Des membres de l’armée de l’air ont révélé que l’armée israélienne frappe régulièrement des sites à Gaza « à l’aveuglette », en se basant sur des informations du renseignement militaire qui peuvent dater de plus d’un an, bombardant sans vérifier au préalable la présence de civils et causant des morts inutiles.
Ces militaires ont confié à The Independent que de « sérieux problèmes structurels » et une culture de la destruction encourage les soldats à identifier de nouvelles cibles dans la bande de 40 kilomètres plutôt que de vérifier la validité des milliers d’autres stockées dans « la banque », nom donné à la base de données de l’armée.
Si la liste de cibles s’épuise, comme c’est arrivé pendant la guerre de 2014, la consigne est de « simplement continuer à larguer des bombes ».
Les cibles mouvantes, comme les commandants militaires, sont sous surveillance aérienne préalablement aux bombardements, là où les cibles immobiles ne le sont en général pas.
Ces affirmations sèment le doute sur les déclarations de l’armée israélienne qui jure qu’elle « met tout en œuvre pour éviter les morts inutiles à Gaza », une bande de terre assiégée, peuplée de 2 millions de personnes qui en fait une des zones les plus densément peuplées au monde.
Une autre crainte concerne le calcul des « victimes civiles autorisées » et des soi-disant victimes collatérales, bien connues des opérations militaires majeures comme Bordure protectrice en 2014. D’après les Nations Unies, plus de 1400 civils palestiniens et 6 civils israéliens furent tués pendant les 51 jours qu’a duré cette guerre.
Les militaires expliquent que si le niveau de menace contre l’armée israélienne augmente et que le niveau autorisé de « dégâts collatéraux » est relevé dans une partie de Gaza, il est en fait appliqué à l’ensemble du territoire, quelle que soit l’intensité de la menace dans les autres zones, soulevant la question de la proportionnalité de la réponse. Les organisations de défense des droits de l’homme alertent sur ces pratiques qui multiplient le nombre de morts civils et dans certains cas, violent le droit international.
L’armée israélienne se refuse à tout commentaire sur ces cas documentés mais déclare à The Independent : « L’armée répond à une structure organisationnelle détaillée au sein de laquelle les décisions sont prises. »
Sur son site web, elle présente la manière dont elle minimise les victimes. Les forces israéliennes ont régulièrement nié avoir mené des frappes illégales.
« Officiellement, chaque cible a une “date de péremption” passée laquelle, deux nouvelles sources d’information doivent être recoupées avant de la suspecter de nouveau. Mais il y a trop de cibles à vérifier comparativement au nombre de chercheurs », explique un membre du renseignement de l’armée de l’air que nous appellerons "A" pour des raisons de sécurité.
"A" est courant que des cibles ne sont pas réévaluées, « parfois pendant plus d’un an ». « Les cibles périmées ne sont pas forcément la priorité. En général, les chercheurs sont assignés à d’autres projets pour trouver de nouvelles cibles. C’est pénible, ils préfèrent découvrir quelque chose de nouveau », ajoute "A". « Et donc, [en période de conflit], les cibles sont sélectionnées depuis la banque de données, qu’elles soient à jour ou non. Voilà le problème structurel. »
Ce membre de l’aviation indique que « beaucoup de cibles sont bombardées systématiquement, sans vérification visuelle, car il n’y a pas assez de drones. Cette atmosphère n’encourage pas les gens à prendre ça [la vérification des cibles] au sérieux. La discipline se relâche et c’est les civils qui en paient le prix », ajoute "A".
Un de ses collègues, que nous appellerons “B”, précise que ça devient un problème majeur durant les opérations longues, comme en 2014 où les ordres lorsque les cibles manquaient étaient de « simplement continuer à larguer des bombes », n’importe où, pour « faire du bruit ».
« On portait beaucoup d’attention à ça, faire du bruit, je peux le dire avec certitude. C’était les mots employés, “faire du bruit", pour créer un sentiment de peur dans l’autre camp, un sentiment que ça [le conflit] ne s’arrêtait pas », ajoute “B”, corroboré par des témoignages recueillis par Breaking the Silence et consultés par The Independent.
