Photo : Le village palestinien de Lifta, à l’ouest de Jérusalem, victime d’un nettoyage ethnique par les milices sionistes en 1948 (Getty)
En 1967, Israël a expulsé les habitants d’Imwas, un village palestinien situé au nord-ouest de Jérusalem qui avait été capturé pendant la guerre des Six Jours, et a démoli la ville.
Aujourd’hui, ses vestiges - ainsi que ceux de trois autres villages - sont enterrés sous des eucalyptus et des chênes non indigènes, dans le cadre du parc Ayalon Canada, et il reste à peine une trace de la vie de ses anciens habitants.
Plus de 180 villages palestiniens, dont les habitants ont été déplacés lors du nettoyage ethnique de la Palestine en 1947-1948, connu sous le nom de Nakba ou "catastrophe" en arabe, sont aujourd’hui des sites récréatifs israéliens.
Après la création de l’État d’Israël en 1948, des agences gouvernementales et des organisations à but non lucratif, comme le Fonds national juif (FNJ), ont commencé à transformer des villages palestiniens dépeuplés en espaces verts, en vertu du mythe sioniste selon lequel la colonisation faisait "fleurir le désert".
"Le fait que certaines de ces forêts n’aient pas de nom, qu’elles ne soient pas entretenues, ni accessibles pour la randonnée ou toute autre activité, montre que leur seul objectif est en fait de s’approprier la terre et de dissimuler les vestiges des villages [et] d’empêcher le retour des réfugiés", a déclaré à The New Arab Najwan Berekdar, directeur des médias et du plaidoyer chez Zochrot, une ONG qui promeut la reconnaissance de la Nakba au sein de la société israélienne.
Haider Abu Gosh, qui a été expulsé d’Imwas à l’âge de 14 ans, a reconnu que de nombreux habitants du village devenus réfugiés ne peuvent même pas visiter la terre qui était autrefois la leur.
"Ce parc est devenu une zone de loisirs pour les juifs israéliens ou tous ceux qui peuvent s’y rendre", explique Abu Gosh. "Malheureusement, les habitants du village qui vivent toujours en Cisjordanie ne peuvent pas s’y rendre. "
Après avoir été déplacé, Abu Gosh a grandi à Ramallah, en Cisjordanie occupée. Aujourd’hui, il ne peut accéder à ses terres que parce qu’il a obtenu la nationalité israélienne en épousant une Palestinienne de nationalité israélienne.
Le rôle du JNF dans l’occultation de l’histoire
Créée en 1901 lors du congrès sioniste en Suisse, la JNF avait pour mission d’acheter des terres en Palestine pour y installer des Juifs.
Ce processus s’effectuait généralement par l’intermédiaire de propriétaires terriens absentéistes, mais lorsque les Palestiniens ont pris conscience des efforts de la JNF dans les années 1920, ils ont refusé de vendre leurs terres à l’organisation. La JNF s’est alors tournée vers des méthodes plus insidieuses d’acquisition de terres, comme le recrutement de Palestiniens pour acheter des parcelles pour leur compte.
Lors de la création d’Israël, près de 90 % des terres palestiniennes saisies pendant la Nakba avaient été transférées à l’État et au JNF en vertu d’ordonnances et de lois militaires israéliennes.
Noga Kadman, guide touristique israélienne et auteur de Erased from Space and Consciousness : Israel and the Depopulated Palestinian Villages of 1948, explique que le JNF a lancé sa campagne de reboisement pour faire ressembler la Palestine aux nations européennes d’où venaient les colons sionistes. Mais après 1948, la plantation d’arbres est devenue un moyen d’occulter l’histoire palestinienne.
"Les autorités des parcs ignorent complètement les villages", a déclaré Kadman, qui décrit comment les panneaux ne mentionnent que rarement que la zone était autrefois un village palestinien, à moins que cela ne soit lié à la nature, comme les vergers des villages qui ont été absorbés par le parc.
"Ils présentent les villages comme violents à l’égard des Juifs ou des Israéliens ou comme une destination pour l’occupation, sans parler des lieux civils où vivaient des familles", a déclaré Kadman. "Ils ne décrivent jamais les vraies raisons pour lesquelles ces endroits sont vides aujourd’hui.
Kadman explique que les informations présentées dans ces parcs servent à renforcer la fausse image d’un pays à majorité juive.
"Cela fait partie de la stratégie visant à structurer la connaissance ou la méconnaissance des Israéliens à l’histoire et à la géographie du pays".
Une Nakba jamais achevée
La campagne de reboisement du JNF n’est pas terminée, comme l’a souligné Berekdar de Zochrot, expliquant comment l’effacement par l’environnementalisme se poursuit.
"Le JNF n’a pas seulement joué un rôle dans le déplacement des Palestiniens en 1948. Il continue à jouer ce rôle aujourd’hui. "
Le JNF encourage actuellement le développement de zones exclusivement juives dans des régions à forte population palestinienne, telles que la Galilée et le Naqab (ou désert du Néguev).
"Ces projets sont construits dans le but de transférer davantage de Palestiniens et de s’approprier davantage de terres", a déclaré Berekdar. "L’idée n’est pas seulement d’empêcher les Palestiniens de prendre ces terres, ou d’acheter des terres et de s’étendre. Il s’agit également de priver le plus possible de terres les personnes qui pourraient ensuite demander à les récupérer."
Alors que de nombreux réfugiés palestiniens sont empêchés de rentrer chez eux, Abu Gosh se rend souvent dans son ancien village pour expliquer l’histoire de la terre aux journalistes et aux touristes, mais le retour n’est pas facile.
"Même après plus de 50 ans, je suis toujours inquiet. Parfois, il m’est même difficile de m’empêcher de pleurer. Je n’aime pas cela, mais je dois y aller pour parler de ce qu’il s’est passé."
Bien qu’Israël ait effacé la mémoire des Palestiniens, la terre est aussi résistante que son peuple et de petites poches de Palestine subsistent.
"Dans presque toutes les localités palestiniennes ou dans tous les parcs du JNF que nous avons visités, nous pouvons voir des cactus. Cela nous indique qu’il y a eu un village palestinien ici", explique Berekdar. "Si vous regardez de près, il y a des choses qui vous permettent de dire que c’était une terre palestinienne."
Traduction : AFPS