes et la police considèrent nos garçons comme une menace », explique-t-elle. « Ils les arrêtent dans la rue. Mes fils et petits-fils venaient ici tout le temps pour manger, boire et faire la fête. Aujourd’hui, plus aucun d’entre eux ne vient. »
Après des années de longues et coûteuses batailles juridiques, les familles n’ont plus beaucoup d’options. Kaid Rajabi a déclaré à +972 qu’il avait dépensé plus de 120 000 NIS (plus de 37 000 dollars) en frais juridiques tout au long de la procédure et qu’il ne recevrait probablement aucune compensation pour sa propriété une fois expulsé.
Traduction : AFPS