Les associations israéliennes de défense des droits de l’homme s’accordent à dire que ces révélations font voler en éclat les préjugés internationaux sur l’armée israélienne, une des plus moderne et des mieux équipée au monde, engagée dans une « guerre propre » qui essaie de limiter les victimes à Gaza.
Breaking the Silence est tellement inquiet de ces problèmes structurels majeurs qu’ils appellent à une expertise externe, tout en indiquant que la plupart des civils tués à Gaza l’ont été « conformément au protocole ». « L’opinion générale est que nous avons des armes précises, un renseignement militaire performant et une technologie particulièrement propre. Mais dès qu’on se penche un peu plus précisément sur la question, on s’aperçoit que cette idée est à l’opposé de ce qui se passe sur le terrain », estime Yehuda Shaul, le fondateur de BtS.
Nous pensons que ce qui se passe à Gaza relève d’un système, répond à des ordres, à une structure de planification et d’exécution d’opérations entières et non d’un soldat, d’un évènement ou d’une unité particulière. Nous aimerions voir une enquête externe civile sur les règles d’engagement et le mode opératoire de l’armée à Gaza.
Yael Stein, directrice de recherche pour B’Tselem, estime que l’insistance de l’armée israélienne à ne conduire que des audits internes participe à un « mécanisme de blanchiment » pour minimiser l’attention extérieure. « Il n’y a jamais eu de réelle enquête, ils n’interrogent jamais la politique générale. Israël déploie beaucoup d’efforts pour se construire une façade et faire croire au monde que tout est documenté et fouillé », ajoute-t-elle.
Ces révélations interviennent alors que la pression pesant sur Israël pour changer son comportement à Gaza augmente, notamment avec l’ouverture probable d’une enquête par la Cour pénale internationale (CPI).
Gaza subit un blocus israélien et égyptien depuis 13 ans, imposé initialement après la prise de contrôle violente du Hamas en 2007. Israël et plusieurs autres pays considèrent le Hamas comme une organisation terroriste et affirment que le blocus est nécessaire pour empêcher le groupe de s’armer. Les militaires israéliens et les militants de Gaza se sont déjà affrontés trois fois depuis 2008.
La procureure général de la CPI, Fatou Bensouda, a annoncé en décembre 2019 qu’elle souhaitait ouvrir une enquête pour crimes de guerres commis par toutes les forces en présence sur les territoires palestiniens depuis le début de la guerre de 2014.
L’armée israélienne, déjà accusée par les experts de l’ONU d’avoir possiblement commis des crimes de guerre dans la bande de Gaza, réfute avec véhémence avoir violé le droit international et refuse de reconnaître la compétence du tribunal. Le Hamas est également visé par la CPI, notamment pour avoir tiré sans distinction sur des civils israéliens.
Parmi les évènements qui seront probablement examinés figurent les explosions de violence à la frontière ces 18 derniers mois : le bras armé du Hamas et du Jihad Islamique ont tiré des centaines de roquettes sur le sud d’Israël et l’armée israélienne a déclenché des centaines de bombardements de la bande de Gaza.
« Attaquer, attaquer, faire du bruit »
La semaine dernière, Human Rights Watch a déclaré qu’au moins deux frappes israéliennes responsables de la mort de onze civils durant la dernière escalade de violence en novembre seraient illégales. L’ONG établit que lors d’un bombardement qui a presque éliminé toute une famille palestinienne, dont cinq enfants de moins de 14 ans, le 14 novembre dernier, l’armée israélienne « a manqué à son obligation légale d’évaluer avec précaution la nature de la cible », pour vérifier la présence de civils et s’assurer que les attaques ne ciblent que des combattants ou des objectifs militaires.
