Photo : Un mur de séparation dans la ville palestinienne de Bethléem (Wikimedia Commons)
Endurer l’apartheid, partir ou être tué.
Tel est l’ultimatum lancé aux Palestiniens par le Député israélien à la Knesset (DK) Bezalel Smotrich dans son "Plan décisif" de 2017. Six ans plus tard, ce même plan fait office de politique officielle d’Israël en Cisjordanie.
Alors vice-président de la Knesset, aujourd’hui ministre des Finances et ministre de la Défense, l’ascension de Smotrich est symptomatique du caractère droitier d’Israël, une identité encouragée par les années de faveur de Trump. La normalisation a étouffé la "solution à deux États" et les projets d’annexion de la Cisjordanie ont accéléré l’expansion des colonies et les attaques contre les Palestiniens.
Dans une politique qui repose sur la punition des Palestiniens, chaque intrusion israélienne en territoire palestinien et chaque violation du droit international a rapproché Smotrich et son parti Sioniste Religieux des postes ministériels.
Aujourd’hui faiseur de roi dans la coalition d’extrême droite fracturée de Netanyahou et "suzerain de facto" de la zone C en Cisjordanie occupée, les liens entre la logique gouvernementale du "commandement divin" et les fonctions opérationnelles de l’armée n’ont jamais été aussi forts, et Bezalel Smotrich les attend de pied ferme.
Adopté pour la première fois par l’Union nationale - le prédécesseur du parti sioniste religieux - lors de leur congrès annuel en septembre 2017, le plan de Smotrich visant à éliminer la présence palestinienne comporte deux phases. La première est l’expansion effrénée des colonies.
L’entreprise de colonies illégales en Cisjordanie a augmenté sous chaque gouvernement israélien, y compris tout au long des processus de paix des années 1990. Mais les 500 000 colons de Cisjordanie, les 200 000 colons de Jérusalem-Est occupée et l’expansion de 16,1 % au cours des cinq dernières années ne suffisent pas à Smotrich.
L’annexion complète de la Cisjordanie est nécessaire pour créer ce qu’il appelle "une réalité claire et irréversible [de la théocratie juive] sur le terrain" et éteindre toute "illusion d’un État palestinien".
"La négation par Smotrich du droit de la Palestine à l’autodétermination fait partie du plan de longue date d’Israël visant à anéantir les Palestiniens avant que leurs droits ne soient révoqués. Il cherche également à déraciner tout espoir d’un État palestinien en accélérant ce qu’Azmi Bishara appelle la "bantoustanisation" de la Cisjordanie", a expliqué le critique littéraire palestinien Antoine Shulhut à the New Arab.
"Cet objectif est atteint en approuvant des dizaines d’avant-postes illégaux sur des terres palestiniennes privées, en appliquant les ordres de démolition des constructions palestiniennes et en abrogeant la loi sur le désengagement de 2005 qui a approuvé le soi-disant départ d’Israël de Gaza et du nord de la Cisjordanie", a ajouté M. Shulhut.
Pour le gouvernement israélien d’extrême droite nouvellement élu, tout est bon à prendre. Le 15 février 2023, la Knesset a approuvé en première lecture une loi qui abrogerait la loi sur le désengagement et repeuplerait l’avant-poste de Homesh et les colonies de Sa-nur, Gadim et Kadim dans le nord de la Cisjordanie.
Les provocations sans précédent de Smotrich - qui a été emprisonné pendant trois semaines pour avoir prétendument planifié l’attaque d’une autoroute israélienne avec 700 litres d’essence en signe de protestation contre le désengagement - figurent sur le projet de loi.
Bienvenue au Smotrichstan
L’emprise de Smotrich sur le processus décisionnel israélien est le reflet de l’influence des ultranationalistes dans les élections israéliennes et de la domination des Sionistes religieux dans les discussions de la coalition de décembre dernier.
Fort d’un mandat de 14 sièges incluant le kahaniste Itamar Ben-Gvir, Smotrich est revenu dans les discussions en exigeant un poste de premier plan dans le domaine des finances ou de la défense. Ne voulant pas renoncer à la possibilité de former un gouvernement, M. Netanyahou a aidé son ministre des finances à réaliser son plan de 2017 en lui offrant l’article 21 de l’accord de coalition : les clés de la Cisjordanie.
Des millions de Palestiniens sont désormais à sa disposition. L’article 21 attribue à Bezalel Smotrich "l’entière responsabilité" de la zone C de la Cisjordanie - une délimitation des accords d’Oslo qui représente 60 % de la Cisjordanie et abrite 300 000 Palestiniens et 425 000 colons israéliens - en plaçant les deux unités militaires chargées de l’occupation palestinienne, le COGAT et l’Administration civile, sous le contrôle civil de Smotrich.
La position complémentaire de Smotrich au sein du ministère de la défense lui permet de contrôler les permis de construire, les lois d’urbanisme, les ressources naturelles et tous les mouvements de personnes et de marchandises entre Gaza, Israël et la Cisjordanie, ce qui équivaut à une annexion de jure.
Étant donné que toutes les grandes villes palestiniennes de Cisjordanie - Ramallah, Naplouse, Hébron, Bethléem et Jéricho - sont entourées de terres désignées comme zone C, ce déménagement rend encore plus difficile pour les Palestiniens de vivre, de se déplacer et de défendre leur cause devant les tribunaux.
