Carrefour tente de se distancer de son projet de monter une nouvelle entreprise commerciale majeure en Israël, ceci depuis que le détaillant international fait face à des critiques croissantes pour avoir profité des colonies illégales construites sur des terres palestiniennes occupées.
Mais les déclarations malhonnêtes, évasives et incohérentes de la société basée en France à The Electronic Intifada n’atténue en rien la complicité de Carrefour dans les violations par Israël du droit international et des droits des palestiniens.
The Electronic Intifada, répondant aux appels des syndicats et des défenseurs des droits de l’Homme en France et en Palestine pour que l’entreprise cesse de profiter des crimes d’Israël contre le peuple palestinien, a adressé à Carrefour une série de questions.
L’année dernière, Carrefour a annoncé son entrée sur le marché israélien d’une relation avec la chaîne de supermarchés locaux Yenot Bitan et d’autres entreprises israéliennes opérant largement dans les colonies israéliennes en Cisjordanie occupée.
« Ce partenariat permettra aux enseignes Carrefour de s’installer en Israël avant la fin de l’année 2022 et permettra à tous les magasins Yenot Bitan, plus de 150 à ce jour, d’avoir accès aux produits de la marque Carrefour avant l’été » a déclaré Carrefour en mars.
« Nous sommes convaincus que l’arrivée de Carrefour en Israël contribuera de manière significative à améliorer l’expérience locale d’achat des consommateurs ainsi que leur pouvoir d’achat grâce à de meilleures offres à des prix plus abordables » a déclaré à l’époque Patrick Lasfargues, Président des partenariats internationaux de Carrefour.
« Cette décision rend Carrefour complice des crimes de guerre commis par le régime israélien d’occupation, de colonialisme de peuplement et d’Apartheid sur l’ensemble du peuple palestinien » d’après le Comité national palestinien de Boycott, désinvestissement et sanctions (BNC).
Le BNC exhorte les consommateurs à boycotter Carrefour.
« Carrefour mise sur son image et sa réputation pour conquérir des clients » explique le BNC. « Une campagne populaire efficace exposant la complicité de Carrefour dans les crimes de guerre israéliens contre les palestiniens autochtones peut faire pression sur l’entreprise pour qu’elle mette fin à cette complicité. »
Au moins deux autres entreprises françaises majeures, dont Veolia et Orange, ont mis fin à leur complicité dans les crimes d’Israël à la suite de telles campagnes qui ont souvent duré des années.
Profiter des crimes de guerre
Carrefour possède ou exploite par le biais d’accords de franchise près de 14 000 magasins dans 40 pays dont l’Égypte, la Jordanie, le Liban, le Maroc, la Tunisie, l’Algérie, le Qatar, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite.
Un rapport récent publié par une coalition d’organisations, dont la Fédération française du travail CGT, forte de 700 000 membres, et le groupe palestinien de défense des droits de l’homme Al-Haq, explique comment, dans le cadre de l’accord d’expansion en Israël, Carrefour profitera directement de la colonisation illégale du territoire palestinien occupé.
Le partenaire israélien de Carrefour, Yenot Bitan, gère actuellement des magasins dans au moins trois colonies de Cisjordanie construites sur des terres palestiniennes occupées : Ariel, Alfei Menashe et Maaleh Adumim.
Yenot Bitan est connu pour s’approvisionner en produits provenant d’au moins une colonie de Cisjordanie. Mais ce n’est sans doute que la partie émergée de l’iceberg.
Une recherche rapide sur le site de vente en ligne de Yenot Bitan montre que la chaîne vend des confiseries fabriquées par Achva, une entreprise qui tente de dissimuler le fait que sa principale usine se trouve dans une colonie de Cisjordanie.
Des dizaines d’articles fabriqués par Tnuva, une entreprise israélienne qui s’approvisionne en produits laitiers et en volailles dans les colonies de Cisjordanie, sont également disponibles chez Yenot Bitan.
Yenot Bitan vend également du vin fabriqué dans une colonie israélienne située sur le plateau du Golan occupé, qui fait partie de la Syrie.