Le quotidien israélien de gauche Haaretz a cité des officiels de la Défense reconnaissant que dans le cadre de cette attaque qui a tué neuf personnes au total, l’armée avait encore utilisé des renseignements militaires périmés et n’avait pas conduit d’inspection préalable quant à la présence de civils sur le site.
Gerry Simpson, directeur associé à la division des crises et conflits d’HRW a déclaré que par conséquent, et les attaques israéliennes et les tirs de roquettes palestiniens « mettent en lumière le besoin de surveillance de la CPI ». L’armée israélienne a estimé le rapport de HRW « factuellement infondé, défectueux et biaisé » et l’a accusé de « sauter à des conclusions juridiques sans fondement ». L’armée n’a pas directement répondu aux affirmations de Haaretz.
D’après la famille et des voisins, la cible était un ensemble de structures en tôle ondulée dans le centre d’un district agricole de Gaza, habité par les deux familles des frères Rasmi, 45 ans et Mohammed Abu Malhous, 40 ans. Juste après minuit, le 14 novembre 2019, trois bombes sont larguées sur la zone où dorment une vingtaine de membres de la famille, détruisant leurs habitations. Neuf personnes, dont Rasmi, Mohamed, leurs femmes et leurs cinq enfants (le dernier avait à peiné un an), sont tuées. Les membres de la famille qui ont survécu ont indiqué qu’un adulte et neuf enfants ont été blessés, certains ayant pu être interviewés par The Independent.
« Nous n’avons pas reçu d’avertissement. »
Peu de choses subsistent des habitations, sauf trois cratères béants. La zone jouxte des terres agricoles et une grande base des Nations Unies.
Le porte-parole arabophone de l’armée israélienne a d’abord déclaré que la frappe avait éliminé avec succès un commandant du Jihad Islamique du nom de Rasmi Abu Malhous. L’armée a changé de version depuis, indiquant qu’elle visait un camp militaire.
Après une enquête interne, l’armée indiqua que la catégorisation des habitations était erronée, ajoutant qu’elle aurait dû les identifier comme des structures civiles avec « une partie pour des activités militantes », sans plus d’information. Les militaires semblent toutefois avoir fait machine arrière en déclarant que la cible était identifiée comme « un camp du Jihad Islamique utilisé pour mener des activités militaires », sans préciser la nature de ces activités. L’armée indique que la cible avait été identifiée en juin 2019 « conformément à ses doctrines du renseignement » et déclare l’avoir vérifiée à plusieurs reprises, notamment « seulement quelques jours avant l’attaque ».
La déclaration indique que « durant la planification et l’exécution de l’attaque, l’armée s’attendait à ce qu’aucun civil ne soit touché par le bombardement. »
En pratique, comme cela fut constaté plus tard, malgré des activités militaires effectivement conduites depuis le camp, il n’était pas fermé [sic] et utilisé uniquement pour des activités militaires … Des civils étaient, malheureusement, également présents durant le bombardement.
L’enquête de The Independent incluant l’interview de la famille, des voisins, une visite sur le site du bombardement et un examen des images satellites de la zone remontant jusqu’à 2008, a trouvé des preuves qui semblent contredire la nature militaire de la cible. Le quotidien britannique a également découvert que le bombardement avait non seulement tué neuf civils, mais également, d’après le service des eaux des municipalités côtières de Gaza, détruit un puits – infrastructure civile – , posant de nouvelles questions quant à la disproportion et à la légalité de l’attaque.
Parmi la demi-douzaine de membres de la famille interviewés individuellement par The Independent, y compris des enfants blessés, aucun n’a reconnu la photo du commandant présumé du Jihad Islamique initialement identifié comme la cible de l’attaque par le porte-parole arabophone de l’armée israélienne. Voisins et proches maintiennent que les deux familles habitaient ici depuis au moins 2007 : les images satellites du site en 2008, 2014, 2016 et juste avant l’attaque en 2019, fournies par HRW et analysées par The Independent – semblent corroborer ces informations. Aucune évidence, sur ces images, de l’existence d’un camp militaire.