Dans le résumé de son "Plan décisif", Smotrich écrit qu’"il n’y a de place que pour une seule expression de l’autodétermination nationale à l’ouest du Jourdain : celle de la nation juive", ajoutant que "toute solution doit être basée sur la suppression de l’ambition de réaliser l’espoir national arabe entre le Jourdain et la Méditerranée".
Aujourd’hui au gouvernement, la vision de Smotrich a été copiée mot pour mot dans les principes fondateurs de la coalition. "Le peuple juif a le droit exclusif et indiscutable à toutes les parties de la Terre d’Israël", et le Premier ministre dirige "la formulation et la mise en œuvre de la politique dans le cadre de laquelle la souveraineté sera appliquée [à la Cisjordanie]".
C’est la première fois dans l’histoire d’Israël qu’un accord de coalition autorise l’annexion de la Cisjordanie occupée.
Aujourd’hui, Smotrich est responsable des permis de travail palestiniens, de la gestion des 592 points de contrôle de Cisjordanie, de l’empêchement de la construction palestinienne dans la zone C et de la domination des colons sur les Palestiniens.
Flanqué du ministre de la sécurité Itamar Ben-Gvir, ouvertement raciste, et protégé par Netanyahou, Smotrich dispose de toutes les ressources nécessaires pour mettre en œuvre la première phase de son "plan décisif".
Comme l’a déclaré à The New Arab le Dr. Honaida Ghanim, directeur du Forum palestinien pour les études israéliennes (MADAR), "c’est Bezalel Smotrich qui est à l’origine de ce plan décisif : "C’est l’heure de gloire de Bezalel Smotrich. Il n’a pas l’intention de la gâcher. "
Après l’annexion de la Cisjordanie et la "victoire par la colonisation", la deuxième phase du plan de Smotrich offre trois "options" aux Palestiniens.
La première "option", qui consiste à rester en Cisjordanie, implique que les Palestiniens renoncent à leur identité et à leur droit à un État, un droit inscrit à l’article 1er du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).
Sous ce régime d’apartheid, les Palestiniens se verraient accorder des pouvoirs municipaux limités, ne pourraient pas voter à la Knesset et se verraient refuser la citoyenneté.
La deuxième "option" pour les Palestiniens est de rejoindre les 5,9 millions de réfugiés palestiniens enregistrés auprès de l’UNWRA après la dépossession ethnique de la Nakba de 1948 et de la Naksa de 1967. Et pour ceux qui résistent ou refusent de devenir des réfugiés, Smotrich propose une troisième "option" : être "traités par les forces de sécurité avec fermeté dans des conditions plus faciles à gérer".
Pour un État qui, l’année dernière, a tué un nombre record de 146 Palestiniens, dont 54 enfants, arrêté 7 000 Palestiniens, dont 865 enfants, placé 866 Palestiniens en détention administrative sans inculpation ni jugement, démoli 960 maisons palestiniennes et approuvé 4 400 nouvelles colonies israéliennes illégales, de telles machinations ne sont pas surprenantes. Cependant, elles trahissent un visage plus zélé et violent qu’Israël tente de cacher.
Alors que le gouvernement israélien d’extrême droite prend de l’assurance et que son masque tombe, la décision de Netanyahou de nommer Smotrich semble s’être retournée contre lui.
Les deux hommes se sont déjà affrontés sur la question des colonies - Smotrich refusant d’arrêter la construction - et Netanyahou a forcé Smotrich à revenir sur son commentaire selon lequel la ville palestinienne de Hawara, site d’un pogrom mené par des colons, devrait être "anéantie".
Tenir Smotrich à distance - un homme qui souhaite la séparation des maternités juives et palestiniennes, qui qualifie les organisations de défense des droits de l’homme de "menaces existentielles" et qui considère le peuple palestinien comme une "invention du siècle dernier" - est devenu une préoccupation majeure pour les défenseurs d’Israël.
La décision de M. Netanyahou d’ouvrir la boîte de Pandore du kahanisme a provoqué des réactions sans précédent contre le caractère ultranationaliste du gouvernement israélien, en particulier sur l’influence que Meir Kahane et Baruch Goldstein, désignés par les États-Unis comme des terroristes, exercent sur les membres du cabinet.
Mais la Hasbara ne peut pas détourner l’attention des mandats électoraux. Elle ne peut pas non plus cacher le fait que Netanyahou et Smotrich sont sur la même longueur d’onde en ce qui concerne les réformes judiciaires proposées par Israël.
"Le plan de Smotrich est conditionné par une législation qui neutralise la Cour, permet aux membres de la Knesset d’ignorer les décisions de la Cour et donne aux politiciens le pouvoir de nommer les juges. Chacun de ces éléments figure dans les projets de M. Netanyahou, ce qui prouve que les deux hommes politiques ne sont pas aussi différents qu’il n’y paraît", a déclaré M. Ghanim.
Alors que les protestations contre les réformes judiciaires israéliennes gagnent du terrain dans le monde entier et que la connaissance des projets de Bezalel Smotrich devient plus évidente, il reste à voir si Netanyahou sanctionnera officiellement Smotrich. Mais si cela devait arriver, c’est l’instinct de survie israélien, et non la protection des Palestiniens, qui dicterait sa décision.
Traduction : AFPS