Deux faits apparemment sans rapport ont occupé les médias sociaux récemment et les deux ont reçu beaucoup d’attention. Le premier était un article de Peter Beinart qui a été publié dans le New York Times où Beinart affirme qu’il ne croit plus en un État juif et appelle à un État binational avec des droits égaux en Palestine. L’autre, une vidéo montrant une famille israélienne en voiture quand deux enfants s’approchent d’eux. La fenêtre de la voiture s’ouvre et nous entendons le père demander aux enfants en hébreu, « Qui veut nourrir un Bédouin ? » Bien que ces deux événements semblent sans rapport, les deux sont tout aussi dérangeants.
Un foyer juif en Palestine
On pourrait penser que l’épiphanie vécue par un sioniste progressiste de plus, et un qui a accès aux médias traditionnels, devrait être célébrée. Après tout, un autre Juif américain bien connu est arrivé à la conclusion que les Palestiniens méritent des droits égaux dans leur propre pays. Cependant, à la lecture de cet article, plusieurs éléments inquiétants tempèrent l’enthousiasme.
Beinart partage avec les lecteurs, « Je savais qu’Israël était une source de réconfort et de fierté pour des millions d’autres Juifs. » Il explique que c’est pourquoi il croyait en l’État juif. On pourrait dire que l’esclavage était une source de réconfort et de fierté pour des millions d’Américains blancs, mais soutenir l’esclavage est néanmoins odieux.
Il poursuit en décrivant un sentiment que l’on entend chez de nombreux sionistes progressistes. « Un jour, jeune homme, j’ai marché à travers Jérusalem, lisant les noms de rues qui retracent l’histoire juive, et j’ai ressenti ce confort et cette fierté personnelle. » Jérusalem a été une ville arabe pendant plus de mille ans. En 1948, les Palestiniens de Jérusalem ont été soumis à un nettoyage ethnique total et complet, et aucun Palestinien n’a été autorisé à rester dans la ville. Jérusalem est alors devenue la capitale de l’État d’Israël et les noms de rues, qui évoquaient habituellement la longue et magnifique histoire arabe de la ville, ont été changés.
« Je savais qu’Israël avait tort de refuser la citoyenneté aux Palestiniens de Cisjordanie, l’application régulière de la loi, la libre circulation et le droit de vote dans le pays où ils vivaient. » Qu’en est-il des droits de millions de Palestiniens qui croupissent dans les camps de réfugiés ? Ce pays qui lui a donné, et aux juifs comme lui, une telle fierté, est le déni pour des millions de Palestiniens de leur droit de retourner dans les terres et les maisons d’où ils ont été expulsés.
« Mais le rêve d’une solution à deux États, qui donnerait aux Palestiniens un pays à part entière, me permettait d’espérer que je pourrais rester un progressiste et un partisan de l’État juif en même temps. » C’est précisément le propos de l’escroquerie de la solution à deux États : permettre aux sionistes progressistes de soutenir les crimes du sionisme et la création d’un État raciste en Palestine tout en se sentant bien dans leur peau.
L’idée que la solution à deux États donnerait aux Palestiniens « un pays à part entière », est déroutante. Les Palestiniens ont leur propre pays, c’est la Palestine. Selon l’historien Nur Masalha, il a été la Palestine pendant des milliers d’années avant la création de l’État sioniste le 15 mai 1948.
L’épiphanie vécue par les sionistes progressistes qui se rendent soudain compte qu’ils ne peuvent pas être à la fois « sionistes » et « progressistes » n’est vraiment pas une épiphanie du tout. C’est un compromis qui leur permet de continuer à justifier leur attitude condescendante envers les Palestiniens. Beinart n’est pas différent d’un autre sioniste progressiste, Avram Burg. Burg, un sioniste convaincu qui a été président de la Knesset et président de l’Agence juive, et entre les deux, a beaucoup profité du trafic d’armes israéliennes. Il est sioniste de bout en bout, et pourtant, il prétend aussi qu’il est temps pour un seul État. Dans un article de 2018, il écrit : « Depuis 1967, Israël a occupé le territoire palestinien. » Tout comme Beinart, il ne voit que la Cisjordanie comme territoire palestinien.