« Pourquoi n’ont-ils pas vu les enfants ? »
Des proches indiquent que Rasmi était officier de police de l’Autorité Palestinienne (géré par le Fatah, un adversaire du Hamas et du Jihad) à la retraite et Mohamed, éleveur de chèvres, et affirment qu’il n’y avait aucune activité militaire sur le site.
Un membre de la communauté présent au moment de l’attaque a déclaré à The Independent qu’il pensait qu’un des frères pouvait faire partie du Jihad. Mais ni l’organisation islamique, ni les autorités israéliennes ne l’ont toutefois publiquement identifié comme membre du groupe armé alors que celui-ci revendique régulièrement ses « martyrs ».
« Il n’y a pas eu d’avertissement, personne ne nous a informés que l’endroit serait frappé malgré tous les enfants présents. C’est arrivé d’un coup, la maison, le sol tremblait », raconte Salmiya, 70 ans, la mère de Rasmi, qui habite à quelques centaines de mètres.
« Il y a pas de site militaire ici, ni de stock d’armes, il n’y a même pas de stock de farine. Il n’y avait pas de combattants. Si c’était une cache d’armes, on aurait vu plus d’explosions, des signes ou des résidus », soutient Hamdan Abu Malhous, cousin de Rasmi et Mohamed.
M. Abu Malhous se demande comment, si les militaires israéliens ont vérifié la cible quelques jours avant l’attaque, personne n’a vu les enfants. « Toute la famille vit ici depuis qu’Israël s’est retiré de Gaza [en 2005], y compris les enfants qui ne se cachent pas. Ils jouaient devant la maison, dans les rues du coin, du matin au soir. »
Les Israéliens utilisent des drones, jour et nuit. Leurs machines sont si sophistiquées qu’ils peuvent photographier et identifier une fourmi. Comment ont-ils fait pour ne pas les voir ?
Pas assez de drones
Bien que le personnel de l’armée de l’air auquel The Independent a parlé ne soit pas impliqué dans cette attaque, tous indiquent qu’elle est significative d’un problème plus large et qu’elle prouve une fois encore que l’utilisation d’informations incomplètes ou périmées pour les campagnes de bombardement est « systémique ».
Ces membres de l’armée de l’air dépeignent une procédure officielle de sélection des cibles minée par de « sérieux problèmes structurels ».
Ils disent aussi que dans ce cas, ces problèmes sont renforcés par la complexité des opérations à Gaza, un territoire densément peuplé, où les constructions sans permis sont monnaie courante et les infrastructures militaires souvent partagées avec des habitations civiles.
Les soldats indiquent que le protocole impose une durée pour chaque type de cible : une base importante du Hamas n’a pas forcément besoin d’être vérifiée pendant un an car c’est peu probable qu’elle change de nature. Mais une structure moins permanente, comme les habitations gazaouies visées par cette attaque auraient dues, selon le protocole, être vérifiées tous les quelques mois, à cause de la présence de civils.
La sélection des cibles a lieu dans une « usine » qui, pour les cibles de grande valeur, est gérée depuis le quartier général militaire israélien : le Kirya à Tel-Aviv.
"A" déclare que conformément aux protocoles militaires, les chercheurs ont besoin de deux renseignements indépendants pour identifier une cible. Une fois la cible approuvée par les officiers supérieurs, elle est transférée au renseignement opérationnel où une équipe tactique d’experts de l’armement préparent l’attaque à l’avance.
Des présentations détaillées comprenant des photos sont généralement préparées pour aider les pilotes. Il y a aussi un système qui marque automatiquement les cibles planifiées qui sont trop proches de bâtiments sensibles comme les hôpitaux ou les mosquées.
Pendant la planification, l’unité consulte des avocats qui sont censés fournir des conseils juridiques à propos des cibles sensibles et du niveau de dommages collatéraux acceptable du point de vue du droit international.