Le partenariat de Carrefour avec Yenot Bitan est donc inévitablement un partenariat avec l’entreprise coloniale illégale d’Israël.
Mais la complicité de Carrefour dans les crimes d’Israël sera encore plus importante car le propriétaire de Yenot Bitan, Electra Consumer Products - ainsi que de nombreuses autres marques et filiales d’Electra, toutes détenues en grande partie par la société holding israélienne ELCO - est fortement impliqué dans le vol et la colonisation violents des terres palestiniennes par Israël.
Cette implication, qui remonte à plusieurs années, comprend la construction de colonies et de leurs infrastructures, ainsi que la fourniture de services aux colonies.
Les entreprises de la marque Electra construisent également des bases et fournissent des équipements à l’armée israélienne.
Les réponses de Carrefour
"Le groupe Carrefour a toujours opté pour une position de stricte neutralité vis-à-vis des opinions politiques ou religieuses", a écrit l’entreprise à The Electronic Intifada cette semaine.
Mais ce qui est en cause ici, ce ne sont pas des "opinions" mais des actions qui violent le droit international et les droits de l’Homme.
Carrefour a ajouté qu’il "n’opère pas directement en Israël et n’a aucune participation au capital de Yenot Bitan."
Cependant, Carrefour opère clairement en Israël - comme son propre dirigeant Patrick Lasfargues - l’a fièrement proclamé en mars.
En essayant de se cacher derrière le fait non pertinent qu’il opère par le biais d’un partenaire franchisé local, Carrefour veut le meilleur des deux mondes : extraire des profits en faisant des affaires en Israël et dans ses colonies illégales, tout en n’assumant aucune responsabilité éthique et légale.
"A ce jour, notre partenaire israélien Yenot Bitan a rénové 10 magasins, qui ne sont pas situés dans les territoires palestiniens, pour les mettre sous la bannière Super " ajoute la société.
Mais Carrefour ne s’est pas engagé à ce qu’aucun des 150 magasins prévus ne soit situé dans des colonies de Cisjordanie.
La société a également affirmé que "les produits Carrefour importés à ce jour, tels que le chocolat, les céréales ou le café, sont vendus dans une majorité de magasins Yenot Bitan." Mais elle n’a ni confirmé ni infirmé que cela inclut les magasins Yenot Bitan dans les colonies.
"Principes éthiques"
Sur son site internet, Carrefour affirme qu’il mène ses activités selon des "principes éthiques."
Il affirme que son "cadre de référence" comprend la Déclaration universelle des droits de l’Homme, les huit conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail, les principes directeurs de l’OCDE, le Pacte mondial des Nations unies et d’autres encore.
Pourtant, ce sont ces mêmes principes que Carrefour viole.
Par exemple, les principes directeurs de l’OCDE sur les entreprises et les droits de l’Homme couvrent explicitement "Tous les types de relations commerciales", y compris "les fournisseurs, les franchisés, les licenciés [et] les coentreprises."
De même, les principes directeurs des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’Homme obligent les entreprises à "chercher à prévenir ou à atténuer les effets négatifs sur les droits de l’Homme qui sont directement liés à leurs activités, produits ou services par leurs relations commerciales, même si elles n’ont pas contribué à ces effets."
En d’autres termes, les principes que Carrefour prétend respecter ne lui permettent pas de se soustraire à ses obligations simplement parce qu’il opère en Israël et en Cisjordanie occupée par le biais d’un accord de licence et de franchise.
Il existe un consensus international croissant sur le fait que toute activité commerciale dans les colonies israéliennes contribue inévitablement aux violations massives par Israël des droits de l’Homme des Palestiniens.
"Faire des affaires avec des colonies illégales, c’est aider à commettre des crimes de guerre" a expliqué Bruno Stagno de Human Rights Watch.
La crainte de ce changement de perception est la raison pour laquelle Israël et son lobby se sont tant battus et n’ont finalement pas réussi à empêcher le fabricant de crème glacée Ben & Jerry’s de mettre fin à ses activités en Israël l’année dernière.
