L’ouverture du deuxième roman d’Ahmed Masoud, Come What May, est surprenante, non pas en raison de la scène qui s’y déroule - un bombardement aérien de Gaza, comme nous n’en connaissons malheureusement que trop - mais en raison des réactions du couple qui s’y trouve. Le mari éteint la radio, met de côté son téléphone portable, et le couple "regarde la télévision, joue aux cartes, fait beaucoup l’amour".
Le mari Ammar sort ensuite pour prendre un café et ne revient jamais. Il est retrouvé mort plus tard.
C’était au moment du massacre de Shujaiya, en juillet 2014, lorsque des frappes aériennes israéliennes ont détruit 670 bâtiments dans le quartier de Shujaiya, tuant au moins 120 civils palestiniens en plusieurs jours.
On dit à la femme d’Ammar, Zahra, la narratrice de l’histoire, qu’il est mort à la suite des bombardements. Mais elle a la preuve qu’il a été assassiné.
Tout le monde lui dit d’oublier cela et de quitter son appartement de la ville de Gaza pour aller vivre dans la maison familiale du camp de réfugiés de Jabaliya ou de se remarier en tant que seconde épouse. Elle refuse et trouve un homme prêt à la croire, le super enquêteur M. Nouman. Et c’est ainsi que l’histoire commence.
L’absence de peur de Zahra dans un environnement terrifiant fait avancer ce récit passionnant. Grâce à son récit à la première personne, le lecteur voit Gaza depuis le sol et se familiarise avec sa nourriture, sent ses odeurs, apprend les zones à éviter, les moyens de savoir à qui faire confiance, quels taxis de service prendre et comment agir.
C’est un voyage passionnant, rempli de détails affectueux qui viennent en contrepoint des dures réalités que chacun endure en tant qu’individu et en tant que collectivité.
Lors du lancement de son livre à la SOAS le 4 mai 2022, Masoud a expliqué que le roman a été formé "sur une longue période", mais qu’il l’a écrit "en un mois et demi", ce qui, pour n’importe quel romancier, est un record. (Alice Munro, par exemple, est citée comme ayant mis huit mois pour écrire une nouvelle).
Masoud, qui est également dramaturge et metteur en scène, dit qu’il laisse d’abord ses personnages et l’intrigue se cristalliser dans sa tête avant que les mots n’apparaissent sur un écran. Il arrange les intrigues au fur et à mesure qu’il se lave, fait du vélo dans les rues de Londres et nage en eau libre dans ses étangs. Ce processus de formulation du roman lui prend jusqu’à deux ans, mais l’écriture elle-même doit être rapide - il l’intègre dès qu’il a le temps de s’éloigner de son travail et de sa famille - quelques jours à Paris, lors de voyages en avion.
Mais la rapidité convient au roman, qui est un ouvrage au rythme soutenu et qui recrée les tensions et les énergies liées à la survie dans un environnement meurtri, fortement peuplé et fermé.
Le style linguistique dépouillé convient également à la substance. Il s’agit d’un roman axé sur l’intrigue - les personnages tournent et retournent autour des bâtiments, des vergers déracinés et des maisons bombardées de Gaza. C’est un roman où le couple, Zahra et Ammar, est réuni par-delà le fossé entre le camp de Jabaliya et la ville de Gaza par un amour commun de la littérature.
On pourrait classer ce roman dans la catégorie des romans policiers - car on cherche à trouver le meurtrier et à découvrir son mobile - mais c’est aussi un roman sur l’influence de la lecture sur la vie des personnages.
Masoud s’inspire ici de l’autobiographie. De 1998 à 2002, il a étudié la littérature à Gaza, où la lecture constituait un moyen d’évasion.
Lecture captivante, Come What May est aussi l’un des portraits littéraires les plus vivants de Gaza pour les lecteurs anglophones. Malgré le point de vue a priori dépolitisé du narrateur, beaucoup de choses sont abordées en quelques pages, notamment les réfugiés, les classes sociales, les frontières, les tunnels, les espions, les bombardements, le coût des produits de base (nourriture, ciment), la destruction des oliviers, le commerce illégal de drogues, les chefs de la résistance dotés de pouvoirs mystiques, les anciennes lignes de train et les drones, les travailleurs humanitaires et la production théâtrale des étudiants.
La nature spécifique et vitale de la confiance et de la communauté transparaît à travers ses pages d’une manière que seule une forme littéraire peut saisir. La société est divisée par l’extérieur et par les classes sociales, mais au bout du compte, il y a un sens commun des objectifs et des croyances. Ceci est géré délicatement sans être didactique ou sentimental.
Il n’y a rien de nouveau à ce qu’un auteur masculin choisisse d’écrire dans la voix d’une narratrice, de Dickens à Philip Pullman en passant par Alberto Moravia, mais le choix est judicieux, car il renforce le sentiment de vulnérabilité et d’urgence de la situation de Zahra. Même monter dans un taxi à côté d’un homme qui tient des chapelets de prière exige négociation.
"C’était un grand gaillard et je ne voulais pas être battue, crachée dessus ou poussée hors de la voiture. Je n’avais jamais vu une telle chose se produire sous mes yeux, mais les hommes me faisaient peur, surtout ceux qui croyaient que Dieu leur avait dit de traiter les femmes de la sorte. Mais ici, les femmes ne peuvent s’émanciper que lorsqu’elles sont soit vieilles, soit divorcées et mises au ban de la société."
Le roman n’est pas sans défauts. Il y a quelques erreurs de dates et certains comportements et réactions des personnages ont paru invraisemblables, mais on est prêt à passer outre ces défauts, car le ton de Masoud est optimiste et moqueur, son énergie palpable et l’histoire qu’il raconte en fait une lecture passionnante.
Traduction et mise en page : AFPS /DD