Mais "A" indique que cette manière de procéder est biaisée parce que la plupart des cibles vont recevoir un feu vert. Les avocats se contentent de demander à l’équipe s’ils pensent que l’attaque sera proportionnée - question à laquelle elle répond souvent par l’affirmative - plutôt que de lui demander comment elle est arrivée à cette conclusion. Si la cible passe ces étapes elle est « mise à la banque », rejoignant les milliers d’autres qui seront désignées en cas d’escalade de la violence ou de guerre.
En théorie, les chercheurs sont supposés vérifier en boucle leurs informations sur les cibles pour évaluer tout changement de situation et donc, toute augmentation du risque pour les civils.
En pratique toutefois, une fois que les cibles sont mises à la banque, elles sont « rarement supprimées du système », même s’il y a eu de profonds changements au sol ou qu’une période significative de temps a passé. Les équipes de chercheurs sont également sous pression et récompensées dès qu’elles ajoutent de nouvelles cibles. « Cela signifie que les cibles sont attaquées sans évaluation approfondie du renseignement militaire au préalable », explique "A". Qui ajoute : « Ils ne revérifient pas, sauf si c’est une cible mouvante [dans le cas d’un assassinat ciblé]. »
"B" acquiesce, indiquant que notamment pendant la guerre de 2014, « la plupart des cibles que l’armée de l’air a attaqué n’avaient pas été "nettoyées" » – c’est-à-dire vérifiées pour confirmer qu’aucun civil non impliqué n’est présent sur le site du bombardement avant l’attaque. « On n’en avait pas la capacité. Je ne sais pas s’il y avait la volonté, mais il n’y avait définitivement pas la capacité… Nous n’avons pas vérifié toutes les cibles », ajoute "B".
Le problème réside dans le nombre de drones. Israël a un nombre substantiel d’avions sans pilote qui survolent Gaza durant et hors des conflits mais "B" indique qu’ils ne sont pas uniquement utilisés par l’armée de l’air mais par tous les services de sécurité et du renseignement israélien et ne sont souvent pas disponible avant les frappes. « Il n’y en a simplement pas assez », ajoute-t-il.
« Faire pleuvoir les bombes »
Ces problèmes s’accentuent pendant les périodes de bombardements massifs comme durant la guerre de 2014 ou les soldats ont reçu l’ordre de « faire pleuvoir les bombes », explique "B".
« La bande de Gaza est une petite zone. Assez vite, on a épuisé la liste de ce qu’on doit attaquer. »" "B" indique qu’en 2014, c’est arrivé à un point tel que certains militaires se demandaient pourquoi la guerre continuait. « Tout le monde parlait de ce qu’on faisait ici parce que tout le monde savait qu’on avait épuisé la banque de données », continue "B". « Nous ressentions que ça venait d’en haut, de la chaine de commande de l’IDF, et que nous la seule chose à faire était : attaquer, attaquer, faire du bruit. »
Les audits internes faits pour dissimuler
Durant les opérations longues (comme en 2014), il y a différents « modes opératoires » : un qui estime le nombre de civils peuvant être tués ou blessés pour chaque cible ; un autre, pour évaluer quel niveau de dégât est autorisé sur les infrastructures et les bâtiments autour.
"A" estime cependant que ces phases « définissent un cadre général pour l’ensemble de l’opération sans rapport avec le risque réel pour les troupes dans des zones spécifiques. Contrairement à ces consignes, le niveau est beaucoup plus élevé à Gaza », ce qui pose la question de la proportionnalité de la riposte. L’armée peut relever le niveau du mode opératoire, autorisant plus de victimes civiles, si elle sent que les tirs palestiniens sont plus intenses, mais également si les attaques palestiniennes « nuisent au moral » en Israël, ou même si elle croit que l’opinion internationale le permet, révèlent les soldats.