Nourrir le Bédouin
Un clip vidéo troublant a été récemment partagé sur TikTok par Roy Oz, également connu sous le nom Roy Boy, un artiste israélien qui anime divers programmes pour les enfants. Dans le clip, une famille israélienne conduit confortablement dans ce qui semble être un SUV, avec de jeunes enfants sur la banquette arrière et les parents à l’avant. Le père, Roy Oz, est au volant. Alors qu’ils conduisent, deux jeunes enfants s’approchent de la voiture. Les enfants dans la voiture sont blancs, les enfants à l’extérieur sont bruns. Le paysage est aride, comme un désert, et nous pouvons supposer avec certitude qu’il se trouve dans la région du Naqab [1], dans le sud de la Palestine.
Le père ouvre la fenêtre, tend un biscuit aux enfants à l’extérieur et dit à ses enfants en hébreu, « Qui veut nourrir un Bédouin ? » Il parle aux enfants dehors en arabe, puis se tourne à nouveau vers ses enfants, demandant en hébreu, « Vous ne voulez pas nourrir un Bédouin, Ariel ? » L’un des deux enfants à l’extérieur est plus âgé que l’autre et remet le cookie au plus jeune. Puis, le père tourne la caméra, montrant les visages de ses enfants et demande à nouveau, « Voulez-vous nourrir un Bédouin ? Vous ne voulez pas ? » Nous l’entendons aussi se dire, « ils sont si mignons », se référant aux enfants à l’extérieur.
Le père se tourne alors vers les enfants à l’extérieur et demande en arabe combien d’argent ils veulent. « Mille shekels ? » Demande-t-il. « Non, seulement dix » répond l’un des enfants. « Seulement dix ? » Le père insiste jusqu’à ce que la mère tende la main hors de la voiture et remette à l’un des enfants une pièce de monnaie.
Réactions d’indignation
Les réactions d’indignation sont venues rapidement des communautés palestiniennes, qui ont exigé des excuses et une explication. Certains ont même dit que c’était la pire manifestation de racisme qu’ils aient jamais vu. Mais il n’y a rien de choquant dans ce clip parce qu’il s’agissait d’une famille de la classe moyenne israélienne normale exprimant ce que d’innombrables Israéliens expriment tout le temps. Le racisme épouvantable et l’attitude coloniale condescendante envers les enfants bédouins palestiniens, comme nous le voyons dans la vidéo, est le fondement sur lequel l’État d’Israël a été établi et il existe dans toute la société israélienne.
Sans un racisme structurel, systémique, profondément enraciné, Israël n’existerait pas. En outre, sans cette attitude suprématiste blanche, aucun pilote israélien ne serait en mesure d’appuyer sur le bouton qui libère les bombes qui brûlent ensuite et déchiquettent les enfants palestiniens à Gaza en lambeaux. Aucun tireur d’élite ne serait en mesure d’appuyer sur la gâchette pour tuer et mutiler les Palestiniens. C’est une partie essentielle de l’éducation sioniste.
De nombreux Israéliens ont exprimé leur mécontentement face à cette expression de racisme. Cependant, leur mécontentement mis à part, rien de nouveau ou d’anormal. Pas de différence avec l’incident où un secouriste de l’armée israélienne, chargé de sauver la vie des gens et ayant prêté serment de le faire, a exécuté un Palestinien blessé couché au sol. L’incident a été filmé et est devenu viral, ce qui a entraîné le secouriste en cour martiale et à recevoir une sentence légère. Ce secouriste [2] a également agi conformément à sa formation, comme on le lui a enseigné, qu’une vie palestinienne n’a pas d’importance.
Reconnaître que les Palestiniens ont des droits au sein d’une construction sioniste est un symptôme de la suprématie raciste sioniste. Ce racisme est ce qui permet à une famille de passer à côté d’enfants palestiniens et de les traiter comme des animaux dans un safari. C’est ainsi que l’État d’Israël est en mesure de poursuivre la Nakba, la destruction systémique, catastrophique de la Palestine et de son peuple depuis près de cent ans.
Miko Peled est un auteur et militant des droits de l’homme né à Jérusalem. Il est l’auteur de « Le Fils du Général. Voyage d’un Israélien en Palestine » et « Injustice ».
Traduit de l’anglais original par B.S. pour l’AFPS