La complicité de l’administration Macron
Aujourd’hui, les groupes de défense des droits de l’Homme et les syndicats qui ont rédigé le rapport sur Carrefour demandent à l’entreprise de "mettre fin à toutes les activités liées à la colonisation israélienne, ce qui signifie mettre fin le plus rapidement possible à son partenariat avec Electra Consumer Products et sa filiale Yenot Bitan."
Ils exhortent également le gouvernement français à "agir pour que Carrefour et les autres entreprises françaises respectent pleinement leurs obligations et mettent fin à toute relation commerciale pouvant avoir un lien avec la colonisation israélienne."
Sur le papier, le ministère français des Affaires étrangères avertit les entreprises que : "Les transactions financières, investissements, achats, approvisionnements et autres activités économiques dans les colonies ou bénéficiant aux colonies, comportent des risques juridiques et économiques liés au fait que, selon le droit international, les colonies israéliennes sont construites sur des territoires occupés et ne sont pas reconnues comme faisant partie du territoire d’Israël."
Mais la réalité est différente. Il est difficile de voir comment le gouvernement français pourrait agir comme une sorte de contrôle sur Carrefour alors que l’administration du président Emmanuel Macron encourage ouvertement le partenariat de l’entreprise avec ceux qui profitent des colonies.
En novembre, l’ambassade de France à Tel Aviv a célébré l’arrivée des premiers produits de la marque Carrefour sur les étagères israéliennes :
Le PDG de Carrefour Israël dévoile les premières conséquences de l'arrivée du distributeur français dans les enseignes israéliennes : « Tout le marché nous suit ». pic.twitter.com/CtnevTPIP8
— La France en Israël (@franceenisrael) November 22, 2022
Un mois plus tôt, l’ambassadeur de France avait accueilli à Tel Aviv Patrick Lasfargues, directeur des partenariats mondiaux de Carrefour, et salué sans réserve les projets d’expansion de l’entreprise en Israël.
Échange avec Patrick Lasfargues, directeur ex. du @GroupeCarrefour pour les partenariats 🌍. #Carrefour implante son enseigne en 🇮🇱 sur 150 magasins #YenotBittan depuis mars 2022. Son ambition : référencer 1000 produits alimentaires et 1000 non alimentaires dès que possible ! pic.twitter.com/UekBZ854hM
— La France en Israël (@franceenisrael) October 20, 2022
En juillet, l’arrivée imminente de Carrefour en Israël avait été saluée par Yair Lapid, alors Premier ministre israélien.
"Nous nous attendons à ce que d’autres grandes entreprises le suivent", a déclaré M. Lapid. L’une d’entre elles serait la chaîne néerlandaise de magasins de proximité Spar.
Selon les médias israéliens, Spar est à un stade avancé des négociations pour entrer sur le marché israélien en partenariat avec Shufersal, une chaîne de supermarchés qui opère aussi largement dans les colonies israéliennes de Cisjordanie.
" Vigilance "
Quant à Carrefour, il affirme que son engagement de responsabilité sociale d’entreprise comprend un "plan de vigilance" pour évaluer en permanence les risques éthiques liés à son travail dans le monde.
Mais il est évident que ce système de "vigilance" - s’il est censé être autre chose qu’une simple opération de relations publiques - a échoué de manière catastrophique dans le cas de la décision de Carrefour de se ranger ouvertement du côté d’Israël et de profiter de l’occupation militaire et de la persécution des Palestiniens par ce pays, ainsi que du vol de leurs terres.
Une autre explication possible du comportement de Carrefour est que ses dirigeants sont pleinement conscients de la façon dont leur complicité dans les crimes d’Israël va nuire aux Palestiniens, mais ils s’en moquent tout simplement. Comme toutes les entreprises capitalistes, la première obligation de Carrefour est d’apporter des bénéfices à ses actionnaires.
Rien de tout cela n’est une excuse, cependant, et il est positif qu’une large coalition d’organisations syndicales et de défenses des droits humains en France et en Palestine fasse pression sur Carrefour pour qu’il mette fin à sa complicité dans les crimes d’Israël.
La tentative de Carrefour de se soustraire à ses responsabilités ne sera certainement pas le dernier mot sur cette question.
Traduction : AFPS