Plusieurs témoignages recueillis par Breaking the Silence et partagés avec The Independent corroborent ces révélations. Yehuda Shaul estime que ce protocole doit être revu : « L’armée relève le mode opératoire, augmentant les dégâts collatéraux dans une partie de Gaza et ça signifie que plus de personnes vont mourir à l’autre bout. Ça vous semble légitime ? » Il ajoute que c’est pourquoi les audits internes de l’armée, comme celui mené à la suite de la frappe du 14 novembre, ne servent « qu’à dissimuler. Ils nous éloignent du vrai problème qui sont les règles en elles-mêmes. Les audits internes de l’armée évaluent les violations des normes et des règles alors que ces mêmes normes et ces mêmes règles sont le problème. »
Ce qui lui fait dire que « la plupart des civils ciblés à Gaza sont morts conformément au protocole. »
« Impossible d’attaquer Gaza sans tuer beaucoup de monde »
L’autre problème est la difficulté d’opérer dans ce territoire très peuplé. Beaucoup de cibles militaires à Gaza sont partagées avec des infrastructureS civiles en raison de la nature du terrain et de la façon dont le Hamas et les autres groupes militants y opèrent. L’armée israélienne a régulièrement accusé ces organisations d’utiliser des boucliers humains.
"A" indique qu’en théorie, il y a des protocoles détaillés pour calculer combien de personnes peuvent être blessées ou tuées par un bombardement, y compris des méthodes « entièrement scientifiques » avec des modèles statistiques de calcul des dégâts.
Mais, en pratique, ça ne s’applique pas au terrain irrégulier de Gaza. « Il n’y a aucun moyen d’estimer avec précision les dégâts à Gaza. Toutes les estimations sont des mauvaises estimations. Il n’y a pas de modèle mathématique pour Gaza, c’est trop peuplé pour être modélisé », ajoute le soldat. "A" ajoute que puisqu’on ne peut même pas faire de renseignement militaire approfondi pour un seul bâtiment, c’est encore plus difficile, voire impossible, de le faire pour des milliers de cibles.
"B" confirme, ajoutant qu’il est dur d’opérer « dans une des zones les plus surpeuplé du monde ». Cela s’est particulièrement vérifié pendant la guerre de 2014 à Gaza ou des commandants sous pression ont finalement donné le feu vert à des phases de la guerre qui ont abouti à des niveaux de dommages collatéraux jamais atteints. « Impossible d’attaquer sans tuer beaucoup de monde, impossible, jamais, vous ne pouvez pas. A moins que tout le monde s’en aille », ajoute "B".
En fin de compte, la bande de Gaza est une zone close. La population doit s’y déplacer, d’une façon ou d’une autre. Ils ne peuvent pas tous disparaitre. Donc quelquefois, vous vous lâchez. C’est dans l’esprit d’un commandant. Il dit aux responsables des cellules : les gars c’est à vous, les dégâts collatéraux élevés, pas de problème.
Yael Stein indique que le problème principal n’est pas les failles systémiques dans le protocole mais le message global du gouvernement israélien qui veut que « les vies palestiniennes n’ont pas d’importance ». Elle ajoute : « C’est une question de volonté politique. Tant qu’ils continueront à voir les vies des Palestiniens comme inconséquentes et inutiles, je ne pense pas que les choses changeront. Des petits enfants ont été tués [durant la frappe du 14 novembre] et tout le monde a dit que c’était légal. Qui en a quelque chose à faire ? Des enfants ont été tués. »
A Gaza, les membres de la famille victime de la frappe aérienne de novembre trient les décombres de leurs maisons pour retrouver des affaires, essayant de comprendre ce qui est arrivé. Les grands-parents disent que les enfants qui ont survécu, certains avec des blessures grave, souffrent de traumatismes et se réveillent en hurlant la nuit. « On a dû creuser pour sortir les enfants ensevelis quand c’est arrivé. Il ne reste plus rien de la maison, c’est comme si la terre l’avait avalée », confie le fils de Rasmi, Awad Abu Mismeh, 20 ans. « Pourquoi utiliser trois énormes bombes pour éliminer deux familles, des chèvres et quelques cahutes ... ? On voudrait savoir pourquoi ? »
Traduction BHS pour l’AFPS